Et si dans ce final désormais historique du Ventoux, Froome était reparti sans encombre après son incident mais pas Mollema, immobilisé à cause d’un vélo inutilisable ? Nul doute que les événements qui ont suivi auraient été différents, et que personne n’aurait attendu une heure avant de savoir qui allait se parer de jaune. Récit de ce qui aurait pu arriver si les leaders de la Sky et de Trek avaient échangé les rôles.

Mollema malheureux

Il est 16h56. Alors qu’il reste à peine plus d’un kilomètre à parcourir sur les pentes du Mont Ventoux en direction du Chalet Reynard, Richie Porte, Christopher Froome et Bauke Mollema s’apprêtent à faire la belle opération du jour. Sortis à moins de cinq kilomètres de l’arrivée, ils possèdent une vingtaine de secondes d’avance sur le reste des favoris. Alors que l’ancien Sky mène le groupe, une moto freine brusquement devant lui et l’homme de Tasmanie ne peut l’éviter. Debout sur les freins, il prend la caméra en plein visage et enchaîne avec un soleil par-dessus son vélo. Derrière lui, Froome et Mollema subissent le même sort et se retrouvent au sol. L’Australien et l’Anglais s’en sortent avec quelques éraflures mais leur matériel est en état de marche. Le Néerlandais, quant à lui, ne peut pas repartir. Son vélo est brisé, son dérailleur a été écrasé par une deuxième moto, derrière lui. Le groupe Quintana-Bardet passe le leader de la Trek avec difficulté tant le monde sur la route est impressionnant. Entre les véhicules arrêtés et la foule record amassée en Provence pour ce jour de fête nationale, personne ne comprend ce qui se passe et les caméras ont du mal à filmer correctement. Mais on comprend vite que quelque chose d’inhabituel s’est produit.

Froome et Porte ont pu rejoindre la ligne ensemble, conservant quelques secondes d’avance sur les autres leaders. Mollema n’a pas eu cette chance. Immobilisé sur le côté droit de la route, il lève le bras gauche sans s’affoler pour demander assistance. Tenant son vélo dans l’autre main, le visage impassible et froid, il ne paraît pas perturbé par l’incident. La moto Mavic ralentit mais comprend vite qu’il a besoin d’une monture complète et pas seulement d’une roue. Arrive enfin, une minute plus tard, la voiture neutre. Le changement effectué, une course poursuite s’engage alors. Sur une bicyclette trop petite, on le voit se battre jusqu’au bout pour perdre le minimum de temps. Dans les dernières mètres, on sent la rage montée en lui et ce coureur d’habitude si calme explose. Mollema passe la ligne en brandissant le poing, presque pris de folie. Il fulmine après la ligne et crie haut et fort que ce qui s’est passé est inadmissible. Il attend une réaction des organisateurs. Son directeur sportif arrive en courant, essaie de le calmer et lui indique que l’équipe n’en restera pas là.

Pas de rattrapage

Une réclamation est donc déposée auprès des commissaires. Pendant que celle-ci est étudiée, la cérémonie protocolaire commence et Froome a le sourire. Il estime avoir été chanceux aujourd’hui. « Je dois avoir une bonne étoile, si j’avais été dans la situation de Mollema, le Tour serait probablement déjà perdu pour moi », avance-t-il au micro des journalistes du service public. Parce que pour le Hollandais, ce sont ses espoirs de podium qui viennent de s’envoler. Souvent dans les dix premiers du Tour, sans jamais faire d’étincelles, il s’est risqué pour la première fois sur les routes françaises à un coup d’éclat en rattrapant à une vitesse folle Porte et le Maillot Jaune qui étaient partis à l’avant. Il avait réussi à tenir la dragée haute aux meilleurs grimpeurs du monde et le voilà renvoyé au-delà de la dixième place au général, comme si le Mont Chauve avait décidé que c’était là où il devait être et qu’il y resterait quoi qu’il fasse.

Alors qu’une foule médiatique entoure le bus Trek, la décision du jury vient de tomber. Il n’y aura pas de repêchage pour Mollema. Le président des commissaires prend la parole pour justifier ce choix. « Nous avons considéré que cet incident était un fait de course. Il n’y a pour nous aucune justification objective qui permettrait de classer Bauke Mollema dans le même temps que d’autres coureurs, sachant que la règle des trois kilomètres n’est pas applicable sur une étape comme celle d’aujourd’hui. » Le batave craque. Il est en pleurs lorsqu’il apprend la nouvelle et veut quitter la route du Tour. Ses coéquipiers tentent de l’en dissuader mais la tâche s’annonce compliquée. S’il reste en course, il devra trouver des ressources mentales incroyables pour être à nouveau sur le devant de la scène, tant il croit à une injustice. La décision est toutefois logique si l’on observe quelques références historiques. C’est un fait de course, comme dans l’Alpe d’Huez en 1977 lorsque Van Impe se fait envoyer dans un fossé par une voiture, perdant l’étape. Ou plus récemment l’été dernier avec Greg Van Avermaet, renversé par une moto alors que la Classica San Sebastian lui tendait les bras. Ces coureurs, déjà, n’avaient eu que leurs yeux pour pleurer. Foutue injustice, ou loi du sport, c’est selon.

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