Après avoir débuté en Belgique sur la RTBF, Cédric Vasseur est aujourd’hui un consultant qui compte sur les antennes françaises. Présent à la fois sur France Télévisions et BeIN Sports, il commente chaque année plus de 20 courses. Mais surtout, il a su imposer son style avec ses analyses et un enthousiasme permanent. Si l’étranger est dans un coin de sa tête, il semble donc bien installé dans le paysage hexagonal, et devrait prolonger l’aventure avec BeIN Sports au-delà de son contrat initial, qui arrivera à son terme fin 2016. Mais pour le moment, Vasseur se concentre sur les échéances à venir, avec l’arrivée des courses italiennes et l’apothéose du Giro. A quinze jours des Strade Bianche, il se confie donc à la Chronique du Vélo pour évoquer les coulisses de son travail, les conséquences que peuvent avoir ses commentaires et la façon dont il voit son avenir.

Vous avez repris les commentaires avec Emmanuel Barth au Tour Down Under puis au Qatar. Vous avez tout de suite retrouvé vos habitudes ?

C’est notre quatrième année de collaboration maintenant donc oui, on retrouve immédiatement nos automatismes. On forme je pense une bonne équipe, il y a une bonne complicité. On est un peu comme un vieux couple, bien rôdé. Dans le dernier kilomètre par exemple, quand ça se joue au sprint, je laisse Emmanuel commenter et moi j’observe les détails pour pouvoir rebondir juste après l’arrivée.

Jusqu’à Milan-Sanremo malgré tout, vous commentez depuis Paris. Ce n’est pas un peu frustrant ?

Evidemment que quand on vit des moments comme sur le Giro, on se dit que l’idéal serait d’être présent physiquement sur toutes les courses. Mais en réalité ce n’est pas possible, ne serait-ce qu’à cause du décalage horaire. La première année, on a voulu retransmettre le Tour Down Under en direct, en pleine nuit. Mais on s’est rendu compte que c’était mieux de décaler de quelques heures pour que les téléspectateurs puissent regarder la course le matin. Donc clairement, une présence en Australie par exemple, ça ne se justifiait pas. Et cette année, on a aussi décidé de ne pas aller sur place pour le Tour du Qatar parce qu’on y sera pour les Mondiaux en fin d’année.

On dit souvent que les commentateurs doivent énormément préparer la course en amont. Mais qu’en est-il pour un consultant ?

Justement, c’est paradoxal. Les gens pensent qu’on arrive sur une course les mains dans les poches, qu’on commente et c’est tout. Mais en réalité, c’est un travail de tous les jours. On ne commente pas toutes les courses, mais je suis obligé de les suivre. Le Tour d’Oman, le Tour d’Algarve, la Ruta del Sol, pour ne parler que de cette semaine, je m’y intéresse chaque jour pour voir ce qu’il se passe. Si on veut être un consultant pertinent aujourd’hui, il faut suivre l’actualité du cyclisme, connaître les programmes respectifs des coureurs, savoir ceux qui ont des pépins physiques, etc. Donc moi je suis en permanence sur les réseaux sociaux, j’emmagasine des données et je les note dès que j’estime que c’est important. Ensuite, les jours précédents les courses qu’on commente, j’essaie de résumer tout ça. On se parle aussi avec Emmanuel Barth pour savoir ce qu’il s’est passé entre notre dernier direct et celui qui va avoir lieu. Et c’est surtout à cette période de l’année que c’est important, parce qu’il y a eu beaucoup de changements durant l’hiver. Mais en fait, en tant que consultant, on devrait presque être salariés toute l’année ! (rires)

Quand il faut meubler, dans les moments creux, vous avez aussi un rôle primordial…

Tout à fait ! Avec Emmanuel c’est assez facile parce qu’il s’y connaît très bien, mais on prépare une petite liste des sujets à évoquer si jamais la course n’est pas palpitante. Les freins à disques, la guerre UCI/ASO, c’est des sujets qui intéressent nos abonnés et ça permet de créer un débat. Heureusement d’ailleurs, parce que quand on voit un peloton groupé rouler sur une ligne droite pendant 25 kilomètres, on doit trouver un moyen d’intéresser les téléspectateurs. Et là c’est un peu mon rôle de trouver des anecdotes, parce que j’ai été professionnel et que je connais le peloton.

