Il entre dans l’histoire. Giro, Vuelta et maintenant Tour de France, le Squale a remporté les trois grands tours, comme Anquetil, Gimondi, Merckx, Hinault et Contador. Et surtout, il a marqué cette Grande Boucle de son empreinte : quatre étapes dans la besace, l’Italien nous a éclaboussé de son panache, et on ne peut que l’en remercier.
Le Nibali qu’on aime
Il y a un an, il avait sublimé le Tour d’Italie. Attaquant, il était allé chercher les étapes qu’il voulait, y compris celle des Tre Cime de Lavaredo, sous la neige. Parce que c’est la nature du garçon, nostalgique du cyclisme d’antan, celui où le calcul n’avait pas encore pris le pas sur le spectacle et les chevauchées qui ont forgé la légende de ce sport. C’est pour cela qu’il a décidé d’attaquer à neuf kilomètres du sommet sur les pentes du terrible Hautacam. Même Alexandre Vinokourov s’est demandé ce que faisait son protégé, s’il n’était pas parti trop tôt. Mais Vincenzo Nibali était sûr de lui, certain de pouvoir tenir jusqu’en haut pour décrocher son quatrième succès sur le Tour, sans aucun doute le plus prestigieux. Comme s’il avait besoin de sublimer sa victoire. Il faut dire que depuis deux semaines, c’est comme si on lui reprochait les abandons de Froome et Contador. Avec eux, disaient certains, Nibali n’aurait pas gagné. C’est peut-être vrai, mais là n’est pas la question : ils avaient qu’à éviter les chutes, ce qu’est parvenu à faire le transalpin pour passer trois semaines sans aucun problème.
Pourtant, en prenant le paletot dès le deuxième jour, à Sheffield, le Sicilien prenait des risques, obligeant sa formation à travailler d’arrache-pied dès la première semaine. Il ne s’en est pas préoccupé plus que ça, sûr de sa force. Sur les pavés, à la Planche des Belles Filles, dans les Alpes puis dans les Pyrénées, il n’a alors cessé d’accroître son avance sur ses poursuivants. A chaque fois que la route s’élevait, lui appuyait plus fort sur les pédales pour lâcher de sa roue Valverde, Pinot, Péraud, Bardet ou Van Garderen. Sur chaque étape de montagne, c’est lui qui a lancé les hostilités, et jamais il n’a semblé être mis en difficulté. Virevoltant, il est simplement allé cueillir les succès qui légitiment finalement sa victoire. Comme pour prouver qu’il méritait son maillot jaune, et que Froome comme Contador auraient eu le plus grand mal à le lui prendre. Rien ne l’y obligeait. Terminer avec plus de sept minutes d’avance sur son dauphin n’était pas une nécessité. Sur les dix derniers jours, il aurait pu se contenter de gérer son avance, en suivant ses adversaires les plus menaçants. Mais il a privilégié le panache, et fait un très grand vainqueur.
Une victoire pour l’histoire
Cela fait bien dix jours que la victoire de Nibali sur les Champs-Elysées est actée, il ne restait plus qu’à attendre que les étapes défilent pour que l’Italien s’approche doucement mais sûrement de cette dernière journée où il pourrait enfin savourer. Pendant ce temps, on a donc fait le tour des statistiques : septième italien à dompter la Grande Boucle, le natif de Messine est surtout l’un des rares à avoir remporter les trois grands tours. Mais ça ne s’arrête pas là : en portant le maillot jaune pendant dix-neuf jours, le Squale a fait sensation. C’est moins que son compatriote Ottavio Bottecchia, qui l’avait eu de bout en bout en 1924, ou que Jacques Anquetil en 1961. Mais c’est aussi bien que Merckx en 1970 ou Hinault en 1981. Pour l’amoureux du cyclisme qu’est Vincenzo Nibali, à n’en pas douter, c’est un chiffre qui compte. Ils sont rares aujourd’hui, ceux qui osent prendre le leadership d’un grand tour dès les premiers jours : l’Italien, lui, n’a eu peur de rien. Un trait de son caractère que l’on a appris à découvrir, depuis quelques années, et qui fait de lui un coureur qu’il est difficile de ne pas admirer.
L’année de leurs sacres, Froome, Wiggins et même Evans ou Contador avaient dû essuyer bon nombre de critiques. Depuis le départ de Leeds, Nibali, lui, est simplement encensé. Agréable avec les médias et spectaculaire sur un vélo, il a tout pour lui, mais ne semble pas en jouer. Il est lui-même, rien de plus. Un coureur qui par sa façon de courir au cours des trois dernières semaines, aurait pu perdre le Tour à de nombreuses reprises, sur les pavés où il roula aussi vite que Cancellara, dans un col où il attaqua très tôt ou dans une descente qu’il fit à bloc. Finalement, il est bien arrivé à Paris, en grand vainqueur applaudi par l’ensemble du public. Parce qu’il s’est démarqué de ses prédécesseurs. Avant, il y avait les « cyniques et les sceptiques ». Aujourd’hui, il n’y a plus que des admiratifs, envoutés par un coureur qui a tout d’une future légende de son sport. Un de ceux dont on se rappelle longtemps après, même s’il ne gagne le Tour qu’une seule fois. Parce que forcément, ceux qui ont observé le Requin de ce mois de juillet ont appréciés, et qu’il voudront en parler. Aujourd’hui, Vincenzo Nibali peut donc regarder dans le rétroviseur, et admirer à son le travail accompli ces trois dernières semaines. Il l’a bien mérité.