Meilleur coureur de l'Histoire du cyclisme, le Belge Eddy Merckx n'en garde pas moins une certaine part d'ombre
Meilleur coureur de l’Histoire du cyclisme, le Belge Eddy Merckx n’en garde pas moins une certaine part d’ombre

Après la naissance du « Cannibale » sur les pentes des Tre Cime di Lavaredo sur le Giro 1968, Eddy Merckx semble s’envoler à nouveau sur la course rose l’année suivante. Mais alors qu’il a course gagnée, le Belge va être exclu à trois jours de l’arrivée à Milan, dans des conditions très troubles…

La chute du Cannibale 

2 juin 1969, nous sommes au soir de la 16ème étape du Tour d’Italie. Eddy Merckx est en rose et ne peut plus être battu, il survole les débats. L’an dernier déjà, il avait étalé de toute sa classe la course transalpine, s’emparant du surnom de « Cannibale ». Sur la désormais mythique ascension des Tre Cime di Lavaredo, le Belge a réalisé un exploit dantesque, digne de son personnage. A presque 3000 mètres d’altitude et sous une vague de neige et de froid, Merckx avait écrasé la concurrence et relégué les Italiens à plus de 9 minutes sur les 12 derniers kilomètres, du jamais vu ! Le Cannibale écrasait déjà les classiques, il étale désormais sa dictature sur les grands tours, au point d’effrayer ses adversaires.

1969 ne déroge pas à la règle. Après a victoire sur Paris-Nice, il domina outrageusement la campagne de classiques. Une victoire à San Remo, une autre sur le Tour des Flandres en s’étant échappé à 70 kilomètres de l’arrivée, avant même les premiers gros monts de la course – son directeur sportif Guillaume Driessens lui aurait même dit « C’est de la pure folie Eddy, jamais tu n’ira au bout. » Et enfin une victoire sur la Doyenne en franchissant la ligne avec son coéquipier Van Schil. Le Giro allait démarrer et personne n’imagine Eddy Merckx être battu. Il démarre en effet pied au plancher la course en empochant aisément trois victoires d’étapes et s’empare du maillot rose lors de l’arrivée à Saint-Marin. Nous voilà donc en ce 2 juin, à Savone. Un scandale va bouleverser la caravane rose et changer la carrière de Merckx. Il est exclu de la course après un contrôle antidopage positif !

Des circonstances très troubles

Dans sa chambre de l’hôtel Excelsior d’Albissola, Merckx pleure ses espoirs de victoire perdus. On vient lui annoncer la nouvelle et la marche à suivre. Des traces de Fencanfamina, un stimulant, ont été retrouvé dans ses urines. Mais Merckx proteste et jure n’avoir rien pris. Le professeur Genovese, chargé de l’analyse des échantillons du coureur belge, répond navré : « Écoutez, je suis certain de votre innocence, mais vous êtes positif ». Ce même professeur Genovese était un proche de l’entourage de Felice Gimondi, nouveau possesseur du maillot rose suite au déclassement du Cannibale. Merckx n’a même pas été convié à la contre-expertise. « Nous avons cherché à vous joindre hier soir par téléphone, mais en vain », lui répond-on, alors que le Belge était resté toute la soirée à l’hôtel. Dans le peloton, c’est la stupéfaction. De nombreux coureurs italiens apportent leur soutien à Merckx. Gimondi, Taccone, Paolini et autres allaient organiser une réunion extraordinaire. Les coureurs sont scandalisés, et pour cause. « Les médecins n’y connaissent rien. Avec Franchini, on a pris 12 comprimés d’un produit interdit, et nos analyses se sont toutes révélées négatives ! », s’exclame Vito Taccone. Felice Gimondi, pourtant nouveau maillot rose et probable vainqueur final, exprimait lui aussi son mécontentement. « Nous voulons des preuves, nous ferons grève s’il le faut ! », menaçait-il aux organisateur.

Gimondi avait été pris avec le même produit l’an passé mais n’avait bizarrement pas été sanctionné. Encore plus troublant, ce témoignage d’Eddy Merckx plus de 20 ans après l’affaire, qui confirmait que Rudi Altig, équipier de Felice Gimondi (encore lui !), lui avait proposé de lui acheter la victoire sur le Giro en échange d’une très forte somme d’argent. Il serait venu quelques jours avant le scandale de Savone dans la chambre de Merckx et lui aurait montré une valise pleine de billets. Le Belge aurait catégoriquement refusé toute corruption, déclarant à l’Allemand : « N’ouvre pas cette mallette, je préfère ne pas avoir de regrets, et puis je ne suis pas client. » Cette étrange proposition était très sûrement liée à la mascarade du 2 juin. D’autres éléments confirment la complexité de cette affaire. Le laboratoire où le contrôle a été effectué n’était pas agrée et pire encore, les échantillons de la première analyse avaient disparu !

Plusieurs hypothèse étaient possibles. Une négligence de la part du Belge ou une grosse machination. Mais au vu de tous les éléments louches de l’affaire, on pouvait songer à un complot, voire même à une histoire de corruption. En effet, une rumeur s’était propagée et laissait entendre qu’un soigneur de Merckx s’était laissé corrompre pour verser la substance interdite dans un bidon du coureur. Ce probable complot contre le Cannibale pouvait aussi être l’œuvre des sponsors italiens, excédés par l’outrageuse et froide domination du flamand, qui contrôlait le pouvoir des médias et monopolisait leur attention sur lui.

Quoi qu’il en soit, cet épisode de Savone marquera à vie Eddy Merckx, qui jugera cette affaire comme la plus grande injustice à son égard de toute sa carrière. Plein de rage par la suite, le Cannibale se présenta un mois après sur le Tour de France après avec une force décuplée. Et le mangeur d’homme reprit son incroyable moisson pour écraser la concurrence sur la messe de juillet. Cet épisode de sa carrière contribua à le rendre encore plus fort mais aussi plus imperméable, morose et solitaire. Le Cannibale allait continuer son long règne, n’en déplaise à ses détracteurs.

Amine Ladouani


 

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