Sur des routes difficiles où la moindre faille peut mettre fin à des heures d’entraînement, où la poussière et la pluie s’invitent au programme de ces forçats de la route, le pavé n’est pas un obstacle, c’est leur principal allié. Eux, ce sont les « flahutes ». Durant plus d’un mois, ils ont rendez-vous avec leur destin, celui de soulever le pavé entre leurs mains.

Plus que n’importe quelle autre période de l’année, les classiques flandriennes marquent la première moitié de la saison. Chaque année, une partie du peloton ne jure que par ces routes escarpées et le bruit délicieux du pavé qui claque sous les plaques de cadres. Aujourd’hui, une génération a décidé de ne vivre que pour ces courses. Une impertinence ne laissant aucune place au doute. Elle voue un culte sans partage pour les clameurs du public flandrien au Paterberg. Un son marqué par la peur de crever et de voir ses ultimes espoirs de victoire s’envoler définitivement. Cette génération de jeunes loups aux dents longues est peut-être la digne héritière des Fabian Cancellara et Tom Boonen. Ils ont été des acteurs providentiels sur les pavés depuis plusieurs mois. C’est une génération dorée qui ne rêve que de s’exprimer.

Deux Français…

« J’ai déménagé en Belgique. Rouler sur les monts flandriens, c’est le meilleur entraînement que l’on puisse faire. C’est un atout supplémentaire. » Des mots signés Florian Sénéchal dans une interview accordée à Velo 101 mi-février. Le jeune coureur de la Cofidis connaît l’importance des petits détails qui peuvent faire basculer une course. Son enfance, il l’a passé à côté des pavés de l’Enfer du Nord. Un enfer qu’il a dompté chez les juniors en 2011. Puis premier français chez les pros en 2015 (17e), à seulement 21 ans, il a attiré l’œil acéré des connaisseurs. Il a cette course dans le sang : « Je pense pouvoir la gagner un jour », disait-il après en avoir terminé, il y a un an. Une prise de conscience confirmée par ses propres directeurs sportifs. « Je ne vois pas ce qui peut l’arrêter, il n’a peur de personne. Il a un mental d’acier, fait pour ce type de courses », lâche Alain Doloeuil. Aujourd’hui, Sénéchal n’a donc qu’une hâte, le départ de Paris-Roubaix. En attendant le 10 avril, il a soigneusement affiné sa préparation, prenant une 17e place sur le Het Nieuswblad ou se mêlant à la gagne au GP Samyn (3e). Dans le bon groupe aussi sur A Travers la Flandre, il n’y a que Gand-Wevelgem qui l’a vu passer à côté, avec un abandon. Malgré ses 22 printemps, le jeune français a de l’appétit et des rêves plein la tête, qui ne demandent qu’à ressurgir. Dès cette année ? Il en a le potentiel. A lui de ruser d’ingéniosité et d’avoir les jambes quand la bataille commencera.

Comme le coureur de la Cofidis, dithyrambique sur l’amour qu’il porte à Paris-Roubaix, un autre de ces comparses pourrait se découvrir une passion du pavé des plus charnelles. Depuis ses débuts professionnels, il y a de cela deux saisons, Alexis Gougeard s’est forgé une réputation. Une « machine parfaitement huilée » qui impressionne. Victorieux à Avila sur la 19e étape de la dernière Vuelta où il avait été auteur d’une partition phénoménale, son tableau de chasse s’est agrandi avec le Tour de l’Eurométropole qu’il a accroché à son palmarès sans lâcher le maillot de leader après sa victoire lors du prologue. Mais c’est surtout son incroyable échappée sur Paris-Roubaix qui a marqué les esprits. Sa 26e place finale n’était pas usurpée, le coureur d’AG2R la Mondiale ne cédant qu’à l’aube des derniers secteurs. Et son moteur, nous l’avons de nouveau retrouvé lors du Het Nieuwsblad. Présent au sein de l’échappée, il a connu la tête de course de bout en bout. Rejoint simplement par le quatuor Van Avermaet-Sagan-Rowe-Benoot qui se disputera la gagne, le jeune tricolore a fait étalage de son talent. Pour autant, ces échappées au long court peuvent laisser perplexes. Serait-il capable de contenir ses velléités et de s’installer durablement comme le leader de son équipe ? Le « morbaque » a la carburation, il n’a plus qu’à l’utiliser avec finesse.

…et trois Belges

De l’autre côté de la frontière, la Belgique connaît elle aussi un nouvel essor, avec une génération pleine de promesses. Dans la lignée de Tom Boonen et peut-être de Greg Van Avermaet qui semble enfin concrétiser ses bonnes dispositions, les jeunes flahutes belges tapent déjà à la porte. Le plus précoce est Tiejs Benoot. A 22 ans, il n’en finit plus d’épater les observateurs. Régulier, il a été l’un des rares à pouvoir suivre Van Avermaet et Sagan sur le Het Nieuwsblad. La confirmation, déjà, de son incroyable saison 2015, où il avait terminé 5e du Tour des Flandres en étant néo-professionnel, puis 5e du GP de Montréal et 4e de Paris-Tours, sans compter ses nombreux accessits sur les courses d’une semaine. Le jeune Belge a étoffé sa palette, malgré le couac de Paris-Roubaix où il a terminé dans l’anonymat à la 100e place. Serein, celui que beaucoup considèrent comme le digne héritier de Johan Museeuw était encore d’un calme apparent après son premier printemps chez les grands : « Je peux encore profiter de mon statut, les favoris ne se focalisent pas sur moi, ils réagissent moins vite lorsque j’attaque, assure-t-il. Je me mets moi-même un peu de pression, c’est tout à fait sain. » Une pression désormais accentuée, car Tiejs Benoot est maintenant considéré. Le prodige de 2015 est en 2016 l’un des principaux favoris du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix.

Mais la Belgique a d’autres tours dans son sac. Derrière l’indéboulonnable Fabian Cancellera, un duo prometteur tente ainsi de rugir. Edward Theuns et Jasper Stuyven se tapissent dans l’ombre du géant suisse, mais pourraient prendre le relais en cas de défaillance, en attestent leurs récentes performances. Le premier a cumulé deux tops 10 (à Kuurne et au Het Nieuwsblad) et même un podium (sur A Travers la Flandre), alors que le second s’est imposé à Kuurne après un numéro de finisseur grandiose (quelques semaines avant une 5e place sur le GP E3). Stuyven avait en effet su résister en dépit d’un peloton lancé à sa poursuite, apprenant de son erreur de la semaine précédente où il avait raté le coche dans le Taienberg. Une performance rappelant les scénarios pleins de panache d’un certain Fabian… Chez Trek, les cartes ont donc évolué. Derrière le coureur helvète, ses deux élèves apprennent très vite. Une solidité importante à l’approche des deux grandes échéances flandriennes. Car le profil passe-partout des deux coureurs belges pourrait être une arme redoutable. Rapides et capables de passer à merveille les bosses, Stuyven et Theuns offrent de nouvelles possibilités de stratégies à la formation américaine. On n’osait à peine y croire il y a quelques semaines.

Mais en dépit de leur talent, ces jeunes pousses prêtes à prendre la succession de Boonen et Cancellara, qui vivent sans doute tous les deux leur dernière campagne de classiques, ne doivent pas se voir trop beaux. Les classiques flandriennes laissent toujours une place à l’incertitude, et seuls les plus farouches se sont prêtés au jeu. Mais cette jeune génération semble s’en accommoder. Ces garçons-là n’attendent même qu’une chose : embrasser le pavé pour l’éternité. Une histoire romantique dont seule la petite reine a le secret.

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