Sur France Télévisions, vous êtes sur la moto. Sur BeIN Sports, vous êtes en cabine. Vous préférez quoi ?

Au début j’ai eu un peu de mal sur la moto. Je suis plus axé sur l’analyse, et c’est plus simple à faire en cabine. Le rôle du consultant moto est de voir ce qu’il se passe, d’anticiper des situations de course. En fait sur France Télévisions, je suis presque un coureur de l’équipe France TV dans l’échappée. Je dois observer celui qui travaille le moins, celui qui a l’air le plus facile. Par exemple l’an dernier, sur le Tour de France à Mende, j’avais dit à 25 kilomètres de l’arrivée que Cummings me paraissait bien, et au final c’est lui qui vient gagner. Toutefois sur la moto, je me dois d’être un peu plus synthétique que lorsque je suis en cabine avec Emmanuel. Mais je m’y suis fait et aujourd’hui j’apprécie d’avoir ces deux rôles différents.

Vous vous ennuyez parfois, sur des étapes de plaine de 200 kilomètres ?

Oui et non. En réalité, même lorsque je ne suis pas à l’antenne, j’observe ce qu’il se passe dans l’échappée. Et s’il ne se passe rien, j’ai les commentaires de Thierry Adam et Laurent Jalabert dans le casque, donc je dois être très attentif. Ils peuvent venir vers moi à n’importe quel moment pour me demander d’où vient le vent, ou si j’estime que l’échappée est en train de jouer avec le peloton. Les téléspectateurs, parfois, peuvent se dire « Tiens Vasseur ça fait une demi-heure qu’on ne l’entend pas, il doit dormir sur sa moto », mais ce n’est pas le cas ! (rires)

Est-ce que vous aussi avez l’impression de changer un peu votre manière de commenter et d’analyser entre France Télé et BeIN Sports ?

Oui absolument, parce que le public n’est pas le même. BeIN Sports est une chaîne de spécialistes, surtout en cyclisme. Une personne qui s’abonne pour regarder le Giro ou le Tour Down Under, c’est forcément une personne passionnée, qui fait même surement du vélo. On est donc obligés d’être un peu plus pointus, de parler de détails comme les braquets ou les boyaux utilisés, qui sont plus parlants pour des spécialistes. A l’inverse, sur France Télévisions, il y a facilement entre 60 % et 80 % des téléspectateurs qui n’ont pas ces connaissances. Donc dans mes commentaires, je dois être un peu plus généraliste.

Pendant le Tour, en 2013 comme en 2015, vous avez été confronté aux performances de Chris Froome… Et à chaque fois, dans le Ventoux comme dans la Pierre St Martin, vous avez eu des réactions qui ont fait réagir. Avez-vous l’impression que ça vous est retombé dessus ?

Non, pas du tout. J’ai eu le total soutien de Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions. Le jour du Ventoux, je me rappelle même qu’il m’a appelé le soir pour me féliciter d’avoir utilisé les mots justes. Pour ce qui est de l’année dernière, c’est un évènement malheureux et c’est dommage. Mon rôle est de donner mon avis d’ancien cycliste, qui a déjà gagné des étapes du Tour ou accompagné de grands leaders. Et quand je me suis retrouvé dans la Pierre-Saint-Martin, dans la roue de Quintana qui s’est fait déposer par Froome, j’ai eu cette phrase en me demandant comment c’était possible. Mais ce n’était pas négatif, je trouvais juste ça incroyable. La polémique, elle, est née au soir du Plateau de Beille, quand un journaliste a demandé à Froome « Que répondez-vous à Jalabert et Vasseur, qui disent que vous êtes dopés ? ». C’est comme ça que ça s’est passé, mais ni Laurent ni moi n’avons dit ça ! J’ai simplement avancé que je n’avais jamais vu ça, et je continue de le dire aujourd’hui. Pour moi, il n’y a pas de polémique.

Mais ça a été tendu avec l’équipe Sky…

Oui mais ce qui m’avait dérangé dans cet épisode, c’est plus le fond que la forme. Pour moi, quand on est une équipe professionnelle comme la Sky, on a des attachés de presse et on se doit d’écouter les commentaires. Après les déclarations, j’avais pu discuter avec Dave Brailsford, et au début le contact avait été un peu difficile, il m’en voulait. Mais j’ai été le saluer, et il m’a dit « Cédric, tu te rends compte de ce que tu dis ? ». Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai demandé s’il avait écouté les commentaires. Il m’a répondu « Non, mais on m’a dit que ». Mais la première des choses à faire, c’était d’écouter ce que j’ai dit…

Au moment où vous le dites, est-ce que vous vous rendez compte que ça va faire réagir ?

