Décrié, Vincenzo Nibali ? A travers les multiples abandons en série qui touchent les stars annoncée de ce Tour de France, le vrai/faux problème de la concurrence avait semé le doute au sein du public, et il était nécessaire de clarifier cela au plus vite. Comme en haut des Tre Cime di Lavaredo sur le Giro qu’il avait remporté l’année passée, Vincenzo Nibali souhaitait affermir sa supériorité incontestable sur la Grande Boucle par une victoire taillée XXL. La montée d’Hautacam n’a pu lui résister.

L’attaque jusqu’au bout

Ce Tour de France 2014 a commencé sous le signe de l’offensive pour Vincenzo Nibali, qui n’a eu que très peu de temps pour savourer son nouveau maillot de champion d’Italie décroché une semaine avant le grand départ de Leeds. Deux journées, et puis s’en va, le maillot jaune l’a substitué, et encore plus transcendé. Une attaque millimétrée vers Sheffield et déjà, les souvenirs d’un Sicilien joueur se devinaient à l’horizon. Plein de courage sur les pavés et dans les Vosges, la haute montagne était quand même plus qu’un obstacle à franchir puisqu’elle sert à sacrer les champions. La mission est totalement remplie à l’heure où nous écrivons ces lignes, puisque seul un incident mécanique ou une chute inattendue peut lui barrer la route d’un sacre sur les Champs-Elysées dimanche. Quatre victoires d’étape, dont trois en jaune avec une avance pourtant déjà confortable sur ses dauphins successifs, à savoir Porte, Valverde, et maintenant Pinot. Il aurait pu aborder les dernières journées – ou même toute la dernière semaine – de manière plus frileuse, sur la défensive, sans chercher l’affrontement. Mais le visage habituel du Squale, capable de se lancer dans des chevauchées dont plus beaucoup n’oseraient simplement penser dans ce cyclisme moderne, à l’image du Tour de Lombardie 2011 ou encore de Liège-Bastogne-Liège en 2012, a pris le dessus. L’équipe Astana a fait un recrutement pour contrôler, pour aider Vincenzo et contrecarrer le modèle du train Sky, ou de l’armada Tinkoff. Bien sûr que Scarponi, Fuglsang – auteur d’une énorme première semaine -, Kangert, Grivko, Iglinskiy, Westra et Gruzdev ont été utiles au déjà vainqueur du Giro et de la Vuelta. Mais dans les moments de vérité, il s’en est défait, comme pour mieux incarner l’image du romantique du cyclisme qu’il aime donner. Quitte à perdre avec les honneurs.

Alors, il fallait bien finir sur un souvenir fort. Loin d’être encore promise à lui sur la Planche des Belles Filles ou à Chamrousse, la victoire finale était déjà bien ancrée dans un coin de sa tête en ce jeudi. Sur une ascension pourtant irrégulière comme Hautacam et ses presque quatorze kilomètres de montée à 8% – avec au passage des portions à près de 12% -, il a décidé de partir au pied, sans aucune réaction de ses plus proches adversaires. Il y avait sans doute deux courses dans la course aujourd’hui, l’une pour le podium entre Valverde et les Français, et une autre loin devant pour le prestige. Alors que le troisième du Tour en 2012 derrière Wiggins et Froome n’avait pas été avare d’efforts avant la très haute montagne du Tour d’Italie en 2013 en prenant le maillot rose à l’issue du difficile contre-la-montre de Saltara, les milliers de tifosi situés de l’autre côté des Alpes n’ont qu’un souvenir en tête, sa victoire d’un autre temps en haut des Tre Cime. Même aux yeux des figures importantes du peloton en coulisses, comme Gianni Savio, qui avait déclaré qu’ « une telle victoire mérite l’approbation de tous. » Un caractère qui perdure.

Une montée presque symbolique

Vincenzo Nibali a aussi dû chasser les vieux démons qui le tracassaient et l’empêchaient d’avoir garni un peu plus son palmarès jusqu’ici. Lorsque Chris Horner, son douloureux bourreau d’un doublé Giro-Vuelta plus vu depuis Alberto Contador en 2008, tente un dernier baroud afin de sauver un Tour quelconque de la part de la Lampre, Nibali saute dans sa roue, comme si le général se jouait ici, dans un remake ironique du fameux duel de l’Angliru en septembre dernier, où l’inusable américain avait fait craquer par sa fraîcheur l’Italien. Sauf que cette fois, le rapport est totalement inversé, aussi bien physiquement que visuellement. Le vainqueur du dernier Tour d’Espagne avait amusé la toile par ses sourires, mais ne s’y trompait pas lorsqu’il peina à continuer son chemin au moment où un Nibali décontracté se positionna dans sa roue. L’ancien de la Liquigas a retenu la leçon et ne s’est pas fait prier pour le distancer quelques hectomètres plus loin, avant de rattraper le plus combatif du jour, l’Espagnol Mikel Nieve. Un coureur de l’équipe Sky tant redoutée, qui par l’intermédiaire de Chris Froome, l’avait mis à mal depuis le début de la saison, en Romandie notamment. Un joli pied de nez.

Désormais, il ne reste plus qu’à rester bien au chaud et à éviter les éventuels pièges de la route du Tour. Le chrono ne devrait en aucun cas lui poser problème, d’autant plus avec une marge atteignant 7 minutes et 10 secondes sur Thibaut Pinot. Un tel écart n’était plus vu depuis 2006 sur un grand tour, un Giro où Ivan Basso pulvérisait José Gutierrez à plus de neuf minutes. Le souci de se faire une marge qui parle en sa faveur pour un Nibali déjà coutumier du fait. Il avait repoussé Peter Velits à un tout petit peu moins de quatre minutes sur sa Vuelta de 2010, et Rigoberto Uran à presque cinq minutes de lui sur la course rose il y a un peu plus d’un an. Un maillot jaune qui marque donc l’épreuve de son empreinte, et qui prend du plaisir à répéter ses schémas. Il était même à deux doigts de souffler le maillot de meilleur grimpeur à Rafal Majka, et il a fallu une remarquable montée du Polonais pour que l’équipe Tinkoff ait le droit aux honneurs de la cérémonie parisienne. Le reste du podium ne peut donc pas émettre de réels regrets, tellement Nibali était le plus fort. Pinot et Péraud l’ont bien compris en essayant de le suivre, ils s’y sont cassé les dents… Froome ? Contador ? On ne saura jamais.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.