Si Paris-Roubaix est pour beaucoup la course la plus mythique du calendrier, ce n’est pas pour rien. S’imposer sur le vélodrome et avoir l’honneur de soulever le fameux pavé n’est pas donné à tout le monde, et même les meilleurs ont éprouvé les plus grandes difficultés à remporter l’Enfer du Nord. Bernard Hinault fait partie de ceux-là. Référence du cyclisme depuis la fin des années 1970, il doit attendre 1981 et une course incroyable pour lever les bras à Roubaix. Une épreuve pas comme les autres, qu’il qualifiera de « belle cochonnerie. »

Une statut à assumer

En 1981, le Breton n’est déjà pas n’importe qui. Avec deux Tours de France, un Giro, une Vuelta, deux Liège-Bastogne-Liège, un Tour de Lombardie et un récent tire de Champion du Monde, il fait figure d’épouvantail du peloton. Pourtant, ça ne suffit pas, et on attend le leader de l’équipe Renault-Gitane sur la plus prestigieuse des classiques pavées. Le principal intéressé n’est pas passionné par l’idée, d’autant que lors de ses premières participations, la course ne lui a pas vraiment réussi. Sans doute parce qu’il ne l’aime pas plus que ça. Mais la pression médiatique est monstrueuse, et Hinault ne peut pas faire l’impasse cette année-là. A l’époque, Pierre Chany explique très justement dans L’Equipe que « Paris-Roubaix est indispensable à un champion de réputation mondiale. » Le natif d’Yffiniac fait donc de l’Enfer du Nord un objectif dès le début de saison, au même titre que la Grande Boucle et les Mondiaux. Et même s’il voulait éviter ça, à mesure que l’épreuve approche, le Blaireau est annoncé comme le grand favori.

Pourtant, les concurrents sont nombreux. Et parmi eux, on retrouve les deux mastodontes de l’époque sur les flandriennes : Roger De Vlaeminck et Francesco Moser, sept victoires sur Roubaix à eux deux. L’Italien est même le triple tenant du titre ! Qu’importe, Hinault n’a plus le choix. Maillot irisé sur le dos, il ne peut pas passer à côté de la victoire. Un club très fermé, celui des hommes capables de remporter les trois grands tours, les Mondiaux mais aussi Paris-Roubaix, pourrait lui ouvrir ses portes une fois la ligne franchie. Il y rejoindrait Eddy Merckx et Felice Gimondi. Ça vous classe un coureur. Hinault le savait, cette victoire devait le faire entrer dans une nouvelle dimension. Il fallait prouver à ceux qui en doutaient encore qu’il était bien le patron du peloton, le successeur du Cannibale, juste un peu moins affamé. La course ne sera pas facile, mais la fin est connue de tous : le Blaireau, obstiné, parviendra à ses fins. Comme très souvent…

Beaucoup trop fort

Trois fois, Hinault a chuté en cette journée du 12 avril 1981. Dont une fois à cause d’un chien que son maître n’avait su tenir en laisse. Mais à chaque fois, le Breton est remonté sur son vélo au plus vite avant de revenir, souvent seul, sur la tête de course. « Parce qu’il faut savoir tout faire dans Paris-Roubaix », confiera-t-il quelques années plus tard. De Vlaeminck, en tête, croît halluciner. « Monsieur Paris-Roubaix » ne pensait sans doute pas son rival français aussi fort sur des pavés que lui connaissait pourtant par cœur. Mais le Flamand ne perd pas espoir, car dans un groupe de tête composé de six hommes, il a encore un équipier de choix : Hennie Kuiper. Le Néerlandais fera tout pour amener son leader à une cinquième victoire, en vain. Sur le vélodrome roubaisien, De Vlaeminck aligne Moser, Van Calster et Demeyer. Mais pas Hinault. Parce que son sous maillot arc-en-ciel, le Blaireau avait décidé de gagner.

A l’entrée sur le vélodrome, le Français vient se placer en tête du groupe. Accélérant progressivement, il ne lâchera pas cette position pendant plus d’un tour. Personne n’est en effet capable de le déborder. Quelques décennies plus tard, il retracera ces derniers mètres dans son autobiographie : « J’écrase mes pédales de plus en plus fort. Presque aplati sur ma machine, je passe la ligne. Je suis vainqueur. Une immense clameur retentit dans le vélodrome. Je peux alors lever mes bras. J’en enfin vaincu Paris-Roubaix et ses pavés. » Le sentiment du devoir accompli est papable. Hinault était attendu, et il a plus que répondu présent. Dominant les aléas et la course, il succède à Louison Bobet, dernier vainqueur tricolore de l’épreuve, 25 ans auparavant. Mais le Blaireau, surnom affublé à Hinault, ne l’était pas pour rien. Alors après s’être battu comme un beau diable sur des pavés qu’il détestait, on retrouva le vrai Hinault, avec sa franchise légendaire, pour une conclusion qui l’est tout autant : « On ne m’enlèvera pas de l’idée que cette course, c’est une belle cochonnerie. » Une fois lui ayant suffit, il ne reviendra jamais gagner Paris-Roubaix.

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