Dès le départ de Belfast demain, les observateurs devraient vibrer au rythme du duel tant annoncé entre Rodriguez et Quintana. Mais une question demeure : n’est-ce pas à une démonstration du Colombien que l’on s’apprête à assister, notamment en dernière semaine ? Après avoir déjà ébahi le public espagnol et surtout français, le grimpeur de la Movistar s’attaque à un autre sacré morceau, l’Italie. Pour gagner sa première course de trois semaines, à seulement 24 ans.
Une opportunité en or
Sur le Tour d’Espagne 2012, Nairo Quintana n’était encore qu’un jeune espoir dont on promettait un avenir radieux, mais sans s’aventurer plus loin que ça. D’une aide précieuse pour son expérimenté leader Alejandro Valverde en troisième semaine, sur les pentes du Cuitu Negru ou encore de la Bola del Mundo, l’un des hommes forts de la nouvelle génération des nouveaux « escarabajos » de Colombie a alors confirmé après sa révélation lors d’une victoire finale brillante sur la Route du Sud. Prévu pour le centième Tour de France l’été suivant, ce virevoltant joker a alors déployé ses ailes au secours d’une équipe malchanceuse et laissé bouche bée le monde du cyclisme en tenant tête à l’intouchable Froome sur le Ventoux, avant de le battre au Semnoz. Assurément l’un des tout meilleurs grimpeurs au monde donc, qui n’aura pas eu besoin de beaucoup d’années pour réciter ses gammes. Et le voilà cette année sur le Giro. Un choix sans doute guidé par les préoccupations du sponsor Movistar, mais qui est idéal du point de vue sportif. Déserté par les britanniques de Sky, Vincenzo Nibali ou encore Alberto Contador, le deuxième et maillot blanc de la dernière Grande Boucle se voit offrir un très relatif boulevard pour repartir de Trieste avec le maillot rose dans son escarcelle. Plus encore, il partira avec la confiance et l’assurance d’avoir déjà battu son rival Purito en juillet dernier. Tout sauf négligeable avant de devoir affronter ce qui pourrait être défini comme les véritables obstacles du Tour d’Italie, à savoir son parcours.
Et même à ce stade là, tout les signaux sont encore au vert quand il s’agit de décortiquer les haut lieux de ce Giro. Avec dix arrivées au sommet, le Condor des Andes ne devrait faire preuve d’aucune timidité dès les premières pentes sévères de la course phare du mois de mai. Si on ne devrait pas le voir se découvrir dès les premières étapes pour puncheurs à Viggiano et Montecassino en première semaine, il serait intéressant de le voir porter l’estocade dès la première étape rendant hommage au regretté Marco Pantani et son Monte Carpegna, ou encore en haut du Pian del Falco di Sestola. Plus globalement, les favoris auraient tord de cadenasser l’épreuve et de tout ramener à la troisième semaine qui fait peur à tout le monde, mais connaissant le spectacle habituel réservé par le Giro, bien des choses devraient se passer, et à Quintana d’en profiter. Car à la veille de l’entrée dans les Alpes, il faudra négocier un contre-la-montre individuel long et escarpé entre Barbaresco et Barolo, au cœur de la célèbre route des vins. Mais là encore, difficile de prédire à l’avance comment s’en sortira le vainqueur du Tour de Burgos, également capable de frapper un grand coup, comme sur le chrono du Tour du Pays Basque 2013, où il avait entériné sa victoire au général. Puis ce sera enfin l’avalanche de cols dédiés au Pirate… Oropa, Montecampione, Gavia Stelvio et Val Martello réunis, Panarotta, Monte Grappa et Zoncolan. Son terrain de jeu favori, assurément, d’autant plus que tout porte à croire que le vainqueur du Tour d’Emilie 2012 continuera sur sa lancée, à savoir sa victoire à San Luis, une deuxième place sur le Tirreno – Adriatico, un avant goût du Giro, et sa cinquième en Catalogne.
Un statut de favori légitime à assumer
Car, désormais, plus question de compter sur l’effet de surprise. Cela implique donc une concentration minutieuse du premier au dernier jour, et de courir en leader. Gare donc aux pièges irlandais qui pourraient déjà faire une première sélection, mais surtout lors des probables étapes mouvementées. Le scénario de l’étape de l’Aquila en 2010 avec une échappée incontrôlable d’une cinquantaine de coureurs est encore dans toutes les têtes, mais c’est surtout l’exploitation parfois soudaine des pièges transalpins par les opportunistes qui pourraient donner du fil à retordre à un Quintana attendant la haute montagne. Carlos Betancur avait fait parler la poudre sur l’étape menant à Florence, tandis que certains avaient perdu gros dans les journées dites de transition en troisième semaine durant l’édition 2013. C’est encore plus vrai lorsque vous ne bénéficiez pas d’une équipe solide et entièrement dévouée à votre cause. Mais ce ne sera pas le cas de Nairo les prochains jours ! Plutôt habituée à jouer les étapes lors des derniers Giri, la formation d’Eusébio Unzue a composé une équipe de premier plan, avec notamment Igor Anton, vainqueur en haut du Zoncolan en 2011, comme lieutenant de Quintana, en plus des Amador ou autres Capecchi. Une structure qui ne devrait pas non plus laisser filer des secondes précieuses d’entrée de jeu lors du chrono par équipes, comptant dans ses rangs des rouleurs de classe mondiale, comme Adriano Malori ou Jonathan Castroviejo.
Enfin, ce qui pourrait tout de même freiner un coureur comme Quintana reste son expérience limitée dans les moments décisifs afin de jouer la gagne sur un Grand Tour. En effet, le sud-américain n’avait plus rien à perdre après même le chrono du Mont-Saint-Michel, tellement Froomey avait course gagnée dans toutes les têtes… Le natif de Tunja s’attend également à avoir la vie dure malgré une opposition moins relevée mais très homogène. Désigné comme l’un des hommes à abattre, il sera très intéressant de voir si le garçon résiste toujours à une pression cette fois annoncée depuis bien des mois. Il sera également question de canaliser la fougue et son tempérament latin bouillant, afin de ne pas gaspiller inutilement des cartouches. Sans toutefois courir à l’économie, la recherche du juste milieu sera primordiale, et il serait plutôt normal de le voir alterner entre surveiller ses adversaires sans trop en faire, et de les assommer le lendemain sur un profil taillé pour lui. Et quoi de mieux qu’un asphyxiant cronoscalata pour, par exemple, récupérer le temps perdu sur un Rodriguez lors d’un mur final ? Quintana devra donc survivre aux embûches de ce 97ème Tour d’Italie pour l’emporter, dont les conditions météorologiques, pas encore franchement folichonnes. On l’imaginerait aisément souffrir du froid… Le vainqueur du Tour de l’Avenir se doit donc de trouver la bonne voie pour décrocher le premier succès d’un palmarès qui ne demande qu’à se garnir. Ce serait alors le premier vainqueur colombien sur le Giro, et le deuxième sud-américain après la Vuelta 1987 de Luis Herrera, et il a toutes les cartes en main. Vamos !
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