On était plus ou moins prévenus : Vincenzo Nibali avait terminé troisième de l’étape des pavés l’année passée, et Nicolas Portal assurait depuis quelques jours à qui voulait l’entendre que Christopher Froome aimait les pavés. Mais il y avait quand même un peu de surprise – et un sacré côté vintage – ce mardi, lorsque l’Italien et le Britannique ont survolé les secteurs au programme.
Nibali, le flandrien
Il y a un an, entre Ypres et Arenberg, le Sicilien avait plus que conforté son maillot jaune grâce aux pavés. Il avait collé deux minutes trente à Contador, et encore plus à tous ses autres concurrents. Troisième à l’arrivée, seulement devancé par Boom et son coéquipier Fuglsang, le Squale avait bâti son succès de juillet dans les conditions dantesques de cette cinquième étape. Ce mardi, il aurait donc bien aimé réaliser un coup similaire, surtout après avoir concédé du temps dans une bordure vers Zélande. Mais pas vraiment aidé par des secteurs en côte et une météo plutôt clémente, il n’a pas réussi à rééditer son coup de force. Il n’empêche que l’impression visuelle était une nouvelle fois sidérante : Nibali a passé tous les secteurs à l’avant, dans la roue de véritables spécialistes comme Vanmarcke, Boom, Stybar ou van Avermaet. Et surtout, conscient que la sélection ne se ferait pas vraiment par l’arrière, il n’a pas hésité à attaquer dans les secteurs compliqués !
Le cul sur sa selle, à plusieurs reprises, le Sicilien a espéré s’envoler. Parfois avec l’aide de quelques coéquipiers, parfois même seul. Passer à l’offensive là où les autres luttent pour rester sur leur machine, cela résume parfaitement le panache de Nibali. Alors même s’il n’a finalement pas réussi à se détacher, le spectacle était grandiose. Le dernier vainqueur du Tour qui entre en tête sur les secteurs pavés et qui tente de faire sauter tout le monde, c’est une image que l’on n’avait plus l’habitude de voir depuis plusieurs décennies. Donc forcément, on en profite et on s’en réjouit. « Si l’on s’était entendu avec Froome après le deuxième secteur, qui sait ce qui aurait pu se passer car Contador était légèrement lâché… », regrettait presque l’Italien à l’arrivée, conscient du retard qu’il a à rattraper. En tout cas, si aucun écart n’a été fait entre les favoris, on ne peut pas en vouloir au natif de Messine, qui a assumé ses responsabilités.
Froome, le « sauvage »
« Quand on a repéré les pavés, il y a quelques mois, Chris rentrait comme un sauvage dedans. Il est propre. Il a tellement envie de bien faire qu’il n’a pas d’appréhension. » Les mots sont signés de Nicolas Portal, le directeur sportif de l’équipe Sky. On pouvait encore en douter avant l’étape d’hier, tant la formation britannique avait des raisons de craindre les pavés et donc de bluffer. Mais finalement, les facilités de Froomey sur les pavés se sont confirmées, et il n’a presque jamais semblé en difficulté, contrairement à Contador et Quintana notamment. Et même s’il n’a pas été aussi actif que Nibali, décidément roi des pavés parmi les grimpeurs, le vainqueur du Tour 2013 a quand même placé une attaque dans le final. La preuve qu’il avait encore les jambes après sept secteurs qui auraient pu le persuader de rester planqué jusqu’au bout en se contentant de ne rien perdre sur ses rivaux.
Le natif de Nairobi, qui n’avait plus goûté aux pavés en compétition depuis Paris-Roubaix 2008, était au centre de beaucoup d’interrogations. Mais presque dans la surprise générale, sur l’étape la plus longue de ce Tour 2015, il est l’un de ceux qui a le plus rassuré. « En attaquant à la fin, je n’ai pas essayé de montrer à quel point j’étais fort sur les pavés, c’est juste que je voulais rester à l’avant et éviter les soucis, a expliqué le Britannique. Et puis j’avais Geraint (Thomas) devant moi, donc je me suis dit ‘’pourquoi pas ?’’ » Froome n’a finalement piégé personne, mais s’est montré d’une sérénité qu’on ne lui connaissait plus vraiment. Entre lui et Nibali, sur l’étape que les leaders pouvaient logiquement craindre, on a donc cru voir deux spécialistes. Un petit retour au cyclisme d’antan, où les vainqueurs du Tour brillaient aussi sur les classiques flandriennes. Et ce n’est pas pour nous déplaire.
Nibali incarne décidément un cyclisme “romantique”. Son aisance sur les pavés, ses longs raids (Dauphiné, Il Lombardia), ses prises de risque en descente et de préférence quand les conditions sont difficiles nous rappelle une époque que l’on pensait révolue où les grands champions s’affrontaient aussi bien sur les pavés du nord en avril que dans les cols des Alpes l’été venu. A l’heure de l’hyper-spécialisation, un coureur tous terrains comme Nibali fait forcément rêver, mais il s’est lui aussi mis à délaisser les classiques ardennaises pour se concentrer sur le Tour et il est – malheureusement – peu probable de le voir défier les flandriens sur leur terrain lors des classiques.
*rappellent
On se demande pourquoi Nibali ne s’intéresse pas à Paris Roubaix. Maintenant qu’il a gagné les trois tours et qu’il fait face à une grosse concurrence sur ces tours, même à l’intérieur de son équipe ( Aru) , il pourrait se donner d’autres challenges aussi prestigieux.