Au soir de la montée difficile du Plan di Montecampione, le classement général du Giro s’est nettement décanté. Les forces en présences sont désormais très claires pour les places au général, et parmi eux, figure Rafal Majka. L’inarrêtable polonais de la Tinkoff franchit consécutivement les paliers depuis quelques temps, et s’inscrit comme l’un des trublions pour le podium final à Trieste. Jusqu’où peut-il aller ?
Dépourvu de pression
Contrairement à un Nairo Quintana dont on attend la consécration sur un Grand Tour, un Cadel Evans dont la renommée est toujours aussi grande, ou encore un Rigoberto Uran qui se doit de franchir la marche supplémentaire par rapport à 2013, Rafal Majka n’est certainement pas le coureur sur qui tout les pronostiqueurs se seraient accordés pour la victoire finale. Discret, ce jeune garçon de 24 ans n’est pas du genre à s’étaler sur les réseaux sociaux, ou à crever l’écran des médias, que ce soit après course ou dans les périodes de repos. Plutôt un gros bosseur à l’entraînement donc, et qui a toujours fait dans l’ombre d’Alberto Contador depuis son arrivée dans la structure de Bjarn Riis, puis d’Oleg Tinkov. Lors du Tour d’Espagne 2012, théâtre du retour au premier plan d’El Pistolero, Majka se met une première fois en lumière en tant que coéquipier modèle, mais en impose déjà par son style aérien. Incontestablement l’une de ses qualités premières, sa faculté à changer de rythme et à donner l’impression de ne jamais être dans le dur, au contraire d’un Cadel Evans, est rare pour une jeune pousse. Au coude à coude face à Carlos Betancur pour l’obtention du maillot blanc de meilleur jeune, c’est un autre «escarabajos» , en la personne de Nairo Quintana, qui risque fort d’être son principal rival pour la même tunique en 2014, voire mieux, mais rien d’effrayant pour quelqu’un de très mature dans les moments clés. Son directeur sportif, Lars Michaelsen, ne s’y trompe pas, et décrit quelqu’un qui ne panique jamais. Pourtant, pour ce qui s’apparente à son quatrième Grand Tour, il aurait pu craquer lors des étapes pièges de Montecassino ou bien en Irlande. Mais au contraire, le natif de Zegartowice à même été l’un des protagonistes les plus en vues, et il est certain qu’il possédait des fourmis dans les jambes lors du premier week-end copieux.
Son profil désormais cerné, les doutes étaient encore légitimes au moment d’aborder le contre-la-montre individuel de plus de 40 kilomètres, mais Rafal Majka n’en a fait qu’une bouchée, et fut l’un des plus grands bénéficiaires d’une journée ayant souri aux grimpeurs. Egalement très bon puncheur, comme en atteste son podium au Tour de Lombardie, le Polonais n’a eu aucune difficultés à maintenir sa position lors des premières étapes compliquées du week-end, et arrive désormais à l’instant de vérité, avec les franchissement successifs du Gavia, Stelvio et de l’inédit Val Martello. Désormais sur le podium final par sa régularité à toute épreuve, le quatrième du Tour de Pologne 2013 doit relever le défi ultime qui se propose à lui, bien loin de tout l’univers médiatique intense d’un Tour de France où il serait certainement à la solde d’un Alberto Contador retrouvé. Voilà le gros point fort d’une pépite qu’on n’attendait, une nouvelle fois, pas à un tel niveau.
Repousser ses propres limites
Alors que le poumon de la troisième semaine se présente dès demain au lendemain de la journée de repos, Rafal Majka se voit donc immergé dans le vif du sujet, comme tout les outsiders qui réalisent des prouesses, à l’image d’un Aru, Kelderman ou encore Kiserlovski. Très en forme depuis Belfast, peut-il encore tenir le choc jusqu’au dernier dimanche ? Une défaillance au pire des moments ? Tout les scénarios sont envisageables, et le premier est conforté par sa prestation solide sur les pentes de Montecampione. Il n’a pas pu tenir la roue d’un Aru survolté et d’un Quintana qui a montré les muscles, mais s’est détaché d’un Cadel Evans qui perd du terrain jour après jours, et de tout ses rivaux directs pour des placettes au général. Toutefois, il n’a pu accrocher l’allure d’un Rigoberto Uran montant au train de manière efficace, et effaçant la mauvaise impression laissée à Oropa. Mais paradoxalement, c’est la journée ou l’actuel maillot blanc à paru le moins en forme tout au long des journées écoulées, c’est pour dire !
Un petit coup de mou passager ou le signe d’un léger fléchissement quand à la courbe physique de celui qui se distingue depuis le Tour de Romandie ? Tout les éléments semblent pourtant jouer en sa faveur pour la suite des évènements, et favoriser son gabarit frêle de pur grimpeur, explosif s’il le souhaite. Une fois l’étape garguantesque de demain passée, on en saura beaucoup plus sur ce que chacun pourra viser, et si l’actuel troisième du Tour d’Italie réussit à se maintenir à pareille fête, il pourra à coup sûr rêver en beaucoup plus grand. Seul élément qui ne plaide pas en sa faveur, son équipe. Dur au mal, Michael Rogers est l’un des rares capables de se mettre à la planche pour celui qui termina au pied du podium lors du Critérium International. Quand à l’étape se terminant au Rifugio Panarotta, elle est certes difficile, mais ne présente aucun col d’extrême intensité, et le cronoscalata du Monte Grappa pourrait définitivement voire éclore l’un des porte-drapeaux de cette nouvelle génération de coureurs capables de briller un peu partout. Puis, pourquoi s’effrondrait-il sur le Monte Zoncolan en ayant résisté à tout aussi dur auparavant ? Sa bonne récupération le lui permet très probablement. En plaçant le Tour d’Italie 2014 sous le signe de Marco Pantani, les organisateurs n’avaient sans doute pas imaginé un tel suspens au moment d’attaquer le money time, ni d’assister à une série de révélation prometteuses, où de confirmations. Car en cas de succès total, c’est certainement vers une autre carrière que Majka trouvera sa vocation, celle d’un leader à part entière.