Paris-Nice puis Tirreno-Adriatico avaient débuté la semaine dernière et lançaient pour de bon la saison des principaux protagonistes aux classiques printanières et aux Grands Tours. L’excitation montait quant à voir les cadors du peloton se confronter directement une première fois dans l’année, mais nous avions oublié que ces premières courses à étape de haut niveau seraient le théâtre de la remise en place de la fameuse stratégie Sky. Ainsi nous avons assisté à deux courses cadenassées par les hommes en noir, qui lançaient dans le final leur terrible train avec en finisseur l’intouchable leader, à savoir Richie Porte sur la Course au Soleil et Chris Froome sur celle des deux mers. Cette véritable démonstration de l’équipe britannique ne constitue pourtant qu’une simple répétition en vue des grandes échéances de la saison que sont le Giro et le Tour de France, de quoi s’inquiéter par rapport à la physionomie des courses que nous verrons sur nos écrans et réveiller le spectre de la purge de juillet dernier. Seulement, des failles ont été repérées ces deux dernières semaines et peuvent constituer des motifs d’espoir pour les adversaires de la machine Sky, emmenés par le flamboyant Vincenzo Nibali. Analyse.
Le retour du train infernal
Ils nous avaient quittés sur la Grande Boucle avec le maillot jaune sur le dos et une incroyable sensation de puissance. Ils reviennent cette année avec la même formule et des atouts supplémentaires. La Sky de Dave Brailsford n’aura pas attendu très longtemps pour s’affirmer comme le patron du peloton en cette nouvelle saison. Elle a en effet reconduit sa stratégie victorieuse qui l’a amené au succès l’an dernier. Basée sur un leader unique soutenu à 100% par tous ses équipiers, elle consiste à cadenasser l’intégralité de la course en imprimant un rythme assez soutenu et extrêmement linéaire puis, à partir de l’ascension finale, faire effacer un par un les équipiers sous la forme d’un train, pour lancer dans des conditions optimales le leader dans les tout derniers kilomètres. La clé de ce train tenait dans la nature et dans le niveau des coureurs qui le constituait. Car personne n’attendait les Michael Rogers et Richie Porte à un tel niveau sur les cols hors catégorie du dernier Tour de France, et encore moins Edvald Boasson Hagen ou Christian Knees capables d’opérer d’aussi longs relais derrière les échappées, chaque jour, sur des terrains montagneux. Ils ont pourtant répondu présents et se sont parfaitement fondus dans le collectif Sky.
La recette sera donc la même cette saison mais elle parait encore plus perfectionnée et dangereuse. Perfectionnée car la technique qui n’était qu’expérimentale l’an passé est désormais complètement validée et bien huilée. Et de nouveaux éléments ont rempli les rangs de l’équipe britannique dans le but de renforcer le niveau et le choix des possibles trains. Ainsi David Lopez sur Paris-Nice et Dario Cataldo sur Tirreno, nouvelles recrues à la recherche d’un second souffle, ont participé au travail d’équipe tout au long de l’épreuve avec un niveau de performance très satisfaisant. Cette Sky version 2013 est donc une machine encore plus dangereuse puisqu’elle dispose de plus de cartouches sur les grandes courses par étapes pour jouer la victoire finale. En effet, Christopher Froome est désormais un potentiel vainqueur de Grand Tour et Richie Porte a montré sur la Cote d’Azur qu’on pouvait compter sur lui quand le leadership lui était confié. Parfait pour suppléer le boss Bradley Wiggins, nettement plus discret cette saison mais leader incontestable de l’équipe quand il enfile un dossard. Cette densité de bons coureurs a frappé sur les deux courses méditerranéennes puisque l’équipe « soft » envoyée à Houilles a aisément dominé la Course au Soleil et ramené le maillot jaune grâce à Porte, et que celle plus consistante envoyée sur Tirreno a impressionné et longtemps pensé faire triompher Chris Froome sur les bords de la mer Adriatique. Quelque soit l’équipe envoyée, avec ou sans Brad, la Sky peut contrôler et s’imposer. C’est ce qui inquiète les fans de cyclisme.
Les limites du système
Dimanche dernier, après les démonstrations des bandes bleues sur le Col d’Eze et à Prati di Tivo, nombreux amateurs de la petite reine étaient découragés quant à la suite de la saison. Sky avait réussi son entrée et allait désormais monopoliser le succès tout le reste de la saison sur les courses par étapes. Le spectacle et le suspense en pâtiraient et on aurait surtout un copié collé du triste Tour de France 2012 en juillet prochain. Seulement, l’armada Sky est invaincue mais pas invincible. Ce système de train présente ses limites, principalement à cause du profil des coureurs qui le compose et leurs caractéristiques. Comme l’a dit très judicieusement Frédéric Grappe sur son compte Twitter, le train de l’équipe britannique est linéaire, c’est-à-dire que le rythme imposé est certes élevé mais extrêmement régulier, en concordance avec la manière de courir du leader Bradley Wiggins. Les changements de rythme peuvent donc contrarier la mise en place de ce train dans une ascension, illustrés par des variations de la pente. Le seul problème, c’est de pouvoir provoquer ce changement de rythme, et peu de coureur en sont capables. On pense bien sur à Alberto Contador et Joaquim Rodriguez, deux coureurs à la giclette très incisive. Ils ont osé sur le dernier Tirreno avec plus ou moins de réussite mais ce qui a été vu cette semaine en Italie est a relativisé du fait de la forme encore précaire des deux Espagnols. Un Alberto Contador au sommet de sa forme est par exemple capable de pilonner la Sky et de l’affaiblir sur plusieurs accélérations comme il aime le faire. Mais avec le risque d’y laisser des plumes et de piocher dans le final. Une « alliance » est aussi envisageable contre cette même Sky, peu appréciée au sein du peloton, de la part des coureurs de la vieille Europe. Nous avons pu voir l’an dernier à la Toussuire que la Sky pouvait devenir vulnérable suite à un enchaînement d’accélérations. Mais la limite de cette manœuvre ce jour là a été l’absence d’un « tueur » dans le final, un coureur capable de porter le coup fatal de part sa fraîcheur.
