Le plateau d’un grand tour se découvre en général petit à petit. Il y a les favoris, qui visent la victoire finale, les habitués, qu’on se plaît à retrouver chaque année, ou encore les jeunes dont on attend l’éclosion voire la confirmation. Et puis il y a ceux qu’on n’attendaient pas, et qui se révèlent souvent être de formidables animateurs. Présentation de la brochette amenée à sévir tout au long de ce 98e Giro.

Entre revenants…

Cela fait plusieurs années qu’André Greipel n’avait plus mis les pieds sur le Giro. Depuis 2010, pour être exact, édition qui l’avait vu remporter sa seconde étape en autant de participations. Un temps rival numéro un de Mark Cavendish, l’explosion de Kittel, la confirmation de Kristoff voire même l’émergence de Bouhanni ont fait reculer le Gorille de Rostock dans la hiérarchie mondiale du sprint. L’Allemand voit donc dans ce Tour d’Italie délaissé par ces quatre adversaires une occasion en or de continuer à garnir son palmarès. L’opposition s’annonce en effet relativement modeste pour les arrivées massives, avec “seulement” Matthews, Mezgec, Viviani, Modolo, Nizzolo et Petacchi ; soit deux valeurs montantes encore tendres, trois puceaux de la gagne en grand tour et un quadragénaire. Rien d’insurmontable donc pour le double champion d’Allemagne en titre, qui devra cependant confirmer sa montée en puissance. Vainqueur d’une étape en Algavre, et d’une autre sur Paris-Nice, Greipel a connu un début de saison correct bien que timide en victoires avant de jouer les équipiers modèle sur les flandriennes. La course rose doit donc lui permettre de retrouver son efficacité.

Si Greipel peut espérer remporter quelques-unes des cinq ou six étapes taillées pour les purs sprinteurs, le parcours de ce Giro offrira aussi des occasions aux puncheurs. Parmi eux, Simon Gerrans et Philippe Gilbert, qui ont trois points communs. Le premier, c’est de n’avoir plus couru le Giro depuis 2009, année où ils avaient d’ailleurs remporté chacun une étape. Le second, c’est de s’être relativement loupés sur l’un des temps forts de leur saison, les ardennaises : alors que l’année dernière, l’un avait remporté l’Amstel et l’autre Liège-Bastogne-Liège, leur saison 2015, marquée par les chutes (en préparation puis sur les Strade Bianche et encore dimanche dernier sur la Doyenne pour l’Australien, sur Milan-Sanremo et la Flèche wallonne pour le Belge), les a vus traverser les classiques presque anonymement. Le Giro fait donc figure pour eux d’opportunité en or de se refaire, et ils en ont parfaitement conscience.  « J’ai dit à Matt White (directeur sportif d’Orica, ndlr) qu’il me serait très difficile de me motiver pour les ardennaises en sachant que je ne pourrais pas y être à 100%, et que ce serait pas mal de me trouver un objectif à plus long terme. Il a suggéré le Giro », racontait Gerrans il y a quelques semaine.  Enfin, le troisième point commun des deux hommes est qu’ils font partie du cercle fermé des coureurs ayant déjà remporté une étape sur chacun des trois grands tours. Capables l’un et l’autre de régler un petit peloton lors d’arrivées pour puncheurs comme de se glisser dans les échappées, ils sont appelés à récidiver, avec en ligne de mire la possibilité de se parer du maillot de leader au cours de la première semaine. Si Gerrans devra composer avec son coéquipier Michael Matthews, de son côté, Philippe Gilbert devrait avoir les coudées franches chez BMC. Venu dès le début du mois de mars en Italie reconnaître certaines étapes, le Remoucastrien pourrait devenir, s’il parvient à s’emparer du maillot rose, le troisième coureur en activité à avoir porté la tunique de leader des trois grands tours.

…et néophytes.

Suite aux retraites successives de David Millar, Cadel Evans et Bradley Wiggins, il n’y a plus actuellement dans le peloton que les multiples vainqueurs de grands tours Alberto Contador et Vicenzo Nibali qui ont porté les maillots rose, jaune et rouge. Mais Gilbert n’est pas le seul coureur à pouvoir les rejoindre : Sylvain Chavanel aura également cette ambition. Porteur de la tunique de leader en 2010 sur le Tour, et en 2008 puis en 2011 sur la Vuelta, le Français n’avait jusqu’à présent jamais participé au Giro et s’apprête, à trente-cinq ans, à réparer enfin cette incongruité. Passé à côté de son début de saison, il fait lui aussi partie des revanchards de 2015, mais ne cache pas qu’il espère avant tout se servir du Giro pour monter en puissance en vue du Tour, lui qui avait toujours bien négocié l’enchaînement Tour-Vuelta. Néanmoins, on devrait le voir à de multiples reprises aux avant-postes ces trois prochaines semaines. Autour de l’ancien champion de France, l’équipe IAM alignera une belle formation d’électrons libres malgré un duo Pelucchi-Haussler dévoué aux sprints ; de quoi offrir certaines libertés à un leader qui ne visera rien d’autre que les étapes.

Enfin, Tom Boonen, un autre grand nom du cyclisme, s’alignera pour la première fois de sa carrière au départ du Giro. Son cas illustre bien les rapports compliqués des flandriens vis-à-vis de la course italienne puisque Sagan, Vanmarcke, Terprstra ou van Avermaet n’ont jamais pris part au Giro, et Cancellara n’y est plus revenu depuis 2009. Victime lors de Paris-Nice d’une fracture du coude, Tommeke a dû faire l’impasse sur « ses » classiques flandriennes. Alors que ses prochains gros objectifs sont beaucoup plus lointains, le Belge profitera avant tout du Giro pour faire son retour à la compétition. Que peut-il espérer y décrocher ? Un bouquet viendrait compléter superbement son tableau de chasse en grands tours, lui qui compte six victoires sur le Tour et deux sur la Vuelta. Mais ses qualités au sprint s’étant quelque peu effritées avec l’âge, il lui sera difficile de se mêler à la lutte pour la gagne lors des arrivées massives. Reste l’hypothèse de le voir jouer les capitaines de route aux côtés de son coéquipier Rigoberto Uran. Les deux premières semaines de courses comportant de nombreux pièges, son expérience sera la bienvenue pour le Colombien, qui vise ni plus ni moins que la victoire finale.

Raphaël Henriot

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