En ouvrant leur journal ce mercredi matin, de nombreux Flamands sont tombés des nues. Le quotidien Het Nieuwsblad a publié des extraits du livre de Michael Barry, au nom presque barbare : Shadows on the Road : Life at the Heart of the Peloton, from US Postal to Team Sky. Dans ce livre, où il retrace l’ensemble de sa carrière, le Canadien accuse Tom Boonen, d’avoir acheté le Tour des Flandres 2006 à Leif Hoste, son compagnon d’échappée de l’époque. “Ils ont immédiatement coopéré et fait le trou sur George Hincapie et les autres. J’ai remarqué que les deux coureurs aux avant-postes avaient parlé pendant quelques minutes ensemble […] Un accord avait visiblement été trouvé  entre les deux coureurs, laissant ainsi George Hincapie hors-jeu […] L’argent a probablement déterminé le résultat de la course, comme cela advient dans beaucoup trop de cas.” De lourdes accusations qui posent forcément des questions, surtout depuis l’affaire Vinokourov/Kolobnev ou encore les accusations de Michael Boogerd sur la netteté de la victoire de Camenzind sur le Tour de Lombardie 1998. J’ai donc décidé de revisionner les images de ce fameux Ronde, que je connaissais déjà presque par cœur.

Et très franchement, je n’ai trouvé rien de suspect. Seule la décision de Leif Hoste, qui lance son sprint à plus de 350 mètres de l’arrivée, peut surprendre. Mais sinon, rien. On peut y voir dès le début de course la maîtrise de Tom Boonen, qui accélère pour la première fois dès le Molenberg, à 114 kilomètres de l’arrivée, avant de faire la sélection et de permettre à un groupe de quinze de s’envoler 40 bornes plus loin, dans le Koppenberg. Dans ce groupe de favoris, il reste encore quatre Quick-Step : Paolo Bettini, Filippo Pozzato, le champion de Belgique Serge Baguet et bien sûr Boonen. Un groupe duquel Leif Hoste décide de sortir dans le Valkenberg, à 35 kilomètres du but, suivi par le seul Tornado Tom malgré les efforts d’Andreas Klier et Karsten Kroon. Les deux Belges coopèrent assez rapidement et c’est Hoste qui fait le tempo sur le Mur de Grammont devant un Boonen qui paraît très fort. Le duo collaborera ainsi jusqu’au sprint final, qui ne s’est pas déroulé si bizarrement que ça. À l’époque, Tom Boonen était l’un des meilleurs sprinteurs du peloton, au même titre que McEwen ou Petacchi. A contrario, le triple champion de Belgique du chrono n’a jamais été réputé pour ses attributs de sprinteur, loin de là. Battu d’avance, on peut logiquement penser que Leif Hoste a voulu surprendre son rival en lançant son sprint très tôt.

Hoste : « Le meilleur résultat que nous pouvions obtenir »

Evidemment, Hoste a du répondre aux accusations de son ancien coéquipier. Et j’ai trouvé sa réponse convaincante. “Je pense que ce n’est pas anormal de parler et de négocier dans ce genre de situation. À ce moment-là, j’étais devant et mes coéquipiers derrière. Avec l’équipe, nous avions conclu que je n’aurais pas collaboré si George était seul à notre poursuite. Ce n’était pas le cas alors j’ai continué à rouler. La deuxième place était le meilleur résultat que nous pouvions obtenir. Si j’avais refusé de tirer, nous aurions été repris et George serait peut-être arrivé sixième ou septième.” Cette stratégie est celle que beaucoup de coureurs auraient choisi dans pareille situation. Tom Boonen était très fort ce jour-là, et parfaitement protégé par ses coéquipier. Quasiment impossible à suivre dans les monts, il avait de toute façon un avantage considérable au sprint, capable d’aligner à peu près n’importe qui à cette période de sa carrière.

On peut donc se demander pourquoi Michael Barry a décidé de lancer ce pavé dans la marre, huit ans après la course et sans l’avoir annoncé. Je n’ai pas mis longtemps à me faire une idée. Les déclarations les plus trash font vendre : le public adore et en redemande. Les suspicions, les affaires sombres, les complots ont toujours beaucoup intrigués les gens et le Canadien l’a bien compris. Ce livre n’a pas de but moral ou éthique, il ne vise pas à aider le cyclisme. Il n’a qu’un but lucratif. D’autres avant lui l’ont compris, notamment Tyler Hamilton et Michael Rasmussen. L’ancien vainqueur de la Doyenne avait accusé de nombreuses personnes, notamment Frank Schleck, Fabian Cancellara, Bjarne Riis et Lance Armstrong, à l’approche de la sortie de son livre The Secret Race, accordant également beaucoup d’interviews. Pour le Danois, c’était aussi le grand déballage à l’approche de la sortie de son bouquin Yellow Fever. Outre ses accusations sur l’équipe Rabobank de 2007, il a mis en cause Nicki et Rolf Sorensen, Ryder Hesjedal ou encore Bjarne Riis. Le problème de ses déclarations tardives et sans aucune preuve, c’est qu’elles font vendre, mais ne nous avancent à rien d’autre.

Michael Barry s’est donc bien inspiré de ces deux coureurs. En utilisant un titre racoleur, en citant les noms de l’équipe US Postal et Sky, il ravit les curieux et autres amoureux de complots. Alors que ses premières déclarations, après ses aveux et sa collaboration avec l’USADA, étaient remplies d’espoir, il est tombé dans l’accusation gratuite et sans preuve. Après avoir dénoncé une prétendue prise du produit Tramadol au sein de la formation Sky, c’est une affaire supposée d’arrangement qu’il dénonce. Mais lorsqu’il s’agit de remettre en cause une telle victoire, il faut apporter autre chose qu’une simple supposition faisant suite à une discussion entre les deux coureurs. Il faut des preuves. Car ce genre de suppositions fait énormément de mal au cyclisme, un sport à l’image bien assez détériorée par les suspicions gratuites. Alors les déclarations, mêmes fâcheuses, si elles sont véridiques, font avancer le vélo. Mais là, on ne peut que croire en la bonne foi de l’auteur, pas réputé pour son honnêteté jusqu’à maintenant. D’autant que pour Michael Barry, il est loin le temps où le cyclisme était une passion. Alors qu’il ne s’étonne pas s’il finit comme son homologue danois, Michael Rasmussen, qui s’était retrouvé seul lors de sa séance de dédicaces en décembre dernier.

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