Alberto Contador, Alejandro Valverde, Joaquim Rodriguez, Samuel Sanchez : ils ont été les têtes d’affiche du cyclisme espagnol depuis une décennie, mais s’approchent dangereusement de la retraite. Problème, ceux que l’on présentait volontiers comme leurs successeurs n’ont pas atteint les sommets qu’on leur prédisait.

Igor Anton, la Vuelta ne l’aimait pas

Lorsqu’en 2006, Igor Anton remporte la 16ème étape de la Vuelta en solitaire, en attaquant dans la dernière montée les grands favoris de la course (dont Valverde, Vinokourov et Samuel Sanchez, excusez du peu), l’Espagne croit là tenir un nouveau talent pour briller sur les grands tours. Sur cette Vuelta, huit Espagnols (!) vont terminer dans les quinze premiers du général, dont ce jeune basque, sorti tout droit de Galdakao, ville de 30000 habitants à une vingtaine de kilomètres de Bilbao. Recruté par l’équipe régionale Euskaltel-Euskadi en 2005, Anton participe dès sa première saison au Tour d’Italie, où il épate la galerie en épaulant l’autre star basque, Samuel Sanchez. Ces bons résultats acquis chez les professionnels dès ses débuts le propulsent sur le haut de la scène et font de lui le leader de la bande Euskaltel au départ de la Vuelta 2008. La belle histoire semble alors en route : Anton assume son rang et se classe à une prometteuse sixième place avant d’attaquer les Pyrénées, fief de son équipe. L’Espagne du vélo se demande alors s’il peut renverser l’épreuve. Malheureusement, l’étape-reine se transforme pour lui en cauchemar : le jeune basque chute lourdement et se fracture la clavicule et la hanche. Fin de saison et longue rééducation à venir : il vivra une saison 2009 blanche.

Mais Anton ne perd pas espoir : 2010 doit être l’année de son retour. On le voit à l’attaque sur les ardennaises, où il prend deux belles places d’honneur (4e sur la Flèche wallonne et 6e sur Liège-Bastogne-Liège). Sauf que sa priorité reste la Vuelta. Il veut conjurer le sort. Et tout part sur les chapeaux de roues : il lève les bras en puncheur en première semaine, puis dans un style de pur grimpeur à mi-épreuve. Il en profite pour s’emparer du maillot rouge, avec 45 secondes d’avance sur Vincenzo Nibali. Mais voilà, la Vuelta ne veut pas de lui : trois jours plus tard, dans une petite descente avant la montée finale, il tombe et se fracture le coude droit. Fin de saison pour le Basque, qui garde quand même le sourire : « J’ai vécu un rêve pendant 14 jours et je veux garder les bons souvenirs. Malheureusement, je commence à avoir l’habitude. Quand tout allait bien, que j’avais le maillot, je me répétais qu’il fallait garder les pieds sur terre. Ça ne sert à rien de pleurnicher. » Son rival pendant les deux premières semaines, Joaquim Rodriguez, se veut lui rassurant quant à l’avenir de celui que l’on présentait comme son successeur : « Igor est encore jeune, je suis sûr que son heure viendra. »

Malheureusement, l’heure d’Anton n’est jamais venue. « Il m’a toujours manqué quelque chose », lâchait-il en mars dernier à Vélo-Club, lucide. S’il a remporté des étapes et terminé dans les dix premiers en grands tours, le Basque n’a jamais retrouvé le niveau qui lui avait permis de tutoyer son rêve en 2010. La disparition de son équipe de toujours, Euskaltel, en 2013, l’a même laissé sans repères. Chez Movistar, il est devenu un simple équipier de Nairo Quintana. Sa victoire sur le Tour des Asturies en 2015 n’a même pas été suffisant pour que la formation ibérique le prolonge. Direction donc la deuxième division et Dimension Data. Pour être équipier, encore. Car c’est le nouveau rôle du garçon de 33 ans.

Luis Leon Sanchez, le spécialiste des barouds

Qualifier Luis Leon Sanchez d’espoir déchu du cyclisme espagnol peut sembler un brin audacieux : on parle d’un coureur quadruple champion national de contre-la-montre qui a remporté quatre étapes du Tour de France, un Paris-Nice et deux Clasica San Sebastian. Mais le garçon était tellement attendu aux sommets que la frustration ne s’évapore pas complètement. Dans une famille où les frères sont devenus au choix footballeur, joueur de futsal ou cyclistes professionnels (que ce soit Luis Leon ou son frère Leon Leon), le sport a toujours été une évidence. « LLS » lui-même s’est cherché, entre foot et natation au départ. Mais à 14 ans, son père est victime d’un attentat. Pour sa rééducation, les médecins lui conseillent le vélo : le papa Sanchez achète alors des bicyclettes pour ses garçons. C’est ainsi que Luis Leon devient fou de cyclisme. À seulement 20 ans, il passe pro chez Liberty-Seguros, aux côtés de son ami Alberto Contador. Sa première saison est brillante : il remporte une étape du Tour des Asturies, une autre de la Clásica de Alcobendas et se classe deuxième du championnat d’Espagne de contre-la-montre. Il est ainsi élu meilleur néo-pro d’Espagne 2004. Il commence même sa saison 2005 en remportant le Tour Down Under. Mais c’est alors qu’un dramatique accident de la route emporte son frère et confident Leon Leon à seulement 23 ans. Une tragédie pour Luis Leon, qui dédiera chacune de ses victoires à la mémoire de son frère.