Mais c’est mon rôle ! Au début de ma carrière de consultant, on m’a souvent dit que j’étais trop gentil avec les coureurs, trop lisse, et que je ne donnais pas mon avis. Je ne demande pas aux téléspectateurs d’être d’accord avec moi, je n’ai pas la vérité universelle, mais je dois donner mon avis. Et l’idéal, c’est même quand Laurent Jalabert et moi avons un avis différent, pour créer un débat. Mais si on ne prend plus position, on n’a plus d’intérêt en tant que consultants. Je ne suis pas payé par la Sky, mais bien par France Télévisions et BeIN Sports ! En revanche, j’accepte que ceux qui m’écoutent ne soient pas d’accord avec moi. Je peux bien sûr me tromper, et je ne suis pas du genre à rester campé sur mes positions.

Vous avez débuté comme consultant à la RTBF, et vous étiez reconnu comme très bon dans votre rôle. Ça a été un choix difficile de venir sur France Télévisions ?

Quitter la RTBF a été difficile, oui. J’y avait débuté un peu par hasard. J’étais présent sur le Tour de France 2008, l’année qui suivait ma retraite sportive. Et la dernière semaine, Axel Merckx, consultant de la RTBF, a dû rentrer en Belgique pour des raisons personnelles. J’avais été invité de leur émission quelques jours auparavant, et ils ont donc pensé à moi pour le remplacer et commenter avec Laurent Bruwier. Ca s’est immédiatement bien passé, et l’aventure s’est prolongée avec Rodrigo Beenkens. Mais un jour j’ai été contacté par France Télévisions, et je ne pouvais pas refuser. D’ailleurs, la direction de la RTBF a totalement compris, c’était une chance et une promotion pour moi. C’était l’évolution logique d’une carrière de consultant.

Sur le dernier Tour du Qatar, lors de la 4e étape, vous signalez à 9 kilomètres de l’arrivée qu’Edvald Boasson Hagen, le leader, est seul. Vous dites même qu’il ne faudrait vraiment pas qu’il soit victime d’une crevaison. Une minute plus tard, il crève et va perdre le général. Dans un moment comme ça, vous vous dites que vous avez été bon ?

Je ne me réjouis pas, mais je pense que j’ai fait le job. Mon rôle est de mettre sur la table, de présenter aux téléspectateurs, toutes les situations imaginables. Alors forcément quand je suis face à cette situation, et que je vois Boasson Hagen esseulé, je dois le signaler. Je pense que du coup, les abonnés ont dû se dire « Finalement, il doit connaître un peu le vélo ». (rires)

Dans votre quotidien de consultant, êtes-vous toujours en quête d’amélioration ?

Bien sûr, parce qu’on peut toujours s’améliorer. L’exemple de Boasson Hagen au Qatar est bon : si sur chaque course j’arrive à apporter mon expertise de cette façon, j’aurais rempli mon rôle, tout simplement. Mais avec Emmanuel, notre leitmotiv c’est « Always better ». On se le dit avant chaque prise d’antenne. On ne veut pas instaurer de routine, on veut amener des nouveautés. Et à titre personnel, je suis toujours dans la recherche de l’excellence, même si je ne ferais pas ça pendant 25 ans.

Pourquoi ? Vous avez peur de lasser le public ?

Je ne sais pas… J’ai connu des commentateurs qui connaissaient de moins en moins bien le cyclisme. Pour être un bon consultant, il faut s’intéresser au vélo en permanence. Et j’imagine qu’il peut y avoir une lassitude au bout d’un moment. De la manière que lorsqu’on est coureur et qu’on a moins envie d’aller s’entraîner après 15 années de carrière. Mais pour le moment je suis encore très motivé, et je suis encore un jeune consultant. J’ai même dans un coin de ma tête l’envie d’une aventure étrangère. Je suis bilingue et je me dit que je serai satisfait de ma carrière de consultant si j’ai réussi à collaborer avec une chaîne étrangère, tout comme j’ai pu courir à l’étranger en tant que coureur. Mais ce n’est vraiment pas pour tout de suite…

 

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