La nouvelle a fait l’effet d’une bombe de l’autre côté des Alpes, mais Paolo Bettini a bel et bien décidé de présenter sa démission à la fédération italienne de cyclisme durant les derniers jours d’une année 2013 tourmentée, le dimanche 28 décembre. En poste depuis la saison 2010 et la préparation des Mondiaux de Geelong, « le grillon » a terminé plus tôt que prévu un mandat marqué par l’absence de grandes victoires, mais aussi par la régularité.
Un lourd héritage à porter
Tout d’abord, il faut rappeler le contexte de l’installation de Paolo Bettini, alors fraîchement retraité, à la tête de la Nazionale. Après l’apogée du cyclisme transalpin des années 2000 qu’il symbolisait en partie, le double champion du monde succéda à Franco Ballerini – tragiquement décédé dans un accident de voiture lors d’un rallye – à la tête d’une sélection à l’historique ronflant puisque quatre fois vainqueur des Mondiaux sur les huit dernières années. Mais malgré son aura de champion, la tâche de Bettini s’annonçait d’ores et déjà difficile, compte tenu des parcours qu’il allait avoir à affronter lors de sa prise de fonction. Sur les routes australiennes en 2010, c’est à contre-courant que Pippo Pozzato, leader désigné, se pris les pieds dans le tapis, échouant alors qu’il était pressenti comme le rival de Gilbert. Le Belge ne gagnera pas, mais le sacre de Thor Hushovd prouve encore davantage que les qualités de grimpeur n’étaient pas primordiales. La réussite semble alors s’écarter d’une équipe qui privilégie désormais la jeunesse prometteuse à l’accumulation d’ego. En 2011, sur le tracé tout plat de Copenhague, le contingent azzuri ne compte aucun sprinteur qui ne puisse jouer la gagne, la Squadra est transparente.
La pilule est dure à digérer et les critiques commencent à fuser. En voulant prôner la transparence et éliminer les candidatures des repentis ou autres impliqués dans les quelconques affaires de dopages gênantes, Bettini veut bien faire, comme souvent. Mais force est de constater qu’il se tire une balle dans le pied. Si les prometteurs Sacha Modolo, Enrico Battaglin, Oscar Gatto ou encore Moreno Moser sont appelés à prendre le leadership d’ici deux ou trois années, ils sont trop tendres dans leur tactique de course et ne possèdent pas encore la lucidité des grands champions. Le double vainqueur de Liège-Bastogne-Liège n’est donc pas aidé dans sa démarche. D’autant que celle-ci passe assez mal chez les observateurs transalpins. C’est un peu le bon donneur de leçons contre l’overdose d’argent, de dopage, et finalement tout à la fois. Dénonçant les folies du monde amateur, la pression est encore plus grande lorsque les résultats n’arrivent pas, et que la liste des hommes pour Valkenburg est largement contestée par les observateurs, dont Giuseppe Saronni, son féroce rival de Lampre. Se privant d’un Pozzato euphorique en cette année 2012 ou encore des expérimentés Scarponi et Ballan, c’est une tactique inhabituelle d’attentisme qui est employée, avec pour leader un homme qui a un état d’esprit opposé : Vincenzo Nibali
La désillusion florentine, celle de trop
Derrière cet épisode révélateur, on sent surtout un Paolo Bettini quelque peu déboussolé, avec un champ d’expression qui se restreint au fil du temps. Victime malgré lui d’une légère régression des nations historiques au profit de ce nouveau cyclisme dont on parle temps, porté par les anglo-saxons, Bettini n’arrive pas à trouver de solution tactique. A l’aube des Mondiaux de Florence à domicile, il est au dos du mur. Mais son équipe réalisera une course incroyable. Alors que les médias italiens étaient impitoyables avec leur ancienne idole, c’est à une métamorphose complète et l’orgueil de l’un des plus grands finisseurs du peloton mondial de ces dernières années que l’on a assisté dès la préparation. Une victoire autre que de celle d’un petit lutin bleu devient de moins en moins envisageable, surtout avoir un parcours aussi propice à un homme, érigé en héros de la nation depuis des mois, Vincenzo Nibali.
La course est le moment de sortir le grand jeu, et les Italiens ne se louperont pas. Non seulement Bettini cherche à rassembler toutes les forces de son pays dans la même équipe et fait exception du code éthique qu’il avait instauré, mais il fait aussi surgir la nostalgie des courses traditionnelles d’antan lorsque le déluge s’abat sur la cité toscane. Le ménage doit être fait dès le début, et le schéma tactique est ici clairement défini, avec un ordre d’exécution rondement mené. On roule fort, très fort, étire, attaque afin de semer la zizanie pour en rajouter une couche. Le plan sera exécuté à la perfection, mais les rayons du soleil l’emporteront sur les audacieuses ténèbres. La pluie s’en est allée, et la poisse de ces quatre années semble refaire son retour lorsque Nibali chute, et termine esseulé au sein d’un groupe plus rapide que lui. Un véritable camouflet pour la patrie qui rentre bredouille de la course en ligne et qui sombre dans une disette sans précédent depuis les années 60.
Néanmoins, si la fin d’un homme incompris dans son propre clan sonnait comme une évidence, c’est sans regrets que Paolo Bettini tire un bilan honnête de ses performances. Si la culpabilité règne, et que l’envie d’un nouveau défi avec Alonso a pris le dessus, c’est sans aucun doute lié à l’impatience de la fédération transalpine, ne pouvant tolérer une période de transition, pourtant inévitable, que devra mener Davide Cassani. La solution interne a donc été choisie par Renato di Rocco, malgré une envie de changement prononcée chez les internautes italiens. En effet, à l’occasion d’un sondage de nos confrères de Tuttobici , Cassani ne l’emportait que pour une très petite marge devant Paolo Savoldelli, Michele Bartoli et le plus intriguant Luca Scinto, bâtisseur du Yellow Fluo Project. Néanmoins, il faudra réagir vite du côté de l’ancien coureur et consultant télévisé à la RAI, sur les chemins de Ponferrada et Richmond, si il ne veut pas subir le même sort que son prédécesseur, au cœur d’un siège plus éjectable que jamais.