Le temps d’un court week-end, toute la caravane du peloton mondial quitte ses habituels lieux d’entraînement, retrouvés de manière express après Paris-Nice et Tirreno-Adriatico. Loin des camps spécifiques du Teide, ou des souffleries révolutionnaires censées étudier la folle progression des chiffres, c’est à Sanremo que l’élite du World Tour pose son artillerie de modernité, à l’heure d’un cyclisme plus en évolution que jamais. Mais, la première classique de l’année ne sonne jamais comme les autres, et son atmosphère si particulière y est pour beaucoup. Et la Chronique du Vélo a choisi de vous la faire partager.

Un mythe local

Milan-Sanremo. La simple évocation de cet intitulé suffit pour faire vibrer toute une région. Bienvenue sur la côte ligurienne, cette région transalpine la plus étirée en longueur, mais beaucoup moins en largeur. Cela tombe bien, puisque l’essence même de cette région se retrouve dans un profil majoritairement longiligne, mais proche du marathon. Si nous, Français, pouvons nous targuer de posséder notre petit bijou en cette Côte d’Azur si tape à l’œil, nos amis italiens ne sont pas peu fiers de leur Riviera, s’étendant jusqu’à Gênes. Exceptés les 130 premiers kilomètres traversant la plaine du Pô, c’est dès le franchissement du Passo di Turchino que l’on respire le vélo, et ce jusqu’à l’arrivée. A l’image de la Madonna del Ghisallo, l’avant-dernière difficulté du Tour de Lombardie – toutefois nettement plus coriace –, les passionnés ont réussi à transmettre à ce petit col une étiquette hautement symbolique. Si sa vingtaine de kilomètres à seulement 2% de moyenne n’ont rien d’insurmontable, c’est toujours avec émotion que le premier courageux, issu d’une échappée matinale milanaise toujours condamnée, s’engouffre dans le tunnel reliant la Méditerranée à la plaine. Un mélange des cultures qui s’opère dans un corridor si étroit que sa renommée en fait aujourd’hui un lieu très particulier, à tel point qu’un musée à la gloire de l’épreuve devrait s’y implanter.

L’illusion chevaleresque des forçats du bitume n’a jamais cessé d’exister au sein d’un pays, qui, quoi qu’on en dise, reste l’un des poumons de ce sport. Ah, il semble bien loin le temps du Campionissimo Fausto Coppi, survolant un Milan-Sanremo 1948 avec quatorze minutes d’avance sur son français de dauphin, Lucien Teissière, au cœur d’une époque où la foule de n’importe quelle station balnéaire de cette province d’Imperia s’était mobilisée en masse afin de soutenir son charismatique artisan ou pêcheur, prenant part au rêve d’une vie. Si l’ère du cyclisme folklorique et rassembleur est désormais désuète, il est intéressant de noter que depuis la mondialisation croissante du cyclisme sous le joug de l’UCI, ces vieilles techniques populaires resurgissent en masse de l’autre côté des Alpes, une région toujours très encline à nous faire partager ses traditions. En effet, l’attrait touristique captivant de la province nous ferait presque oublier l’aspect sportif. Celui qui a tout de même fait une grande partie de l’Histoire de la Primavera.

Un monde à part qui suscite l’unanimité

En dehors de sa vision romantique du cyclisme, le traditionnel coup d’envoi des classiques printanière est aussi l’occasion de susciter un véritable engouement populaire au cœur des problématiques actuelles. Dans des contrées presque entièrement dédiées au tourisme, Sanremo bénéficie d’une mise en lumière non négligeable. Peuplée de 50 000 habitants, ce fameux troisième dimanche de mars représente le pic d’effervescence pour une municipalité qui peine à se faire reconnaître en dehors de son casino, battant des records en cette période, et ses quelques quartiers typiques. Toutefois, si l’on en revient au côté sportif, rien ne laisse indifférent les coureurs, et même les meilleurs. Peter Sagan ne s’y trompe, pas, affirmant que chaque année, la Classicima « réserve son lot de surprises », entre des conditions météorologiques changeantes, et un parcours qui provoque depuis la nuit des temps le casse tête des directeurs sportifs au moment du briefing matinal. Un capo en plus, un de moins ? Si le parcours fut pratiquement inchangé pendant un bout de temps, l’introduction de la Cipressa en 1982 est venue bousculer la position du Poggio, jusqu’alors seule rampe de lancement vers la Via Roma. Mais en 2008, c’est le difficile Manie qui est introduit, afin de tourner court à la parade des sprinteurs. Un lieu qui s’est révélé comme départ des grandes manœuvres, mais qui ne sera pas au programme ce dimanche…

Le débat éternel a donc de quoi être relancé, et porte sur l’identité de la plus indécise des courses cyclistes, laissant la victoire à porter de main de tous les types de coureurs. Cela tombe bien, cette année, la pluie marquée devrait encore être au rendez-vous, et les spécialistes des longues classiques ne pourront qu’en profiter, sur des routes dignes du guide vert Michelin. L’UCI et les organisateurs en personne sont souvent critiqués pour leur incessante volonté de modifier un tracé historique, mais quelle est leur réelle part de responsabilité, face aux communes locales, souhaitant toutes  inscrire “leur” Poggio sur le roadbook ? Le Giro, lors du prochain mois de mai, repassera même par la ville de Savone et quelque capi lors de la onzième étape. Plus qu’une simple course cycliste, Milan-Sanremo entre dans la catégorie des best-sellers du grand livre de l’histoire du sport. Les images de ces hommes s’arrachant sur une route étroite mais comparable à un simple faux-plat suffisent à théâtraliser comme nulle part ailleurs une épreuve devenue le premier des cinq monuments du cyclisme. Ces dernières années, RCS Sport a tenté d’augmenter les revenus médiatiques en déplaçant le jour J au dimanche, mais qu’importe, l’engouement n’a diminué pour autant. Il faudrait un cataclysme pour faire disparaître ce qui apparaît comme l’une des dernières rescapées du vélo des dernières décennies, malgré des difficultés financières conséquences à l’heure actuelle. Car sur la Classicima, le vélo est roi durant tout un week-end, sans interruption. Et c’est de plus en plus rare.

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