Dans une vidéo complètement loufoque publiée il y a quelques jours sur Youtube, André Greipel a cassé l’image du coureur allemand froid et machinal dont le stéréotype gangrène l’esprit de beaucoup de personnes à travers le monde. De l’autre côté du Rhin, on avait oublié qu’un cycliste pouvait encore faire rire. Après des années où le Tour de France y a subi l’anathème, la petite reine regagne peu à peu le coeur de l’Allemagne. Ce départ de Düsseldorf, trente ans après le dernier de Berlin Ouest, accélère la réconciliation de nos voisins avec la Grande Boucle. Un peu plus de dix ans après une affaire Puerto dévastatrice.
De l’amour à la haine
Il y a dix-sept ans, un 20 juillet du côté de Fribourg, le bruit de la fête n’avait pas cessé de la journée. Le beau temps n’y était pour rien car l’épicentre des réjouissances se trouvait à l’arrivée de la dix-huitième étape du Tour de France. Les routes menant à la ville étaient alors peintes en rose, couleur de la Deutsche Telekom, et le nom de Jan Ullrich bavait sur le sol à chaque kilomètre. Le Tour connaissait son apogée en Allemagne. À côté du prince Ullrich dont les orchestres disséminés sur le parcours entonnaient le nom, Erik Zabel portait encore ce maillot vert qui lui allait si bien. Les Allemands jouaient depuis une demi-décennie dans la cour des grands du cyclisme.
Dans ce pays où le vélo gagnait une place de plus en plus prégnante, la foule s’amassait pour voir passer ses héros et se déplaçait même dans les pentes des cols les plus réputés de France pour soutenir leurs compatriotes, à la manière des Hollandais. « Il y a eu une période d’amour fou, et une période de désamour fou entre l’Allemagne et le Tour », avait poétiquement déclamé Christian Prudhomme quand il avait révélé que Düsseldorf accueillerait le départ de la Grande Boucle. Pour l’amour, on a vu. Pour le désamour, il suffit de rentrer dans un supermarché de la ville avec le collier jaune de l’accréditation autour du cou. « Ça y est, les drogués repassent à la télé », lance alors une habitante de Düsseldorf nommée Eva. Il faut remonter aux révélations de l’affaire Puerto en 2006, dans lesquelles fut impliqué Jan Ullrich, pour comprendre cette apostrophe. « Ça nous a dégoûté de ce sport, on ne pouvait plus croire en personne. » Le passage du Tour ne ré-enchantera pas les cœurs par magie, même celui d’une femme présente sur les routes de Fribourg en 2000.
Pas d’Ullrich, pas d’intérêt
Avec la traque aux dopés et la chute de son moteur Ullrich, le cyclisme disparaît petit à petit des télévisions germaniques. Les chaînes allemandes commencent par réduire leur couverture de la plus grande course du monde. Avec la multiplication des affaires les années suivantes – contrôle positif de Schumacher, condamnation d’Ullrich…- le glas a sonné. En 2011 plus aucune chaîne allemande ne diffuse la Grande Boucle. « L’intérêt du public pour le cyclisme professionnel était en fait cantonné à la réussite de Jan Ullrich, se remémore Kurt, grand fan de cyclisme heureux d’accueillir le Tour chez lui, les médias ne parlaient que de lui, le reste ne les intéressait pas. C’est lui qui avait, en partie, popularisé le Tour. Les autres courses n’intéressaient pas grand monde. Donc quand il est tombé, l’amour du pays pour les courses de vélo s’est effondré. »
Linus Guerdemann avait un temps suscité un timide élan d’optimisme, mais l’éphémère maillot jaune de 2007 fut finalement vite noyé dans l’anonymat. Les suspicions de dopage organisé au sein de la sainte équipe T-Mobile ont ensuite fini d’écoeurer le public outre-Rhin. Les succès du rouleur Tony Martin et des sprinteurs Marcel Kittel et André Greipel n’y changeaient rien. Après le dégoût, l’indifférence régnait. Mais l’Allemagne est devenue une grande nation du cyclisme. En 2013, 2014 et 2015, elle a remporté 19 étapes, bien plus que n’importe quelle autre nation. En 2015 toujours, John Degenkolb a réalisé le doublé Paris-Roubaix – Milan-Sanremo et la chaîne publique ARD a finalement acté son retour sur la Grande Boucle. Après des années difficiles, les Allemands reprennent doucement goût au Tour, bien que les démons ne soit pas chassés.
Le « diable » Jan Ullrich n’a d’ailleurs pas été invité aux festivités, provoquant un tweet d’un cynisme colérique de Lance Armtrong : « Dérouler le tapis rouge pour des gens comme Jalabert, Virenque ou Hinault et ne pas inviter Jan ? Pff. Fuck ASO ! » Assailli de questions sur le sujet pendant sa conférence de presse, Marcel Kittel a répondu dans sa langue maternelle, pour être le plus précautionneux possible. Il fait partie de cette génération élevé au cyclisme par le biberon Ullrich. « Il devait expliquer clairement ce qu’il s’est passé car c’est ce qu’attend le public allemand. S’il le fait, alors il pourra revenir dans le circuit cycliste. Tout le monde a le droit a une seconde chance. » La prêche de l’emblème de la nouvelle génération pour une confession complète afin d’exorciser ce passé noir qui a pourri le vélo dans un pays tombé d’abord amoureux, puis de haut.
