« Quand certains d’entre nous achètent une bicyclette, Donald Trump achète une course cycliste. » Tel est le slogan de NBC lorsque la chaîne américaine retransmet le premier Tour de Trump en 1989. Le nouveau président de la Maison Blanche était alors le businessman le plus célèbre d’Amérique et, à la manière d’un Bernard Tapie en France, il investissait dans le sport. Une histoire invraisemblable. Ou quand Donald Trump voulait recréer le Tour de France de l’autre côté de l’Atlantique.
Un homme médiatique omnipotent
Donald Trump est sans doute aujourd’hui l’homme le plus controversé du monde. Mais avant de devenir le quarante-cinquième président des États-Unis d’Amérique, le New-Yorkais à la mèche incomparable a été un businessman haut en couleur, un homme d’affaires prêt à tout pour faire parler de lui. C’est à la fin des années 1970 qu’il apparaît sur le devant de la scène médiatique américaine. Comme Tapie en France, il est l’icône contestable de l’homme qui réussit et qui le fait savoir. L’entrepreneur au teint orangé est un passionné de sport et il décide d’investir dans ce domaine du divertissement au début de la décennie 80. Il achète d’abord une franchise de football américain, les Generals du New Jersey, avec l’espoir de concurrencer l’omnipotente ligue majeure du pays, la NFL. C’est un échec, mais Trump, tenace, investit dans le golf puis dans la boxe. Deux réussites. Il devient même conseiller financier de Mike Tyson. Alors, quand Greg Lemond remporte le Tour de France 1986, Donald J Trump y voit une opportunité exceptionnelle. Le cyclisme, plus précisément le Tour de France, est devenu populaire aux États-Unis. Et quand quelque chose est à la mode de l’autre côté de l’Atlantique, l’insatiable Trump s’y attaque.
L’idée d’une course aux États-Unis ne vient pourtant pas de Trump lui-même. C’est le journaliste de CBS Sports, Josh Tesh, qui, en revenant du Tour 1987 des étoiles plein les yeux, rêve d’une telle course dans son pays. Le reporter en parle à l’illustre commentateur de basketball, Billy Packer, homme dont on vante l’esprit d’entreprise. Il ne faudra pas beaucoup de temps pour le convaincre de lancer cette course, qui sera le « Tour du Jersey », avec dans l’idée de parcourir tout l’Etat du New-Jersey et une bonne partie de la côte Est des États-Unis. La rêverie est alors prête à embrasser la réalité et il ne manque que le financement pour proposer la course aux annonceurs et aux autorités. C’est là que Donald Trump intervient.
Packer approche l’homme d’affaires pour lui proposer de sponsoriser sa course. Trump est alors surtout connu pour détenir plusieurs casinos à Atlantic City, le Las Vegas de l’Est. Tout de suite emballé par le projet, Trump propose de devenir le principal sponsor et d’accueillir la course prêt de ses casinos. Quand Packer lui suggère de nommer l’épreuve « Le Tour de Trump » pour le rendre plus médiatique, le mégalomane l’accepte sans trop hésiter. Commercialement, ce choix sonne comme une évidence, car Donald Trump, 30 ans avant son élection en tant que président des États-Unis, est déjà une superstar. Son nom, brillant dans le ciel de New-York en haut de sa « Trump Tower » est érigé par les rappeurs comme un eldorado de réussite. Son autobiographie, « Trump : The Art of the Deal », reste pendant treize semaines en tête de la New York Times Best Seller list comme le livre le plus vendu du moment. Bref, Donald Trump est une vraie star.
De l’argent et des têtes d’affiches
Si le nom de Trump assure l’attrait des médias, faut-il encore que la course soit au niveau. En 1989, pour sa première édition, le « prize money » est d’un total de 250 000 $, avec une prime de 50 000 $ pour le seul vainqueur. Une très belle somme pour l’époque. Pour ne rien gâcher, la course est parfaitement située dans le calendrier, entre le Giro et le Tour de France. Tout a été pensé pour attirer les stars du peloton international. L’engouement est alors au rendez-vous. Certaines équipes professionnelles vont même jusqu’à annuler leur participation à la Vuelta pour venir sur le sol américain.
