Pratiquement tout le monde parlait d’Arnaud Démare à l’heure du grand départ, et pour cause, le champion du monde espoirs 2011 arrivait auréolé d’un titre de champion de France. Sauf que depuis le coup d’envoi donné à Leeds, c’est un autre sprinteur français qui crève l’écran en la personne de Bryan Coquard. Invaincu aux sprints intermédiaires et auteur de deux prometteuses quatrièmes places à Harrogate et Londres, à chaque fois derrière le titanesque Marcel Kittel, on se demande s’il est capable d’aller encore plus haut et de créer la sensation là où on ne l’attendait pas.
Les bases d’un début de saison tonitruant
L’ancien pistard, médaillé d’argent à l’omnium des JO de Londres en 2012, est venu sur ce Tour de France dans une relative discrétion. En effet, comme en 2013, le poulain de Jean-René Bernaudeau s’était fait une spécialité de briller durant toute la première partie de saison, d’une Etoile de Bessèges brillante, ponctuée par une victoire impressionnante en haut du Mur de Laudun devant un certain John Degenkolb, au Tour de Picardie. La fin d’un premier cycle, comme l’intéressé lui-même nous l’expliquait au départ de la semi-classique Paris-Camembert mi-avril. A travers ces paroles, c’était surtout la volonté de découvrir quelques classiques, et notamment l’Amstel Gold Race, qui transparaissait. Revenu à son format du début des années 2000 avec une arrivée jugée après le Cauberg, et donc plus propice aux puncheurs-sprinteurs, Coquard ne partait pas dans l’idée de tout miser sur un grand tour, comme ont l’habitude de le faire les cadors du peloton. Vainqueur à cinq reprises depuis janvier, la montée en World Tour de l’équipe Europcar, décriée pour de justes raisons, n’a toutefois pu lui faire que du bien, et son apprentissage sur des épreuves telles que Paris-Nice ou Gand-Wevelgem lui ont apporté un plus dans son apprentissage précoce de la route.
A la manière d’un Nacer Bouhanni les deux dernières années, et d’Arnaud Démare en 2012, il aurait été logique qu’il se décide à disputer un Giro ou une Vuelta afin de se confronter au meilleur d’une adversité souvent moins relevée, et dépourvue de la pression médiatique qui hante nos coureurs tricolores. Mais le natif de Saint-Nazaire est mature, et est en train de prouver qu’il sait mener sa barque, en voulant participer directement à la plus grande course du monde, par le biais d’une préparation en Suisse qu’on qualifierait d’idéale, où il n’a gaspillé aucune cartouche et côtoyé un univers sans doute plus paisible que celui d’un Dauphiné où la comparaison aurait inévitablement été effectuée avec Démare, au top sur les flandriennes. A côté d’un duel éxagéré entre deux des meilleurs sprinteurs français chez l’équipe voisine, Bryan Coquard se fait surtout remarquer par ses interventions pleines d’humilité et d’ambition, avec cette fougue qui lui donne la volonté d’en vouloir toujours plus. Puis, en ayant retrouvé la forme de son début d’année sur les routes anglaises, le médaillé d’argent aux Mondiaux espoirs de Valkenburg en 2012 réalise un formidable coup pour sa formation Europcar. Ses deux emblématiques représentants, Voeckler et Rolland, sont arrivés en stars, tandis que Coquard s’est rendu à Leeds sur la pointe des pieds. Le schéma inverse pourrait se produire le soir des Champs-Elysées, chose qui serait profitable à tous. On rompt avec les habitudes incontournables de la belle échappée, et avec le formidable travail d’un espoir qui monte comme Kévin Réza pour replacer son jeunot de leader, c’est indiscutablement un vent de fraîcheur sur ce Tour de France.
Le plus à même de titiller Sagan pour le maillot vert ?
Une fraîcheur qui pourrait tout de même se révéler importante pour la suite du Tour de Bryan Coquard, qui réalise pour l’instant un admirable sans faute aux sprints intermédiaires. Quant aux emballages finaux, c’est tout aussi honorable. Quatrième en évitant par un réflexe de survie la chute de Mark Cavendish à Harrogate, et terminant à la même position sur The Mall en ayant frotté sous la pluie, c’est surtout son accélération qui nous tente à attendre encore mieux dans les prochains jours, tellement cet homme véloce au petit gabarit semble avoir de la réserve. Au classement du maillot vert, si Peter Sagan a fait le plein pendant le séjour d’Outre-Manche, le Français est troisième avec seulement 29 points de retard. Malgré un Marcel Kittel au-dessus de la meute, le maillot vert n’est pas du tout la priorité ni l’objectif au sein de la Giant-Shimano, et en montant encore une ou deux marches, Coquard pourrait rapidement devenir l’ennemi numéro un de Sagan. D’autant plus que les spécificités vallonnées du parcours du Tour correspondent tout aussi bien à un coureur comme Coquard, qui apprécie les bosses courtes et raides, comme celles sur le chemin de Nancy par exemple, où un parcours au fort dénivelé comme ceux d’Oyonnax et de Saint-Etienne.
Néanmoins, le Slovaque reste supérieur sur le papier, même s’il a laissé quelques points en route en étant moins impérial qu’on pouvait le penser. Mais conforté par l’abandon de son plus sérieux concurrent, Mark Cavendish, il est rentré dans une logique de gestion où son assurance lui permet de faire les placettes nécessaires sans impressionner, parfois presque sur la retenue. C’est dans cette dynamique là que le danger peut survenir, et Sagan aurait bien tord de sous-estimer son jeune challenger, gravissant les échelons étape après étape. Toutefois, un dilemme pourrait rapidement s’installer dans la tête de l’encadrement de la formation Europcar. Jouer les victoires d’étapes ou tenter le diable afin de réaliser une prouesse inattendue ? Car à ne pas trancher officiellement, on se disperse facilement et on perd de l’énergie. Des monstres physiques comme Greipel peuvent se permettre de jouer sur les deux tableaux car leurs facultés leur permettent de le faire, mais ce serait un jeu dangereux que de faire subsister le doute chez Coquard. Un maillot vert est sans doute dans ses cordes pour l’avenir, et nul doute que le temps jouera en sa faveur, mais à son âge, une victoire d’étape représente sans doute plus, et il semble en possession du petit plus qui peut faire vaciller Kittel. En s’économisant à fond sur certaines étapes, il peut faire quelques sprints au top de sa forme, tandis que son comportement sur trois semaines reste une énigme. Alors, autant profiter de son état du moment, non ?