Pour le bien du cyclisme, l’UCI se doit d’évoluer. Le vélo ne doit plus être archaïque. Le modèle économique de ce sport est déjà compliqué, avec des sponsors susceptibles de partir après un mauvais épisode, ou simplement parce qu’ils jugent les retombées trop minimes. Alors faisons au moins en sorte de faciliter leur remplacement, pour ne pas tuer le vélo.

Une construction au point mort

Les équipes se font et se défont : depuis le passage définitif aux équipes de marques, dans les années 1960, c’est le jeu du cyclisme. Mais perdre son sponsor n’était jusqu’à il y a peu que le sort des formations en manque de résultats. Investir plusieurs centaines de milliers voire des millions d’euros pour voir ses coureurs errer en fin de peloton n’a jamais rien eu de rentable. En revanche, lorsque vos coureurs sont les meilleurs du monde, en théorie, il n’y a pas de question à se poser : on continue, car c’est exactement le but recherché. Mais ça, c’était avant. Ces dernières années, Rabobank s’est arrêté après 18 ans au sein du peloton professionnel. Une année pourtant ponctuée de 23 victoires, dont quelques unes sur le Tour de France ou Paris-Nice, qui avait aussi mis en lumière de jeunes talents comme Boom et Matthews. Il y avait un potentiel. Mais la banque néerlandaise a dit stop.

Trois ans plus tard, même scénario avec Europcar. Si les résultats étaient en baisse, le sprinteur Coquard incarnait un avenir certain pour prendre la relève d’un duo Voeckler-Rolland qui continuait de fasciner le public français. L’épopée du premier sur le Tour 2011, maillot jaune pendant dix jours, était encore dans toutes les têtes. Mais Europcar a laissé les clés du camion. Finalement, Rabobank et Europcar ne sont pas restés sur le carreau, repris par Belkin et Direct Energie. Mais d’autres n’ont pas eu cette chance, en témoignent les fusions de Garmin et Cervélo, puis de Garmin et Cannondale, et surtout la disparition de l’équipe HTC-High Road. En 2011, c’était l’épouvantail du peloton : 56 bouquets avec six étapes du Tour, le général de Paris-Nice, Milan-Sanremo ou le Tour du Qatar. Cavendish est alors le grand patron du sprint mondial, Degenkolb et Goss sont déjà prêts à prendre la relève et Martin cartonne sur tous les terrains. Mais un an plus tard, voilà tout ce beau monde éparpillé. Avec le recul, on peut parler de gâchis.

Revoir son rapport à l’argent

« Le modèle économique n’est pas bon, le poids qui pèse sur les sponsors est trop important », note aujourd’hui Stefano Feltrin à Cyclingnews, manager général de Tinkoff. Il est déraisonnable pour un sponsor de devoir couvrir 80% du budget de l’équipe. » Si l’Italien se fend d’une telle analyse, c’est que l’équipe russe recherche actuellement un repreneur, le propriétaire Oleg Tinkov ayant affirmé qu’il ne poursuivrait pas l’aventure. Et alors qu’elle est actuellement – si l’on en croit le classement UCI – la meilleure du monde, avec en son sein des coureurs comme Peter Sagan et Alberto Contador, elle se retrouve dans la même situation que beaucoup d’autres : on est au mois de juin, et les choses ont du mal à bouger. Personne ne sait ce qu’il va advenir de l’équipe. C’est alors tout le retard du cyclisme qui, grâce à ce seul cas, est mis au jour. Aussi extravagant et même fou soit-il, Tinkov a toujours, depuis son arrivée dans le vélo, tenté de proposer des choses. Parler de droits télés était il y a quelques années impensable, lui a mis le débat sur la table, pointant notamment du doigt le Tour de France et ASO, qui profitent de l’épreuve mais ne rétribuent rien aux équipes qui viennent y faire le spectacle. Le magnat russe si souvent décrié a fait prendre conscience que le vélo est aujourd’hui un sport mondialisé, mais qu’il n’en a pas les codes.

A l’heure où l’UCI en sait pas sur quel pied danser pour sa réforme de 2017, l’instance doit prendre conscience du problème que pose aujourd’hui le sponsoring. Les salaires des coureurs augmentent, jusqu’à cinq millions par an pour les meilleurs. Des courses sont organisées chaque année un peu plus loin, jusqu’en Chine et en Amérique du Sud. C’est un budget toujours plus conséquent, que les sponsors doivent assumer quasiment seuls. Résultat, de plus en plus d’acteurs du cyclisme font le choix de se positionner sans donner leur nom à une formation. Alors que l’équipe Tinkoff espérait secrètement voir son fournisseur de cycles Specialized se muer en sponsor principal, le constructeur américain a décliné. Il préfère fournir plusieurs grandes équipes – Tinkoff, Astana, Etixx – que de s’engager dans une aventure dont il ne maîtriserait pas tout. Ces jours-ci, Brian Cookson et ses équipes doivent mettre au clair la réforme censée entrer en vigueur l’an prochain. Tant mieux, parce que ça urge. Mais dans ce grand bazar, ou ASO menace de retirer ses épreuves du World Tour, ce n’est pas dit que soit évoqué la question des sponsors, et finalement, du véritable avenir du cyclisme. Alors messieurs les managers d’équipes, restez dans votre galère. Et si un jour, les instances ont le temps, elles s’occuperont de faire du cyclisme un sport moderne et stable.

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