La lecture générale du parcours de ce 78ème Tour de Suisse permettait de dessiner une tendance assez claire. Si la montagne qui se révelera décisive est condensée dans un dernier week-end difficile, avec les arrivées en haut de Verbier et à Saas-Fee, les premières étapes n’étaient pas tracées dans l’optique d’une explication précoce. Et à ce jeu là, les rouleurs les plus émérites, dont Tony Martin, ont accentué leur matelas avant d’entamer les juges de paix de l’épreuve à l’occasion du contre-la-montre individuel autour de Worb. Quand aux leaders présumés, ils n’ont pas pris l’exercice à la légère…
Rui Costa en favori naturel pour la troisième année
Double tenant du titre, le Champion du Monde lusitanien ne pouvait pas se cacher sur l’une de ses périodes favorites de l’année. Discrètement présent jusqu’à aujourd’hui, vendredi, Rui Alberto Faria da Costa s’est réveillé dans les bosses d’un parcours technique, et s’est permis de battre Fabian Cancellara sur ses terres. Les conséquences d’une chute à l’entraînement pour cette même compétition se sont sûrement faites ressentir, mais c’est surtout la tête d’affiche de la Lampre-Merida qui a sorti le grand jeu, puisque jusqu’à son passage, le temps du Suisse n’avait pas été remis en cause, et ce depuis les premiers départs de la journée. Une sacrée performance donc, qui le place au troisième rang du classement général, derrière les deux meilleurs rouleurs de ce Tour de Suisse, à savoir Tony Martin et Tom Dumoulin, qui n’a désormais vraiment plus rien à envier aux plus grands. L’Allemand et le Néerlandais ont encore une fois fait parler leur talent, mais ont surtout relégué donc leurs opposants à plus d’une minute. Le premier enseignement immédiat est clair. Il ne faudra pas s’endormir, surtout avec une telle course de côte ce samedi sur les hauteurs de Verbier. Sur moins de dix kilomètres d’effort, gare aux mauvaises surprises si l’actuel maillot jaune ou son dauphin parvenait à tirer son épingle du jeu, notamment si les favoris se regardent. En 2012, Costa s’était déjà imposé à Verbier mais grâce à une attaque décisive à la flamme rouge, et derrière, on avait sprinté parmi vingt coureurs. De quoi planter le décor, et faire réfléchir certains au cas où ils sous-estimeraient encore leurs adversaires…
Mais on aurait évidemment tort de réduire ce Tour de Suisse à un duel entre Martin et Costa, puisqu’une ribambelle de prétendants, beaucoup mieux armés sur le papier, frappent à la porte, et semblent avoir débuté un sprint final qui devrait les voir monter en puissance. C’est le cas de Mathias Frank. Prenant au fur et à mesure un galon de plus en plus important, le héros malheureux de la dernière édition a tenu à affirmer ses ambitions en signant le cinquième temps du jour, le positionnant à la quatrième place du général actuel, à neuf secondes de l’ancien coureur de Movistar. Au niveau des autres candidats, la bonne surprise vient de Thibaut Pinot, qui entre dans les dix premiers grâce à une performance qui prouve ses progrès récents dans l’art du chrono. Les surprenants Izagirre, Craddock, Formolo et Cattaneo ont également confirmé leurs belles dispositions, et désormais, tout le monde à montré quelque chose avant les grands rendez-vous en altitude. Un bon signe pour le futur.
Deux jours pour se mettre en valeur
Si quelques uns ont réussi à saisir le bon wagon, d’autres ont plutôt déçu, et devront tout tenter ce week-end pour remonter suffisamment dans le cœur d’une bataille acharnée pour le maillot jaune. Bauke Mollema, pourtant très à l’aise dans le prologue à Bellinzone, s’est fait éjecter du fameux top 10, et se retrouve pratiquement à deux minnutes de Tony Martin. Autant dire qu’il faudra anticiper les débats, et espérer répéter ses exploits de Crans-Montana, mais une autre perspective se profile pour lui, le sixième du dernier Tour de France. La Grande Boucle sera une fois de plus son grand objectif de l’année, et il aurait tout intérêt à ne pas trop gaspiller d’énergie afin d’être cette fois-ci au top de sa condition pour la troisième semaine et les Pyrénées exigeantes, si l’on se souvient que le duo Belkin composé de Ten Dam et du premier cité avait failli exploser en vol dans la traversée alpine. Mais pour les Cadel Evans ou Roman Kreuziger, il faudra surpasser son tempérament. Le coureur de la BMC veut finir en beauté sa première partie de l’année, tandis que le second n’aura pas la même liberté en juillet. Les grimpeurs en devenir à l’image de Peter Kennaugh, dix-neuvième, ou encore Janier Acevedo, pourraient être les grands animateurs d’étapes ouvertes.
Enfin, un autre scénario existe pour une minorité d’engagés, à savoir disputer un test grandeur nature sur une ascension où un enchaînement de cols. On pense inévitablement à Andy Schleck, pourtant loin d’être à la rue sur sa course de préparation habituelle, mais également à Esteban Chaves, revenu en grande pompe sur le Tour de Californie. Tom Danielson, membre d’une équipe Garmin en retrait, serait bien inspiré de s’inviter parmi les meilleurs afin de rassurer le clan étasunien, pendant que Dan Martin est toujours incertain pour le départ dans le Yorkshire, et que Ryder Hesjedal sort usé du Giro. Les trois sont loin au général, et pourraient obtenir un bon de sortie, et donner une indication aux observateurs sur leurs possibilités à frapper un coup. Tout comme le sud-africain Louis Meintjes, dont l’équipe MTN-Qhubeka est invitée, voire un Sergey Chernetskiy, membre du top 20, et seul a représenter vers le haut dans la feuille des temps une équipe Katusha orpheline de Rodriguez, Moreno et Spilak. C’est sur ces courses par étapes où le patron tarde à se dégager franchement que les second couteaux peuvent être mis en lumière. Comme quoi, les enjeux ne manquent pas.