Depuis deux bons mois, la polémique a sévèrement enflé autour du cas de l’équipe Astana. Renaissant de ses cendres parfois nauséabondes, l’équipe kazakhe a connu un déferlement médiatique sans pareil en deuxième partie de saison. D’abord sportivement par la victoire de Vincenzo Nibali au Tour de France, puis pour des questions éthiques à cause de nombreux cas rapprochés de dopage. Devait-on pour autant l’ostraciser du World Tour ?

L’UCI n’en avait pas les moyens

Au cœur d’une problématique ancrée dans toute pratique sportive, et sans doute plus encore dans le monde cycliste, le dossier d’Astana a rapidement suscité l’interrogation, et une certaine colère chez un public révolté par les précédents ayant entaché le Tour de France. L’EPO, le système Armstrong, un Richard Virenque pas très propre, le mutant Rasmussen et plus récemment le contrôle au clenbutérol d’Alberto Contador, déjà sous le maillot concerné, ou encore de Frank Schleck en 2012, ont suffit à plonger les spectateurs dans une interrogation devenue intuitivement permanente : « Est-il dopé, oui ou non ? » En ce sens, le triomphe parisien de Vincenzo Nibali s’installait dans une logique de renouveau, symbolisée par un coureur charismatique, ayant conquis une bonne part des fans. Et voilà que trois mois plus tard, les notifications de l’UCI tombent comme un coup de massue. Les frères Iglinskiy, Davidenok, Okishev et Fedosseyev. Au total, cinq cas de dopage dans la même équipe, dont un ancien vainqueur de Monument, et un clan kazakh particulièrement visé par le biais de la structure de formation Astana Continental. Plus généralement, le regroupement quasi familial et obscur de ces coureurs, dans l’équipe professionnelle, se confirme dans les dernières déclarations de Nibali, Westra, Brajkovic ou Tiralongo… C’est l’origine profonde de l’équipe qui est touchée, et son organisation interne remise en cause. Dans leur comportement, ces nouveaux tricheurs ressemblent étroitement à la jeune génération russe régulièrement prise au travers des mailles du filets. Dans ces pays d’Europe de l’Est, y aurait-il un malaise plus inquiétant qu’ailleurs chez les jeunes générations vis-à-vis des produits illicites ?

C’est aussi grâce à la distinction entre l’équipe mère et sa filiale que la bande à Alexandre Vinokourov a pu obtenir le précieux sésame pour 2015. On voyait mal l’UCI et son nouveau président Brian Cookson, déterminé à rassembler un maximum de preuves, rééditer la même erreur qu’il y a deux hivers, où la relégation surprise de Katusha en Continental Pro était plus dictée par un règlement de compte personnel entre Pat MacQuaid et Andreï Tchmil que par un critère éthique très flou. Le refus juridique prononcé par le TAS avait alors interrompu un imbroglio remettant en cause de fond en comble toute l’organisation de la saison à venir. En se passant d’Astana au niveau supérieur, comment les sociétés gérantes des plus grandes compétitions auraient-elles distribué leurs invitations, entre préférences nationale et historique, et une équipe présentant des stars mondiales ? Un casse-tête qui fait face à une augmentation croissante du nombre d’équipes en division inférieure, et à une réforme du système World Tour prévue pour les prochaines années. Ce serait déjà le changement avant l’heure si Astana se retrouvait sur le carreau, avec des conséquences contractuelles non négligeables. Une grande majorité d’un effectif internationalisé activerait alors sa clause de relégation, comme ce le fut un temps évoqué lorsque Joaquim Rodriguez fut victime collatérale des relations houleuses de l’hiver 2012. Or à la mi-décembre, les portes sont déjà fermées depuis longtemps…

Une sanction se doit d’être généralisée

Autre épine dans le pied de l’UCI si la rétrogradation d’Astana devenait réalité, son attitude vis-à-vis d’autres équipes au CV comparable. Récemment, l’assemblée générale du Mouvement Pour un Cyclisme Crédible décidait à l’unanimité de suspendre la formation Neri Sottoli de l’organisation, en raison de contrôles positifs trop fréquents à la même substance, l’EPO Cera. L’insaisissable Di Luca, l’étonnant Santambrogio, et enfin Matteo Rabottini, image d’une génération italienne rongée, étaient concernés. Incapable de prendre des mesures en dehors des communiqués de presse, le staff de l’anciene Vini Fantini a fait les frais d’une gestion catastrophique des cas individuels, et se retrouve maintenant en très mauvaise posture devant l’organisateur du Giro, RCS Sport, supposé l’inviter en raison de leur dernier titre à la Coupe d’Italie par équipes. Que dire aussi de Rusvelo, intimement liée à l’équipe Katusha, coutumière des scandales de dopage ? Et quid d’une CCC Polsat emmenée par un duo Rebellin – Schumacher ?

En retardant le délai concernant l’accord ou non des licences pour les dernières équipes, l’UCI a pris un temps de réflexion certain, avant de statuer sur le renouvellement du statut de ces dernières. Astana confirmée, Neri acceptée, les décisions ont été prises dans un élan de cohérence. Car après chaque contrôle positif, la course aux rumeurs les plus folles est inévitable, et l’entourage du président Cookson aura su ne pas tomber dans la surenchère. On parle d’une liste de 90 noms susceptibles d’entretenir des liens très proches avec le docteur Michele Ferrari, mais ces investigations nouvelles devront attendre pour connaître un débouché complet, et leur date de parution coïncide étrangement avec l’allongement des tractations entre Astana et les instances. De la même manière, il serait absurde de rayer Astana de la liste pour des prétendus contacts avec le même Italien lors de stages au Canaries. Si Ferrari se trouvait au Teide, il n’était pas loin de bon nombres d’équipes phares, adoptant de plus en plus cette mode préparatoire. Sky, Tinkoff, Trek, AG2R la Mondiale… Clairement, si le ménage est devenu le maître mot, pour de justes raisons, il doit être fait sans exceptions. En dehors du débat qui tend à se résumer autour de la simple évocation de la capitale du Kazakhstan, le rapport des organisations dirigeantes au dopage n’est toujours pas facilité, en dépit de progrès considérables, et de véritables opérations de transparence qui semblent être mises en places dans les deux parties. Publication de passeports biologiques, données d’entraînement, annonces secrètes des cas positifs sur le site internet de l’UCI pour éviter de défrayer la chronique, tout cela va dans le bon sens, et semble s’installer comme le meilleur moyen pour réconcilier connaisseurs désolés et un grand public tombant trop rapidement dans l’amalgame. Maintenir Astana en haut de l’affiche est toujours sujet à débat, mais la déclasser aurait été périlleux à tous égards.

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