Cette année, l’habituelle course de préparation du Tour de France bénéficie d’un plateau royal, digne de sa grande cousine juillettiste. Avec les présences de Chris Froome, Alberto Contador et Vincenzo Nibali, les trois grands favoris de la prochaine Grande Boucle sont réunis tous ensemble sur la même épreuve pour la première fois de l’année 2014. Avec un parcours montagneux au programme, ce Critérium du Dauphiné s’annonce sous les meilleures auspices à moins d’un mois du grand départ donné au Royaume-Uni, mais peut-il être pour autant propice en enseignements ?
Froome, objectif domination
Déjà au dessus du lot l’an dernier à chaque étape déterminante pour le classement général, Chris Froome s’élancera demain à Lyon avec les idées claires, à savoir remporter un deuxième Dauphiné consécutif. Les souvenirs de sa domination outrageuse de 2013 sont revenus dans les têtes de ses adversaires à l’occasion du dernier Tour de Romandie, et c’est avant tout sur cette même logique que le nouveau patron du cyclisme mondial souhaite s’établir. Écraser plutôt que de se contenter de peu, et ne pas faire les choses à moitié, telle serait sa devise. Après tout, le même plan utilisé et recyclé par les hommes en noir de la Sky marche depuis 2012 à la perfection, et avait déjà sacré Wiggins en 2011. Des références très importantes sur la tactique à adopter, qui devraient une nouvelle fois amener le Britannique à montrer les muscles dès le Col du Béal lundi, à moins que le prologue ne l’inspire déjà. Il est inconcevable désormais d’espérer sur un retard à l’allumage quelconque du dernier vainqueur du Tour, qui aborde le Dauphiné de manière revancharde après une saison 2014 pas forcément si tranquille qu’il ne l’espérait. Le contre-coup d’une année et demie stratosphérique ? C’est ce que beaucoup d’observateurs seraient tentés de dire, et ces derniers auront à cœur de clarifier la situation dans les jours à venir.
Si une victoire finale à Courchevel n’engagera rien pour la suite des aventures du deuxième du vainqueur du dernier Tour d’Oman, l’avantage psychologique engrangé se révélera déjà considérable. Une petite démonstration de “Froomey” sur l’étape reine de Finhaut-Emosson où plus généralement les preuves d’une équipe Sky bien huilée se retiendront immédiatement, tandis qu’une bonne performance, mais qu’on jugerait comme légèrement décevante vis-à-vis de son calibre, comme en mars au Tour de Catalogne, raviverait les espoirs de tous. Sur le contre-la-montre individuel du dernier Dauphiné, Porte avait alors totalement relégué Alberto Contador au rang de sparring-partner en rattrapant l’Espagnol sur les longues lignes droites toutes plates. Le coureur de Tinkoff n’avait alors pas su retrouver son moral d’acier, et partait battu dans l’âme… C’est pour dire à quel point la prise de confiance sera primordiale en ce début du mois de juin.
Contador doit confirmer
Revoilà “El Pistolero” ! A côte de son statut du seul grimpeur présumé capable de faire vaciller Froome sur les routes du Tour du Centenaire, le natif de Pinto a retrouvé des couleurs depuis la fin de l’hiver, en alignant coup sur coup le Tirreno – Adriatico et le Tour du Pays Basque. Contador gagne de nouveau, et son appétit ne devrait pas s’arrêter là, puisque l’étiquette de favori lui colle aussi à la peau au départ de Lyon. Confronté à son nouveau grand rival venu d’Outre-Manche en Catalogne, le double vainqueur de la Grande Boucle peut se targuer d’avoir fini devant lui au général, même si la victoire n’était au rendez-vous pour aucun des deux. Peut-on assister au même scénario, à savoir une neutralisation repoussant le grand déballage pour l’événement roi ? Ce n’est pas dans le caractère de l’attaquant né que représente le vainqueur des trois Grands Tours, qui n’hésitera sûrement pas à tester ses rivaux et à placer ses fameux démarrages en danseuse, radicalement différents du style peu familier privilégié par le Kenyan Blanc. Le Dauphiné marque aussi le retour de cette opposition de style qui s’était annoncée comme le nouveau duel phare de ce sport, dès que le terrain s’y prêtait.
Les promesses n’ont pas été tenues l’an passé, peut-il les remettre sur la table à l’occasion de cette épreuve ? Une victoire de sa part l’autoriserait à rêver, d’autant plus que tout les voyants sont aux verts en interne, avec l’amélioration notable des rapports avec Oleg Tinkov. Mais reste à savoir par quels moyens Alberto Contador pourrait frapper un nouveau grand coup sur la scène mondiale du cyclisme, à part battre Froome et ses chiens de garde à la pédale. C’est son grand défi, mais une défaite n’augurerait rien de désastreux pour le clan du Madrilène, qui pourra toujours prétexter une certaine réserve après des premiers mois où le protégé de Bjarne Riis ne s’est pas vraiment économisé. C’est aussi une bataille des mots, à l’intox.
Le temps presse pour Nibali
Le carré magique des meilleurs coureurs de courses par étapes du moment est presque réuni sur l’imminent Critérium du Dauphiné, à l’exception de Nairo Quintana, dernier vainqueur du Tour d’Italie. Après Froome et Contador, c’est sur Vincenzo Nibali que les regards se porteront. Surmotivé à l’idée de terrasser la Sky comme il l’avait fait sur une Course des Deux Mers assez folle en 2013, son heure semble enfin venue après des mois de préparation en interne assez discrète, aux côtés de sa nouvelle contre-armada Astana, pour qui ce Dauphiné représente une échance déterminante, selon les propres mots d’Alexandre Vinkourov. En soutien au Requin de Messine, on retrouvera Jakob Fuglsang, et Tanel Kangert, réquisitionné comme le sera Michele Scarponi sur la Grande Boucle. Du beau monde qui devra ramener des résultats, car le Transalpin, troisième du Tour en 2012 et vainqueur du Giro et de la Vuelta, semble un cran en dessous de ses rivaux sur l’impression laissée en 2014. Hors de forme sur Paris-Nice, c’est le premier gros test pour celui qui ne s’est préparé que pour cet unique objectif, quitte à sacrifier ses autres coups de cœur saisonniers. La pression est donc immense, et ses talents indiscutables de descendeurs ne seront pas suffisants pour se positionner comme candidat à la gagne si il ne montre pas mieux d’ici là. Les enjeux du Dauphiné sont donc cruciaux, à savoir revenir dans le coup, prouver qu’il peut tenir tête à Froome, et qu’il ne s’est pas trompé de cible.
Car c’est toute l’Italie qui atteint une réaction d’orgueil de son champion, après un Giro enthousiasmant pour Fabio Aru, mais marqué par la domination colombienne incontestable. Nibali ne doit pas s’endormir, et l’objectif minimum sera bel et bien de marquer les esprits et de signer son retour au premier plan. Il n’est désormais plus dans une position où il peut se permettre de lâcher du lest, et toute performance globale décevante pourrait s’avérer lourde de conséquences, notamment en interne. On entre dans la dernière ligne droite, d’un processus qu’on n’a presque pas vu venir. D’un côté, on parle moins de sa personne, mais c’est sans aucun doute celui des trois qui a le plus besoin de réaliser une performance dans les Alpes. On sait bien au combien un retard à l’allumage serait difficile à rattraper… Il n’a jamais paru en telle délicatesse, et tout le monde s’attend à le voir prouver le contraire. Le verdict pourrait bien être révélateur.