En prenant le maillot jaune à Sheffield, dès la deuxième étape de ce Tour 2014, Vincenzo Nibali a marqué les esprits. Mais il a aussi forcé son équipe à se mettre au travail dès la première semaine, et va devoir désormais assumer le maillot jaune. Et puisqu’on l’imagine mal le perdre puis le récupérer, il faudra, pour remporter le Tour, ne plus le lâcher. Sacré challenge que de garder ce paletot vingt jours !

Peu habituel

Dire que les principaux favoris du Tour tentent de prendre le maillot jaune au dernier moment n’est pas exact, car en réalité, ils le prennent quand ils peuvent. Cependant, il est évident qu’ils ne se pressent pas pour le prendre dès la première semaine. Même les Sky archi-dominateurs des deux dernières années attendaient le premier chrono, après une semaine de course, pour se positionner en tête du classement général. Ainsi, Bradley Wiggins en 2012 comme Christopher Froome en 2013 ont chacun porté le maillot jaune durant quatorze jours. Et pour remonter un peu plus loin, même Lance Armstrong restait discret en début de Tour. En moyenne, sur ses sept succès – ensuite retirés – sur la Grande Boucle, il a porté le maillot jaune un peu moins de onze jours. Puis, entre la période Armstrong et la période Sky, les chiffres étaient en baisse : Contador en 2010 – avant déclassement – ou Evans l’année suivante prirent ainsi les commandes du Tour la veille de l’arrivée, sur l’ultime chrono. Pour Sastre, il fallut attendre un peu moins longtemps, mais il ne se découvrit malgré tout que dans le dernier massif, en l’occurrence les Alpes.

Une stratégie qui s’explique par l’énorme pression qui pèse inéluctablement sur le maillot jaune. Celui-ci doit mettre à contribution son équipe pour maîtriser les échappées en attendant le relais des équipes de sprinteurs, et surtout, est la cible de l’ensemble de ses concurrents. Aujourd’hui, Nibali n’est plus le challenger décrit avant le grand départ britannique. Il est l’homme à abattre, celui que vont tenter de faire vaciller Contador, Valverde ou Porte. Et si jusqu’à maintenant, tout a été parfaitement géré par la formation Astana, c’est ce week-end que débutent les choses sérieuses. Vers Gérardmer, on a déjà entrevu un Jakob Fuglsang, principal lieutenant du Sicilien, en légère difficulté. Il faut dire qu’il protège Nibali depuis près d’une semaine, et qu’il a notamment réalisé un travail monstrueux sur les pavés. Mais alors, sur qui pourra compter le Squale dans les prochains jours ? Si le Danois ne retrouve pas rapidement un second souffle, la haute montagne pourrait s’avérer difficile pour un maillot jaune esseulé. Il sera alors temps de se mordre les doigts.

Pour le panache, et parce qu’il peut tenir

Mais Nibali n’y a sans doute pas pensé au moment de placer son attaque dans le final de la deuxième étape. Dans les rues de Sheffield, il a simplement voulu envoyer un message à ses concurrents, et peut-être un peu faire le show. Parce que le garçon est un nostalgique du cyclisme à l’ancienne, celui où l’on calculait beaucoup moins. Le cyclisme romantique diront même certains. Alors il a attaqué, ne pensant qu’au moment présent. Et si cela lui coûte au final un succès de prestige sur la Grande Boucle, il y a fort à parier que l’Italien ne regrettera rien. Car au moins, il aura couru en suivant ses valeurs. Avec panache, comme toujours. Et puis, d’ici à ce qu’il cède face à ses rivaux, il y a malgré tout un pas que l’on n’osera pas franchir. Car l’ancien vainqueur du Giro et de la Vuelta n’est pas né de la dernière pluie. Il a de l’expérience, connaît son corps et sait qu’il est capable de tenir jusqu’à Paris. Ce ne sera pas chose facile, on en convient.

Toutefois, s’il tient jusqu’à Paris, sa victoire sera historique. Dans l’histoire récente, ce serait du jamais vu. Il serait même au dessus de Merckx, porteur du maillot jaune vingt jours en 1970, mais avec une interruption, et sur un Tour comprenant 23 étapes. En revanche, il serait juste derrière Anquetil, leader du premier au dernier jour en 1961, mais ne prenant le mythique paletot que dans le seconde demie-étape du premier jour. Placé dans le grand livre du cyclisme entre ces deux légendes, Nibali serait sans doute à sa place : au milieu des grands champions du cyclisme « romantique ». Pour y parvenir, il y a encore du chemin puisqu’il faudra passer trois massifs et un chrono sans se faire rattraper par une meute affamée et persuadée qu’il y a une opportunité à saisir depuis l’abandon de Chris Froome. Mais le Requin de Messine est un homme de caractère, et si un coureur est capable de tenir la distance dans le peloton actuel, c’est bien lui. Sur le Giro 2013, il avait conservé le maillot rose quatorze jours. Cette fois, c’est juste un défi un peu plus imposant qui s’offre à lui. Il semble prêt à le relever.

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