La carrière de Damiano Cunego est faite de hauts, et de bas. Sauf que, contrairement à la majorité du peloton, le Petit Prince a tout vécu à l’extrême. Vainqueur du Giro en grillant la politesse à son expérimenté leader Simoni en 2004 et triplement sacré sur le Tour de Lombardie, il a connu le haut de l’affiche. Mais également les critiques à foison au terme de saisons blanches, comme depuis plusieurs saisons. Cette alternance entre génie et inconstance chronique a éclipsé l’un des plus grands talents de la décennie 2000, progressivement devenu cible des interrogations, au point de ne plus faire l’unanimité au sein de sa maison mère, la famille Lampre. Un départ pour de nouveaux horizons à l’échelle continentale, qui ne peut laisser indifférent.

Repris par la dure réalité

Il y a encore deux années, beaucoup croyaient encore en Damiano Cunego, soulignant une baisse de régime logique, en partie dûe à de nombreux soucis s’étant abattus sur un coureur qui n’a pas été  épargné par la malchance. Mais pourtant, dès 2009, les premirs signes d’inquiétude sont apparus chez ce coureur insolent de réussite sous l’aile de Giuseppe Saronni. Insaisissable sous le maillot de Saeco, véritable fuoriclasse de l’époque et parfois légèrement arrogant, rien ne semblait lui résister de 2004 à 2008, date de son troisième Tour de Lombardie, récital du genre, et de sa seule victoire sur une ardennaise – l’Amstel. Le nouveau chouchou du public italien, celui qui devait prendre la relève des Bettini, Petacchi, Savoldelli, Garzelli ou Simoni, c’était lui… Mais cette même année 2008, est aussi synonyme d’une grande frustration personnelle, à laquelle il ne remédiera probablement jamais. Grand favori des Mondiaux de Varèse, en Italie, il se fait surprendre par l’accélération décisive de son compatriote Alessandro Ballan dans les deux derniers kilomètres, assurant un doublé alors fantastique pour un pays entier, mais à l’arrière goût très amer. Car depuis, toutes ses illusions se sont envolées coup après coup. Butant sur ses objectifs principaux, 2009 marque un vrai coup d’arrêt dans la carrière du natif de Vérone, perturbé par cette affaire Mantoue particulièrement redondante à l’intérieur de la maison «fuchsia»

La suite, on la connait. Un sursaut d’orgueil en 2011 avec un Tour de Suisse qui lui échappe cruellement face à Levi Leipheimer dans le dernier contre-la-montre, et le meilleur Tour de France de sa carrière, conclu à la sixième place finale. On se dit que le passage à vide, symbolisé par une mononucléose, est terminé, mais Cunego tombera de Charybde en Scylla jusqu’au moment où nous parlons. Sa dernière victoire remonte à une arrivée au sommet de la Semaine Coppi et Bartali, en 2013. Pendant ces longs mois, son statut a bien évidemment été remis en cause, et l’ancien prodige s’est progressivement vu relégué au rang de coureur comme les autres. Scarponi, puis désormais Rui Costa et les jeunes pousses prometteuses, l’ont éclipsé du devant de la scène, et rien ne semblait annoncer une inversion de cette tendance. Incapable de retrouver son niveau sur le Giro, et banal équipier sur les classiques de la Coupe d’Italie, reste le problème du salaire d’un ancien vainqueur de grand tour et de trois monuments, pas facile à gérer, même pour les équipes les plus aisées du World Tour. C’est dans des circonstances inconcevables il y a une demi-décennie que l’une des ex-figures de proues du navire Lampre a décidé de faire ses valises, pour une équipe actuellement en troisième division ! Il va falloir s’habituer à le voir évoluer sous de nouvelles couleurs, celles de Fantini – Nippo De Rosa. Mais rien ne dit que le pari n’en vaut pas la peine…

Un coureur désormais expérimenté

Âgé de 33 ans, Damiano Cunego fait partie de cette catégorie de coureurs gardant leur visage de jeunesse presque éternellement. Au sommet de son art durant ses premières années, ses multiples péripéties l’ont conduit dans un isolement relatif, et après dix années de collaboration fructueuse, voici l’heure de prendre l’initiative du départ. Des aveux même de Brent Copeland, manager général de la formation transalpine,  « Damiano a besoin d’une nouvelle motivation. » Une décision sans doute sage, permettant d’éloigner l’Italien d’un environnement médiatique à forte pression, qu’il a incontestablement eu du mal à gérer. En atterrissant dans une équipe italo-japonaise, de nouvelles habitudes devront être rapidement adoptées, mais le calendrier de course d’un coureur tout de même pas totalement fini, aussi bien sportivement que physiquement, ne devrait pas être si infâme. Sa nouvelle équipe, forte d’un recrutement intelligent de jeunes talents – dont le frère de Vincenzo Nibali, Antonio ndlr –, veut en effet beaucoup miser sur la présence dans ses rangs d’un grand nom comme Cunego. Fantini – Nippo a donc récemment fait sa demande pour intégrer les rangs de la division Continentale Pro, ce qui garantirait une présence sur l’intégralité des courses par étapes et des plus belles classiques italiennes, et peut-être en prime quelques invitations sur les courses organisées par RCS. Un Tirreno-Adriatico, un Tour de Lombardie ? Pourquoi pas… Seul le Giro semble véritablement hors de portée, surtout que l’équipe Cofidis est pressentie pour prendre une place.

Mais, qu’importe, Cunego trouvera peut-être enfin une équipe dévouée et totalement à son écoute, le confortant dans un statut inédit d’expérimenté de la bande, transmettant une expérience de taille. Reste à savoir si sa motivation est restée intacte. C’est souvent la question que l’on se pose dans ce genre de situation, et d’autant plus lorsqu’un coureur a connu les victoires dès ses débuts. Là où des coureurs comme Andy Schleck seraient sur le point de mettre un terme à leur carrière, Cunego, lui, persiste, et choisit une posture courageuse, admettant sa baisse de niveau mais espérant rebondir dans un cadre plus propice. Cela lui permettrait parallèlement – et ce n’est pas anecdotique pour lui – de reprendre des études interrompues trop tôt dans le domaine de la préparation sportive, passant par une licence à l’université. Clairement, c’est pour le Petit Prince une nouvelle carrière qui démarre, moins flamboyante, mais peut-être pas moins agréable, après des longs mois de critiques et de débats sur son rendement. A plus long terme, un retour discret sur le devant de la scène pourrait également l’amener à obtenir un dernier contrat juteux, à l’image d’un Samuel Sanchez, capitaine de route chez BMC après des années de leadership chez Euskaltel. Une réfléxion sur soi avant tout, qui se respecte.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.