Au delà du démantèlement frontal que l’on peut opérer dans l’ascension finale, il faut aussi savoir profiter du terrain de jeu et des conditions de course pour battre l’équipe britannique. Dans un Grand Tour ou une course majeure, il y a les étapes clés, souvent montagneuses et où le scénario est souvent très cadenassé et prévisible. Et puis il y a les étapes au profil moins montagneux mais très accidentées, celles-ci peuvent très rapidement devenir incontrôlables. Car si la Sky peut faire dérouler sa machine tout le long d’une étape jonchée d’un enchaînement de col, elle a beaucoup plus de mal, comme toute équipe d’ailleurs, à contrôler un parcours accidenté avec des cotes brèves mais sèches. Car ces profils sinueux en montagnes russes fatiguent beaucoup plus les équipiers et les empêchent de prendre un rythme de croisière, rythme vital au train de la Sky. C’est une chance pour ses adversaires qui peuvent les surprendre sur une cote raide et très courte, ou le train a beaucoup plus de mal à se mettre en place. Ce désavantage pour la Sky est renforcé par le fait que ses leaders n’ont pas le profil de coureurs à l’aise sur parcours accidentés. Bradley Wiggins et Chris Froome ne sont pas connus pour leurs qualités de punch et de vivacité sur de cours et brefs passages, aux autres d’en profiter. L’opportunisme sera primordial pour pouvoir contrecarrer les plans de Dave Brailsford, il faudra évidement profiter des conditions de course et des opportunités qu’elles pourront offrir aux coureurs. Des conditions climatiques difficiles qui pourraient semer le chao ou encore un temps mort durant lequel l’effet de surprise peut opérer. Ces « si » sont très difficiles à réunir mais représentent la seule solution pour contrer le plan Sky. Un exemple concret vient récemment de nous redonner espoir.
Audace, forcing et réussite : l’exemple Nibali
Tirreno-Adriatico, lundi dernier. La Sky a déroulé sur les deux dernières étapes et Chris Froome est en bleu. Au vue de la maîtrise de son équipe ces derniers jours, il ne devrait pas être trop inquiété par ses adversaires sur cette dernière étape en ligne. Seulement, les conditions climatiques deviennent chaotiques et les British perdent brusquement pied sur la dernière ascension du Sant’Elpidio a Mare. Au final, Froome et son équipe finissent dans les choux et Nibali enfile le maglia azzuro pour ne plus le lâcher et remporter la course des deux mers. Le Squale a réalisé un véritable coup de force sur les vingt derniers kilomètres de l’étape, avec un mélange parfait de toutes les conditions énoncées précédemment. Impuissant sur l’étape de montagne, le Sicilien a laissé la Sky travailler toute la journée sous un froid glacial et une pluie incessante, qui plus est sur un terrain très peu à la convenance des coureurs de l’équipe, avec une répétition de cotes courtes et du mur de Sant’Elpidio a Mare.
L’équipe britannique a voulu reprendre trop rapidement l’échappée et a donc abordé la dernière ascension du mur juste derrière cette dernière. Les hommes en noir se sont donc écartés, impuissants sur un terrain qui n’est pas le leur, et Nibali a jailli, plein d’audace et d’opportunisme pour faire la différence. Brillant descendeur et profitant de la collaboration de Sagan et Purito, il a rapidement creusé l’écart quand Froome cherchait ses coéquipiers et traînait en queue de groupe. Résultat : quasiment une minute de perdue pour le Kényan blanc sur moins de 20 kilomètres d’une étape qui n’aurait pas due bouleverser le classement général, et surtout un maillot bleu cédé à son rival transalpin. Ce final était un beau condensé des conditions énoncées plus haut : Nibali a joué d’opportunisme et de courage pour piéger la Sky, sur un terrain favorable à l’Italien et défavorable aux Britanniques, le tout grâce à des circonstances de course exceptionnelles. Au mérite de Nibali, il faut ajouter les erreurs de la Sky, qui a voulu contrôler la course de bout en bout, parfois à la limite de l’arrogance, et qui en a payé le prix fort quand un élément extérieur, à savoir la météo, est venu rouiller la machine.
Cette séquence épique et loin du cyclisme scientifique que nous vendent les anglos-saxons, contribue à entretenir une lueur d’espoir pour les prétendants aux maillots rose et jaune mais montre surtout l’extrême difficulté d’enrayer le train Sky, désespérément efficace jusqu’ici. Mais il faudra bien trouver une solution pour les Contador and co car c’est notre mois de juillet prochain devant la télé qui est en jeu…
Amine Ladouani