Ce terrible accident freine la progression de l’Espagnol, qui ne décroche aucune victoire en 2006. Il reviendra plus fort. Il brille l’année suivante sur Paris-Nice (3e du général et vainqueur d’une étape), avant que la Caisse d’Epargne lui fasse comprendre qu’elle attend de lui des résultats toute l’année – et surtout après le printemps. Alors Sanchez s’y applique, et en 2008, il lève les bras sur le Tour de France, quelques semaines après avoir été sacré champion national du chrono. Une belle saison, avant la plus aboutie de sa carrière. En 2009, le garçon gagne partout : Tour Med, Paris-Nice, Pays-Basque, Tour de France… Avec toutefois une évidence qui fait surface : Sanchez n’est pas un coureur de grands tours. Capable de se sublimer sur six ou sept jours, il ne tient pas trois semaines. Ses meilleures performances la longueur, il les réalisera en 2010, où il terminera dixième du Tour et neuvième de la Vuelta. Après ça, il ne rentrera plus dans les 25 premiers d’un grand tour. Sanchez devient un baroudeur, qui gagne encore sur de belles courses (Tour de France 2011 et 2012, San Sebastian 2010 et 2012, Paris-Nice, Romandie, Pays-Basque) mais rarement les classements généraux. Symbole de son profil, il est sacré aux Jeux Européens de Bakou en 2015. Mais jamais il n’aura effleuré une place tout en haut du classement du Tour de France.

Gorka et Ion Izagirre, trois trop longues semaines

Si Gorka n’a jamais été un grand espoir et s’est progressivement transformé en équipier modèle, Ion était davantage attendu. En 2012, sa deuxième saison pro l’avait vu terminer dans les temps du vainqueur Tom Boonen sur le GPE3 et Gand-Wevelgem. La saison suivante fut tout aussi prometteuse : Ion termina quatrième du Tour Don Under, deuxième du Tour de Pologne et neuvième du GP de Montréal. Il acquiert alors des références dans les courses d’une semaine, mais aussi de trois, puisqu’il participe à son premier Tour de France. Mais l’environnement sur lequel les deux frères avaient construit leur carrière s’effondre à l’aube de la saison 2014 avec la disparition d’Euskaltel. La fratrie signe alors chez Movistar, un grand changement. Fini le partage du leadership, désormais c’est tout pour Quintana et Valverde. Les Izagirre se retrouvent placés en coéquipiers de luxe des deux leaders de leur équipe. Ion participe notamment à la quatrième place de Valverde sur le Tour de France, mais à titre personnel, il termine 41e de cette Grande Boucle. En récompense de ses bons services, Valverde lui offre le titre de champion d’Espagne sur route.

Mais le garçon se rend vite compte que la Movistar ne lui accorde que peu de crédit. S’il remporte le Tour de Pologne en 2015, il ne participe qu’à deux grands tours en deux ans : le Tour de France cette année, où il remporte la dernière étape alpine après avoir aidé Nairo Quintana à obtenir un nouveau podium, et le Tour d’Italie 2015. Ce Giro restera pourrait d’ailleurs rester comme le grand regret du cadet Izagirre. La Movistar y aligne une équipe sans Quintana ni Valverde. Izagirre a là une occasion unique de faire ses preuves. Mais finalement, il termine 27e du général (sa meilleure place en grand tour), loin derrière son coéquipier Andrey Amador, quatrième. Et la saison qui s’achève, si elle a vu Ion Izagirre lever les bras sur de belles épreuves, a surtout confirmé une chose : trois semaines, c’est trop pour lui.

Beñat Intxausti, le cap était trop dur à franchir

Le Tour de Pékin 2013 : voilà à quoi se résume le palmarès de Beñat Intxausti sur les courses à étapes. Un peu léger, me direz-vous, même si le garçon a également deux tops 10 au classement général d’un grand tour, sur la Vuelta 2012 et le Giro 2013. Et depuis ? Plus de résultat significatif. Intxausti est aujourd’hui chez Sky où il s’est transformé en équipier presque placardé pour les grands rendez-vous – il n’a couru que 17 jours cette année. Qu’est-il arrivé à celui que Igor Gonzalez de Galdenao qualifiait à son arrivée chez Euskaltel en 2010 de « bon grimpeur et coureur tout-terrain, batailleur et ambitieux », faisant partie « d’une génération très prometteuse » ?

Déjà, il n’a pas fait long feu chez Euskaltel, signant vite chez Movistar, où la vie semblait tellement plus belle. Sauf que vient la tragédie. Un jour de mai, lors d’un stage de préparation pour le Tour, Intxausti attend son coéquipier Xavier Tondo qui sort les vélos pour aller rouler. Au moment de refermer la porte du garage, celle-ci retombe brutalement sur Tondo, coincé entre la portière de sa voiture et la porte. L’Espagnol de 32 ans meurt sur le coup : Intxausti n’a rien pu faire. Le drame est terrible pour le Basque, qui dédiera chacune de ses victoires à son ami brutalement décédé. Le garçon ira quand même au départ de la Grande Boucle, avant d’abandonner, blessé. Mais le problème est plus profond, et réside dans l’effectif pléthorique de la Movistar.

L’émergence de Nairo Quintana, en plus du leadership de Valverde, place Intxausti en retrait dans la hiérarchie. En 2014, il n’est pas convié au Tour d’Italie que le Colombien remporte, et réalise un très décevant Tour de France : malade, il n’est pas du grande aide à Alejandro Valverde. En 2015, il revient sur les terres italiennes pour le Giro, où il remporte une nouvelle étape ; mais il ne termine qu’à la 29e place du général. C’est la Sky qui vient alors le chercher pour la saison 2016. Pour tenter de relancer une carrière pas loin d’être au point mort, alors qu’elle était censée prendre de la hauteur il y a des années déjà.

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