Avec un record historique d’audience en mai, une place de première chaîne française à la fin de plusieurs étapes du Giro, la chaîne L’Équipe a réussi son pari italien. La fortune de la centième édition, pleine de suspense et de succès français, lui a souri. Néanmoins, il fallait une équipe de qualité aux commentaires pour attirer et fidéliser les téléspectateurs. Et aux côtés de Patrick Chassé, Stephen Roche et Jean-Paul Ollivier, un homme, Jérome Pineau, a crevé l’écran. Entre sa connaissance du peloton et de ses acteurs, ses envolées lyriques maîtrisées et un ton toujours adapté, l’homme aux dix-sept grands tours a rendu ce Giro un peu plus magique encore.

L’Équipe gagnante

Il y a quelques mois, la chaîne L’Équipe obtenait les droits de diffusion sur les courses de RCS Sport, au nez et à la barbe de beIN Sports qui les détenait depuis 2013. Entre autres épreuves, Milan-Sanremo, le Tour de Lombardie, Tirreno-Adriatico et le Tour du Dubaï arrivaient sur la TNT. Mais le plus gros morceau du package était le centième Tour d’Italie. Une acquisition phare dans le grand mouvement de la chaîne, impulsé par Cyril Linette, vers un programme multipliant les rendez-vous en direct. Pour les fans, cela signifiait voir le Giro en clair. Pour le Giro, cela impliquait de toucher plus de téléspectateurs. Ça n’a pas loupé, en mai, le canal 21 de la TNT a généré une part d’audience de 1,7 %, son record historique. Pas forcément une surprise si l’on en croit Patrick Chassé : « Depuis que la chaîne diffuse des événements en direct, le vélo a toujours fait de bonnes audiences. Et sachant comment le groupe L’Équipe allait mettre en oeuvre son faire savoir en plus de son savoir faire, je m’attendais à ce que le public soit au rendez vous. » Un euphémisme tant le groupe historique a activé sa puissance d’attraction. Le papier du journal en rose pour le départ, des Unes à la gloire du Giro et un site internet habillé pour l’occasion, il ne manquait plus qu’à tenir en haleine les téléspectateurs attirés sur l’antenne.

Après un départ poussif, l’équipe aux commentaires s’est décomplexée pour nous livrer deux dernières semaines de grande qualité. Une voix, surtout, a réussi à prendre la roue des coureurs pour faire vivre le spectacle. Cette voix, c’est celle de Jérôme Pineau, pourtant modeste sur son impact : « C’est plus facile de commenter le Giro quand il y a du suspense, des rebondissements et des Français omniprésents. » Pas faux. Il fallait néanmoins réussir à faire vivre l’événement dans toute sa dimension. Or, loin de l’Italie, dans les studios à Boulogne, ce supplément d’âme ne pouvait venir que de la qualité des hommes au micro. À côté du néophyte Stephen Roche et du chevronné Jean-Paul Ollivier, le duo Chassé-Pineau devait être au rendez-vous. Certes, Pineau connaissait déjà bien le métier de consultant lui qui a « mis le pied à l’étrier avec Emmanuel Barth sur beIN Sports durant un demi-Giro, en compagnie de Cédric (Vasseur) » et qui travaille chez RMC. Mais on ne l’attendait pas à ce niveau.