Une nouvelle génération brille
Alors, l’ombre des tristes années couvre encore le cyclisme allemand. Le bémol est de taille et le Tour n’attire plus autant qu’au tournant du nouveau siècle de l’autre côté du Rhin. Les audiences sont très loin de celles obtenues pendant les grandes années de Jan Ullrich. Alors que près de douze millions d’Allemands se pressaient devant leurs téléviseurs au début des années 2000, le Tour ne réunit désormais plus qu’un petit milion de téléspectateurs dans le pays. Malgré tout, la présentation des équipes hier soir a été fêtée par les locaux, souvent ravis de pouvoir accueillir le départ d’une épreuve qu’ils sont prêts à aimer à nouveau, même si cela restera toujours différent. « On a les deux meilleurs sprinteurs du peloton, le meilleur rouleur donc on veut profiter un peu de cette génération, ce ne sera peut-être plus jamais la même euphorie qu’avec Ullrich, mais de nombreuses personnes ici ont retrouvé la foi dans le vélo », relativise Kurt. Et la très bonne attitude des coureurs allemands, ouverts et souriants, renforce cette opinion.
Les coureurs, justement, sont heureux de voir leur pays retrouver un engouement pour le Tour, et profitent de pouvoir démarrer le Tour devant leur public. Simon Geschke, sourire à peine caché par sa barbe fournie, nous résumait l’ambiance générale avant de monter à la tribune pour la présentation : « Je suis vraiment très heureux. La dernière fois que le Tour a débuté chez nous, c’était il y a trente ans. J’avais un an. C’est donc la première fois et probablement la dernière que j’aurais cette chance alors j’en profite au maximum. » Le fantasque coureur de Sunweb ajoutait hilare « En plus, je me connais, j’ai très peu de chance de gagner ici ! » Après avoir salué la foule, c’est un André Greipel plus concentré qui s’arrêtait pour nous annoncer clairement qu’il ne perdrait pas de temps à jouir de la foule demain. « Je veux limiter la casse le plus possible sur le contre-la-montre pour pouvoir prendre le jaune à Liège. » Si dans la course allemande à la conquête des cœurs, il n’y a pas de ligne d’arrivée, le Tour de France est une compétition bien plus pragmatique. Le monde à l’envers.
Je ne crois pas à une conversion profonde du public allemand au Tour de France et au cyclisme en particulier. Il n’y a pas de vraie culture ni d’épaisseur historique ni dans les media ni dans la population.Cela évolue au fil des “héros” plutôt en mode people que dans une profonde et sincère affection; il n’y a pas, contrairement à la France, l’Italie et la Belgique un tissu de courses centenaires et légendaires auquel le public donne rendez vous chaque année au bord des routes. Le meilleur exemple en est l’intermittent Tour d’Allemagne qui refait brièvement surface à l’ère Thurau, puis Ulrich et l’an prochain à l’ère Greipel-Kittel et consorts.
La citation d’ Armstrong semble accuser une certaine hypocrisie de la part d’ ASO, mais je pense que c’est même pas ça, les gens, surtout les allemands ne veulent simplement pas voir Ulrich.
On n’ arrive à pardonner le fait de se doper à la machine Indurain, l’ instable Virenque ou le “regretté” sulfureux Pantani car le dopage collait un peu à leurs personnages.
Par contre il est beaucoup plus difficile pardonner à Ulrich et Armstrong. Ulrich était à la fois de le talent brut et l’ homme sympathique et populaire, Armstrong lui était le héros, alors forcement les savoir dopés, ça fait autrement plus mal., eux ne pouvaient pas…
Après je parle de coureurs que je n’ai pas connus et je ne suis pas passionné de l’ histoire du cyclisme, alors si je balance de grosses conneries n’ hésitez pas à me le dire.
Concernant Armstrong, il paye aussi pour son arrogance, pour sa volonté d’écraser tous ceux qui pouvaient le critiquer et pour ses magouilles avec l’UCI. Mais je suis d’accord avec vous pour Ullrich, il est traité bien sévèrement. Des mecs comme Virenque, Jalabert ou même Fignon ont eu leur place dans le monde du cyclisme après leur carrière, pourquoi pas lui ?
Si on veut faire le ménage, il faut le faire jusqu’au bout et pour tout le monde.
Le problème est qu’on n’a jamais mis les tricheurs sur un même pied d’égalité. Anquetil était chargée comme une mule, il ne s’en est jamais caché parce que selon lui c’était la norme dans le peloton. Cette période du cyclisme n’est pourtant pas reniée comme peuvent l’être les années 90.
A mon sens, on ne peut pas traiter comme des parias certains coureurs des années 90-2000 tout en idéalisant et en glorifiant les coureurs des générations précédentes. La seule différence, c’est le degré d’organisation du dopage et pas le dopage en lui même.
Malgré tout le mépris que j’ai pour Armstrong, je ne peux que lui donner raison quant à l’hypocrisie d’ASO.