PLACE AU TOUR 2
En 1951, lors de la première ascension du Ventoux, Lazaridès mène la danse et franchira seul le sommet – Photo L’Equipe

Le Mont Ventoux. Un col atypique, différent de tous les autres et qui a su entrer dans la légende du Tour de France malgré des passages au sommet sporadiques. Gravit à 14 reprises par le peloton parcourant les routes françaises chaque mois de juillet, le « Mont chauve » est une quinzième fois au programme sur la centième édition de la Grande Boucle. Pour notre plus grand bonheur.

111 ans d’émotions

Le 14 juillet 1902, un certain Adrien Benoît adressait une carte postale à l’un de ses amis après avoir escaladé puis dévalé de l’autre côté le monstre, le tout à vélo. A l’époque, il disait alors : « L’ascension du Mont Ventoux demande 7h en voiture, 6h à pied et 3h30  pour un cycliste entraîné. La descente vertigineuse, en roue libre, sur les pentes caillouteuses à 12 % est une dangereuse acrobatie. J’ai brûlé deux freins et une paire de jantes en bois. Avis aux amateurs. » Dans un peu moins d’un mois, le peloton du centième Tour de France gravira lui aussi le Ventoux, lui aussi un 14 juillet. Entre temps, 111 ans se sont écoulés, et les amateurs furent nombreux. De Lucien Lazaridès, premier coureur à franchir le « Géant de Provence » sur les routes du Tour en 1951, à Juan Manuel Gárate, dernier vainqueur en date au sommet de ce qui est entre temps devenu un mythe, en passant évidemment par les nombreux amateurs de la Petite Reine qui eux aussi, ont voulu escalader le col vauclusien.

Dans les ascensions légendaires du Tour, le Mont Ventoux figure donc en toute logique aux côtés des Tourmalet et autres Galibier. Mais alors que ces deux autres monstres du cyclisme français ont déjà plus de cent ans d’histoire et plusieurs dizaines de passages au sommet, le Ventoux a dû attendre entre la découverte d’Adrien Benoît et son inauguration sur les routes de la plus grande épreuve du monde. Mais en seulement 14 montées, il a su se forger une histoire. Dans le bonheur, souvent. Avec les deux victoires de Louison Bobet un jour où le monstre était au programme, puis celle de Raymond Poulidor en 1965 lors de la première arrivée au sommet. Mais aussi dans le malheur et la polémique, presqu’inévitablement. Dès 1955, lorsque Jean Malléjac est victime d’un malaise dans la montée, avant que le Suisse Ferdi Kübler, en plein délire après un effort démesuré dans un col qu’il ne connaissait absolument pas, pensant monter, descendit le Mont provençal jusqu’au pied. Avant de prononcer quelques jours plus tard, au moment d’abandonner, des mots désormais mythiques : « Ferdi a mal… Ferdi s’est tué dans le Ventoux ! »

Antoine Blondin, journaliste à jamais lié au Tour de France, avait ainsi son opinion bien tranché au sujet du Ventoux : « On ne l’aborde jamais de gaîté de cœur. Nous y avons vu des coureurs raisonnables confinés à la folie, sous l’effet de la chaleur et des stimulants, certains redescendre les lacets alors qu’ils croyaient les gravir, d’autres brandir leurs gonfleurs au-dessus de nos têtes en nous traitant d’assassins. » Mais malheureusement, il y eu bien pire. C’était en 1967, et la victime s’appelait Tom Simpson. L’extrême chaleur présente dans un « Mont chauve » totalement dégarni de verdure, presque désertique dans son dernier tiers, uniquement peuplé de pierres blanches, ajoutée à un cocktail mélangeant cognac et amphétamines, avait coûté la vie au Britannique à seulement quelques kilomètres du sommet. Les images des supporters remettant en selle le forçat qui retombera quelques hectomètres plus loin ont un caractère tragique. Ce jour-là, Simpson en avait trop demandé à son corps. Et même si l’Histoire s’en est remise, cet épisode restera à jamais gravé dans la mémoire du Tour, et surtout du Mont Ventoux.

Un hommage pour la centième

Pour cette centième édition symbolique dans l’Histoire de la Grande Boucle, c’est donc comme une évidence que Christian Prudhomme et son équipe ont décidé de proposer le Mont Ventoux aux coureurs. Comme souvent, c’est par Bédoin que l’ascension s’effectuera, après un peu plus de 200 kilomètres vallonnés qui ne manqueront pas de fatiguer les plus faibles. Alors même s’il y a forcément un peu d’appréhension après la souris dont avait accouchée la montagne en 2009, le palmarès et le profil de la montée est là pour nous rassurer. Les 21,6 kilomètres d’ascension à 7,5 % de moyenne sacrent rarement des seconds couteaux, préférant les maîtres des cimes : de Gaul à Virenque en passant par Merckx et Pantani, les plus beaux grimpeurs se sont imposés un jour où le « Géant » était au programme. Et que ce soit chez le l’Ange de la montagne luxembourgeois ou chez le Cannibale belge, la manière était au rendez-vous. Alors on peut regretter l’absence de quelques grands hommes dans le palmarès, comme Bartali, Coppi, Bahamontes ou Hinault. Mais ce nombre réduit de vainqueurs au Ventoux a aussi participé à sa légende.

Parce qu’on l’a bien compris, le Mont Ventoux est différent de tous les autres cols. Que ce soit en France ou même en Europe, on n’en trouve pas un pareil au « Mont chauve ». Les paysages, les pentes et les histoires du « Géant de Provence » l’ont rendu unique. Comme un énième signe, c’est donc le jour de la fête nationale que le peloton de la centième Grande Boucle gravira ses impressionnantes pentes. A une semaine de l’arrivée sur les Champs-Elysées, et surtout à la veille de la journée de repos, difficile d’imaginer à l’avance le scénario de la course sur les virages si particuliers du col ni alpestre ni pyrénéen. Mais en réalité, peu importe les péripéties durant les presque 22 kilomètres qui mèneront les coureurs de Bédoin jusqu’au sommet, pourvu que la victoire soit belle et méritée, après on n’en doute pas une ascension douloureuse. Et dans un élan de chauvinisme, secrètement pour certains, un peu moins pour d’autres, on espèrera une victoire tricolore qui sonnerait évidement comme historique dans une étape qui sera inéluctablement indomptable.

Robin Watt

>> Retrouvez tous nos articles de la saga “Place au Tour” en préambule de la centième édition en cliquant ici.


 

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