Une envolée déroutante vers La Pierre-Saint-Martin, et voilà Christopher Froome soupçonné de dopage par la quasi totalité des observateurs. Oui, sa performance interpelle, et on fait bien de ne pas y croire aveuglément. Mais le forcer à se justifier durant la course, c’est aller beaucoup trop loin. Jusqu’à preuve du contraire, le Britannique est en droit d’attendre qu’on le respecte un minimum.

Du jamais vu

Dans tous les sens du terme, ces derniers jours sur le Tour avaient un côté inédit. La montée de Froome mardi a semblé pour beaucoup inhumaine, mais les réactions qu’elle a suscité étaient encore plus étonnantes. En direct sur France Télévisions, les commentateurs ont mis en garde. Nicolas Geay, sur la moto, annonçait une cadence de pédalage de 110 tours/minute, nous rappelant la réaction de Cédric Vasseur en 2013, lors de l’ascension du Ventoux. Enfin, Eric Fottorino, lui, s’est fendu d’un court article sur son blog allant dans le même sens. Partout, Chris Froome est descendu en flèche : ce n’est pas possible, l’ensemble de l’équipe Sky est à un niveau beaucoup trop élevé. Il est vrai que Porte et Thomas posent autant question que leur leader. Mais même Lance Armstrong, il y a plus d’une décennie maintenant, n’avait pas eu à endurer un tel traitement. La suspicion permanente n’est pas illégitime dans un sport qui a connu tant de désillusions. Mais là, force est de constater que l’ensemble des médias vont un peu loin.

Avant même d’avoir gagné ce Tour qui lui semble promis, Froome est en train de voir son succès complètement décrédibilisé. Même les médias qui habituellement passent presque sous silence les trois semaines de course y vont de leur débat sur le Kenyan blanc. Et cela va même parfois plus loin, comme le montre la Une de Libération ce jeudi. Résultat, tout le monde, suiveurs ou non, prend comme une vérité absolue le fait que Froome soit dopé. « Je sais ce que c’est pour Chris d’être dans le Tour et de devoir faire face aux questions de dopage. Pour être honnête, c’est en grande partie de ma faute, a reconnu Armstrong hier soir, en arrivant en France pour promouvoir sa fondation. Je me sens mal à ce sujet. Qu’importe qui gagne le Tour 2015, il ne devrait pas avoir à répondre à des questions à propos de quelqu’un qui a gagné il y a 10-15 ans. » Imaginez, même les plus sceptiques, que la Sky roule à l’eau claire et que Froome soit simplement le coureur le plus atypique et le plus fort que l’on n’ait jamais vu. Ce qu’il subit actuellement ne serait alors pas acceptable.

Un phénomène de généralisation

Il est tout à fait concevable que la personnalité et le style de Chris Froome déplaisent. Mais en tombant à l’unanimité sur le natif de Nairobi, c’est sûr l’ensemble du cyclisme que l’on reporte les suspicions. Parce que le grand public ne fait pas – ou ne veut pas faire – la différence entre des performances qui posent logiquement question et d’autres tout à fait normales. On se croirait revenu à l’époque d’Armstrong, avec un Maillot jaune encore plus dans la tourmente, et un peloton suspecté dans sa quasi intégralité alors qu’il suffit de creuser un peu pour faire ressortir comme une évidence que le dopage n’est plus une généralité. Pire, les méthodes officielles de l’équipe Sky, qui cherche à optimiser tous les détails pour se rapprocher de la victoire, finiraient presque par passer pour des pratiques douteuses. Pourtant, il est incontestable que les Britanniques font évoluer le cyclisme par leur approche. Brailsford a d’ailleurs tout à fait raison de défendre sa philosophie, comme avait pu le faire Bruyneel à l’époque de Lance Armstrong. Le dopage, s’il existe, est ensuite une dérive. Mais être professionnel à ce point ne devrait jamais être un problème.

Pourtant on le sait tous, même si on aimerait une deuxième partie de Tour de France où l’on salue les performances de chacun – et même de Froome -, on aura droit à un interrogatoire quotidien. Le leader de la Sky aura beau se défendre, arguer tout ce qu’il veut, il ne sera pas pris au sérieux. Il est comme pris au piège d’un passé traumatisant. Et il n’a aucun moyen de prouver son innocence. Les données de sa montée du Ventoux en 2013, piratées et rendues publiques, ont un peu plus semé le trouble. Une fréquence cardiaque qui ne dépasse pas les 160 pulsations par minute en pleine accélération, cela perturbe. Froome l’explique comme il peut, tentant d’expliquer que son maximum est à 170. Personne ou presque ne le croit. Et on ne va pas essayer de vous prouver que l’Anglais est propre : si lui est incapable de le faire, alors personne ne pourra le faire à sa place. Simplement, si l’on pouvait respecter “Froomey” et arrêter d’inventer des hypothèses toutes plus farfelues les unes que les autres, on s’en porterait aussi bien. Peut-être que Froome est dopé. Mais mis à part l’impression laissée par les Sky, rien de concret ne permet de les suspecter plus que les autres (oui, ceux qui ont des repentis dans le staff, voire parmi les coureurs). Alors laissons au moins à Froome la présomption d’innocence.

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