A l’heure actuelle, il est impensable aujourd’hui d’imaginer une course sans oreillettes. Et pourtant, elles n’ont pas forcément que des partisans. Cependant, ce n’est pas seulement une attaque contre les oreillettes, mais bien contre la quasi-totalité du matériel électronique, technologique qui se dessine, au sein d’un peloton professionnel qui se modernise de plus en plus, quitte à pousser la guerre des nouvelles technologies à son vice.

L’affolant capteur de puissance

Réduire le débat à un combat contre la modernité serait un peu fallacieux, tant la notion de progrès est vaste. Etymologiquement, cela désigne le fait d’avancer, tout en tenant plus compte du côté quantitatif. Néanmoins, il est également possible de voir le progrès comme l’action d’améliorer une chose. Un simple désir donc. Mais alors comment peut-on être contre l’amélioration ? Tout simplement quand elle dénature le sport, l’essence même de l’effort. Le cyclisme c’est être seul, avec sa machine. Connaître son corps pour repousser ses limites est un élément essentiel de la culture sportive, qui plus est dans le cyclisme. Prenons l’exemple du capteur de puissance. Alors qu’auparavant les coureurs se devaient de connaître leurs limites, on sait aujourd’hui les définir. Notamment grâce à la mesure de la PMA – Puissance Maximale Aérobie – . La connaissance de ce seuil permet aux coureurs d’éviter de se mettre en surrégime, et d’exploser ainsi en plein vol. Dorénavant, il suffit de faire des tests à l’entraînement pour connaître son seuil, puis de s’y tenir pendant la course à l’aide des différents capteurs positionnés sur le corps et sur le vélo. Nul besoin d’aller plus vite, car on sait très bien que l’on ne pourra pas faire mieux. La Sky, et plus particulièrement Froome, en sont les adeptes les plus fervents : le récent gagnant du Tour de France s’affole dès qu’il dépasse d’un BPM son seuil. La même équipe britannique s’est parfaitement appropriée cette technique, puisque dans le final, les équipiers se mettent tous à rouler comme convenu au préalable, un par un, de telle sorte que plus personne ne puisse aller plus vite, sans être vraiment plus fort, ou se mettre dans le rouge. En l’occurrence, l’équipe est tellement insolente de facilité et d’organisation que personne n’a les capacités de la terrasser, voire même de simplement contrecarrer leur plan défini. On assiste donc à des courses au scénario préformaté, qui mène à un manque de spectacle criant. Et le grand public l’a parfaitement ressenti lors du dernier Tour au vu des nombreuses critiques. En masquant les efforts, le progrès peut aussi se faire au détriment du sport, de notre sport, et du spectacle qu’il peut offrir aux spectateurs.

Réduire le spectacle ?

Autre objet qui essuie les critiques : le dérailleur électronique. Mais comment cela peut-il perturber la course, alors que cela n’influe pas de manière drastique sur les performances ? C’est une question un peu plus déontologique. Nous avons présenté le cyclisme comme le théâtre entre l’homme et la mécanique, où le coureur se devait de connaître son corps. Alors, le dérailleur électrique, qui installe le coureur dans une zone de confort, vient aussi à l’encontre de ce principe. Et surtout, si on interdit un moyen axillaire, c’est dans la logique d’interdire toute aide technologique. De plus, si le dérailleur réduit le nombre de chutes et d’incidents, il réduit également en même temps l’intérêt du cyclisme et sa nature, car la chute et les aléas font partie intégrante de l’histoire de ce sport. Dans nos mémoires restent profondément ancrés ces mésaventures de cyclistes, perdant ou remportant une course suite à un incident. Un certain nombre de spectateurs admettent qu’un cyclisme sans chute ne serait pas du tout pareil. C’est le risque de chute qui fait aussi la beauté de ce sport, s’il n’y avait pas le risque de tomber en descente, la course pourrait totalement changer de physionomie. Et donc là le progrès entraverait le spectacle. D’autant plus que la chute n’est pas totalement due au hasard, et qu’il est important pour un cycliste de savoir maîtriser sa monture. Alors que toutes les autres disciplines recherchent à attirer de nouveaux passionnés avec des règles plus simples et un spectacle accru, l’électronisation pourrait mener le cyclisme à sa perte.

Du progrès s’il vous plaît !

Et pourtant ! On peut facilement voir tout ceci sous un autre prisme, celui de l’acceptation de toute modernité, tant qu’elle améliore et ne dénature pas les principes. Car ce à quoi on assiste ici est une peur du progrès tout simplement. On a des habitudes, on est dans un confort et on se refuse à changer. Mais c’est surtout une lecture différente du cyclisme qui est en jeu ici. On a mis en avant le spectacle avant, mais qu’en est-il du coureur ? C’est justement un point essentiel. Le progrès se doit de rendre possible les désirs des coureurs, s’ils sont logiques. Car le désir n’est que le fait de vouloir atteindre un état où l’on se sent mieux. Toute cette technologie n’a qu’un seul but, aider le coureur, lui faciliter la tâche, mais en ayant toujours cet aspect sportif. Il n’est nullement ici question de dopage, motorisé ou plus global. Si le spectateur est un agent important du cyclisme, le coureur est prioritaire. Donc les intérêts du coureur doivent passer avant de ceux pour le spectacle. Autre argument : le cyclisme, comme tout sport, n’est pas un domaine fixe, il connaît de nombreuses évolutions, passe par des phases différentes. Et nous sommes actuellement dans l’une d’elle.

C’est tout à fait logique, car le sport de manière général n’est que le miroir de notre société. Cela veut dire, que cyclisme et société vont de paire ? Si la société se développe, le sport doit également bénéficier de cette évolution. Le stade actuel de notre société est une tendance générale à l’innovation perpétuelle. Mais si nous regardons quelque peu en arrière, nous arrivons à des autres stades, qui ont permis des apports considérables au cyclisme, qu’il est maintenant impensable de remettre en cause, telles que les assistances mécaniques – les voitures de dépannage – . Qui oserait dire que c’est une entrave au spectacle, que le coureur doit être seul face à sa machine, que les accidents et le danger font la course, qu’il y a l’aléatoire du sport et donc de ce fait prôner que le coureur doit courir chambre à air sur les épaules ? C’est exactement le même principe avec le casque, c’est un formidable apport que d’avoir pu diminuer les chutes très dangereuses, ou plutôt les risques inhérents aux violents gadins. Pour synthétiser tout ceci, il y a cinquante ans se déroulait une nouvelle ère pour le cyclisme. Et si les améliorations d’il y a cinquante ans nous paraissent complètement logiques et sans relation apparente avec notre phase actuelle, c’est tout le contraire. Le problème était exactement le même pour la société du vingtième siècle : pour ou contre le progrès, aider le coureur avec certaines nouvelles techniques. Et donc si nous avons la possibilité aujourd’hui de débattre sur le progrès pour notre société actuelle, c’est car celle du vingtième n’était pas frileuse sur le sujet, qu’elle a permis des avancées technologiques. Progresser maintenant pour permettre la progression plus tard, tel devrait être le credo…

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