Eric Vanderaerden, récent vainqueur de Paris-Roubaix et Andrew Hampsten, vainqueur du Giro 1988 sont notamment de la partie. Tout comme Greg Lemond, miraculé d’un accident de chasse deux ans plus tôt, qui en profite pour faire son retour à la compétition. Deux mois plus tard, le champion américain remporte d’ailleurs son deuxième Tour de France. Néanmoins, la course n’attire pas les foules. Si le Tour de France est devenu populaire, le cyclisme reste quelque chose d’étrange pour la majorité des Américains. D’autant que Trump est déjà un personnage controversé et son livre qui promeut l’enrichissement à tout prix révolte une partie de la population. Ils sont des centaines à descendre dans les rues de l’Etat de New-York lors de la première étape pour se faire entendre au nom de « l’anti-trumpisme ». L’homme d’affaires n’en n’a cure, pour lui : « Le Tour de Trump devrait devenir comme le Tour de France dans le futur. »
Il reste à la course des progrès à faire, notamment lorsqu’Eric Vanderaerden, vainqueur de quatre étapes et bien parti pour l’emporter, perd son maillot de leader en prenant un mauvais virage en suivant de la moto d’ouverture lors du dernier contre-la-montre. L’autre fait marquant de la course est la révélation du talent de Viatcheslav Ekimov, alors amateur, qui remporte la première étape. Mais le Soviétique fait face à une cabale de coureurs professionnels et perd vite toute chance de succès. Finalement, au terme du dernier contre-la-montre dans Atlantic City, où l’arrivée est jugée devant le « Trump’s Casino », c’est le surprenant norvégien Dag Otto Lauritzen, vainqueur d’étape sur la Grande Boucle en 1987, qui l’emporte. Pas le nom le plus prestigieux mais qu’importe, le Tour de Trump a fait parler de lui. En juillet, le ressuscité Greg Lemond remporte le Tour de France à peine un an après son grave accident de chasse et le terrain est plus propice que jamais pour que le vélo américain y prenne racine.
Deux petits tours et puis s’en va
En 1990, la course en profite et se gargarise d’avoir attiré plus de stars encore. Donald Trump est omniprésent dans son rôle d’organisateur, il est sur tous les podiums, à toutes les conférences de presse. Et comme il vient de confirmer sa séparation avec Ivana, la presse ne manque pas le rendez-vous. C’est lui qui a choisi que la seconde édition partirait de Baltimore. Si la ville est un peu perplexe, Trump obtient vite gain de cause en promettant aux élus locaux une invitation à bord de son yacht, le Trump Princess, amarré dans le port de la ville. Omnipotent, toujours.
Si c’est l’Allemand Olaf Ludwig, futur maillot vert, qui prend toute la lumière en décrochant quatre étapes, c’est bien Raul Alcala qui remporte cette seconde édition. Maillot blanc sur le Tour de France 1987, plusieurs fois dans les dix premiers de la Grande Boucle et de la Vuelta, vainqueur de la Clasica San Sebastian, le Mexicain n’est néanmoins pas une superstar. En plus de ce déficit de prestige, les déboires de l’homme d’affaires, empêtré dans des problèmes financiers importants et discrédité par des fuites sur son prochain divorce avec Ivana, parasitent la course. Si bien qu’au terme de cette seconde édition, Donald Trump décide de couper les ponts avec le cyclisme.
Le Tour de Trump est alors remplacé par le Tour DuPont que Lance Armstrong remporte à deux reprises. Mais jamais l’épreuve n’est devenu une course d’envergure internationale. Elle a même disparu en 1995 après que John DuPont, le repreneur, fut accusé puis convaincu de meurtre. Le cyclisme et l’Amérique, c’est une histoire bien compliquée. Que même le puissant Trump n’a pas réussi à transformer en véritable idylle.
Ce John DuPont mentionné dans l’article n’est autre que le John DuPont interprété par Steve Carell dans le formidable film Foxcatcher, sorti il y a un peu plus de deux ans.
Un authentique passionné de sport, notamment de lutte (le film est centré là-dessus), et une personnalité réellement atypique…
Superbe film d’ailleurs. Et c’est un peu l’histoire du meurtre mentionné pour lequel il a fini sa vie en prison.