Sans aucun doute, c’est ce Giro qui l’a révélé. L’ancien coureur de devoir, dur au mal, a parfaitement embrassé son rôle de consultant tout en dépassant parfois la simple analyse tactique, nous emmenant avec lui à la manière d’un Roger Couderc, dans la folie de la fin d’étape vers Asiago conclue par le succès de Thibaut Pinot. « La victoire de Thibaut, avec celle de Pierre (Rolland), étaient vraiment deux beaux moments, intenses, savoure Jérôme Pineau. En plus, quand Thibaut gagne, les écarts se resserrent, on imagine même qu’il peut gagner à Milan. » Ça valait bien des encouragements enflammés. Car c’est bien dans ce domaine-là que l’ancien protégé de Jean-René Bernaudeau a franchi un cap durant ce Giro. « Je ne me vois pas uniquement comme un spécialiste de tactique mais je vis les choses dans l’instant, comme chez moi devant la télé. C’est comme ça que je vois mon rôle, à m’enflammer pour les belles choses. Je peux prendre du recul, je peux analyser mais je veux aussi être dans l’instantané », décrit l’intéressé. Jusque-là, on sentait cette exaltation poindre, mais le Giro l’a totalement révélée. « Jérôme m’a surpris par son enthousiasme. Il ne cesse de vivre plus intensément ce qu’il commente. Il se sent de plus en plus à l’aise et c’est vraiment bien », témoigne son compère Patrick Chassé. Je savais qu’il était capable de ça et qu’il avait des choses très intéressantes à faire partager au public. Parfois, les coureurs ont du mal à donner tout ce qu’ils ressentent et ce qu’ils ont à dire. Jérôme a compris ce qu’on attendait de lui et il s’est complètement libéré. » Pour notre plus grand plaisir.

Un passionné à l’ouvrage

Cette métamorphose, Jérôme Pineau la doit aussi à Patrick Chassé, toujours bon dans son registre, bien qu’un peu dépassé parfois à cause à des directs épuisants de six heures. « Il m’a beaucoup guidé, beaucoup aidé. On n’est pas un bon consultant sans un bon journaliste à côté de soi, car c’est lui qui vous met en valeur. Patrick a vraiment ce savoir faire, cette expérience » abonde d’ailleurs Jérôme Pineau. Mais s’il s’est affirmé en transmetteur d’émotions, le jeune retraité des pelotons n’a pas pour autant oublié son rôle premier de consultant, qu’il a managé parfaitement. Jérôme Pineau était un travailleur sur le vélo et au micro, il n’a pas changé. Très au fait de tous les éléments de course, parfait sur les road-book, Pineau ne le cache pas : « être consultant, c’est presque être journaliste. On doit travailler, aller chercher des infos, préparer le direct… »

Mais il y a bien pire labeur, et l’ancien de l’équipe IAM l’avoue sans peine : « Je suis un très grand passionné avant tout. Or, travailler comme consultant, c’est regarder un maximum de courses donc je n’ai même pas l’impression de travailler ! » Le marathon de trois semaines lui rappelle aussi des souvenirs. « C’est fatiguant, moins épuisant que sur le vélo d’accord, mais c’est une fatigue mentale et à la fin il y a le même petit blues. C’est semblable car on est une bande de potes qui travaillent ensemble au quotidien pendant trois semaines, donc c’est un peu la même sensation de manque après coup. » Il hésiterait même à en faire sa reconversion définitive. « J’aime ce métier-là, mais j’ai un double projet. Je suis en train de finir mes études pour obtenir mon diplôme de manager. Ensuite, j’aimerais monter ma propre structure. Si je dois choisir je serais embêté car j’aime faire les deux » , admet-il.

Il est vrai que cet autre rôle pourrait également lui convenir, tant il connaît les rouages du peloton. C’est d’ailleurs l’un des autres atouts de Jérôme Pineau, il connait le monde professionnel actuel par cœur. « J’ai la chance d’avoir quitté le peloton il y a peu de temps et je suis aussi très physionomiste, donc je reconnais les coureurs très facilement. » Malgré ses facilités, Jérôme Pineau ne veut pas non plus occulter la préparation que requière le poste. « On ne va pas se mentir non plus, je n’y vais pas au talent, personne ne peut faire ça, j’ai beaucoup bossé. De toute façon, je n’ai jamais été un grand champion donc je ne me repose jamais sur mes acquis. Je sais très bien que mon nom ne suffit pas car je n’ai jamais rien gagné. » Une étape du Giro en 2010 tout de même, épreuve qui lui va si bien. Sur la selle et désormais au micro.

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