Le Tour de Suisse fraîchement terminé, nous pouvons désormais avoir un regard un peu plus distancé sur les évènements et les performances des coureurs, abandonner l’euphorie qui nous prend lors des arrivées pour une relative froideur d’analyse. Que nous reste-t-il de ce 78ème Tour de Suisse… du côté des Suisses ? Qui a confirmé ? Qui a déçu ? Qui s’est révélé ? Passons en revue la course.
Des Kübler/Koblet à Costa
Il est naturellement impossible de commencer sans évoquer la victoire de Rui Costa. Vainqueur à trois reprises (de suite !) il rejoint au palmarès les prestigieux noms de Ferdy Kübler et Hugo Koblet. Preuve que les courses helvétiques conviennent parfaitement au Portugais ! Mais plus que cet aspect statistique, cela nous rappelle surtout que la Suisse était un pays de grimpeurs. Avec l’émergence et surtout la domination d’un Fabian Cancellara, le monde cycliste avait un peu oublié cette facette. Et des coureurs comme Martin Elmiger et Michael Albasini pour ne citer qu’eux ont consolidé cette image d’une Suisse plus à l’aise dans les classiques. Or le Tour de Suisse de l’année passé avait remontré sur la scène mondiale une Suisse qui fabrique des coureurs de tours. Et la cuvée de cette année amène pleine confirmation : il faudra compter avec Mathias Frank sur les prochaines épreuves montagneuses ! Dépossédé de sa virtuelle tunique jaune lors de l’ultime ascension, lors des ultimes kilomètres même, le Lucernois n’a aucun regret à avoir, il aura tenté. Simplement Rui Costa était bel et bien le plus frais des deux (des trois si l’on compte Bauke Mollema, revenu sur le tard), sa fréquence de pédalage n’avait rien à voir avec celle du Suisse. Mais auparavant le coureur de IAM a attaqué deux fois, montrant qu’il n’avait pas peur de prendre des risques. Une belle attitude qui ponctue un superbe Tour de Suisse ! On pourra encore retenir que Frank n’est pas des plus chanceux sur cette épreuve, lui qui a perdu son maillot jaune à chaque fois lors de la dernière étape ! Pas des plus chanceux sur les routes suisses oui, mais alors beaucoup plus chanceux dans la vie puisqu’il a vécu la naissance de sa fille en début de tour !
Frank, un leader qui assume et assure
Continuons notre revues des coureurs suisses avec un autre sociétaire de IAM : Marcel Wyss. Fidèle lieutenant de Mathias Frank, il a réalisé un boulot énorme sur l’ultime étape, roulant pendant la quasi totalité de la montée, se livrant à un mano a mano avec Tony Martin, maillot jaune déchu. Une tunique qu’il essayait tant bien que mal de conserver à coups de gros braquets, mais ce n’était clairement pas son terrain de jeu. Et si Mathias Frank peut remercier son coéquipier, il n’est pas le seul puisque le vainqueur Rui Costa à l’ombre pendant toute cette étape – et ce tour (sa réputation de suceur de roues n’étant plus à parfaire…) – a pu pleinement profité de l’excellent abattage de Marcel Wyss, qui a emmené tout son monde dans un fauteuil, avant de lâcher et de finir lui-même 8ème de l’étape. Il a donc montré qu’il tenait la forme ; de bonne augure pour le Tour de France, non plus comme lieutenant mais peut-être pour aller chercher une belle étape.
Morabito vole la vedette à Evans
Cette dernière étape aura aussi soulevé d’autres points : Steve Morabito semble avoir retrouvé des couleurs. Toujours aux côtés de son leader Cadel Evans – comme lors de chacune des épreuves helvétiques – il ne participera pas cette année au Tour. Un mal pour un bien car il pourra peut-être s’illustrer au Tour d’Autriche, une épreuve non moins montagneuse ! 4ème lors de l’étape finale, il semble avoir retrouvé ses jambes d’il y a quelques années et se paie même le luxe de devancer des coureurs comme Kreuziger, Ten Dam, Pinot et même Cadel Evans ! Concernant Oliver Zaugg, ce n’est pas constat similaire : perdu de vue depuis sa victoire au Tour de Lombardie, il s’est rappelé de bons souvenirs en venant faire la montée avec les meilleurs, pour finalement décrocher une encourageante 5ème place sur l’étape vers Saas-Fee. Si les langues pentes ne sont pas au goût de coureur de Tinkoff, il lui reste encore du rythme dans les jambes quand il doit produire des efforts plus courts. De quoi espérer un succès dans une classique de fin de saison ? Rien n’est moins sûr…
Un Cancellara loin des meilleurs
Difficile de ne pas évoquer Fabian Cancellara : vainqueur de l’édition 2009, il savait que le parcours de cette année n’était pas fait pour lui. Mais il a aussi pêché sur son exercice favori, ne terminant que 4ème du prologue inaugural. Si le Bernois reste toujours aussi performants sur les flandriennes, il a perdu un peu de son punch – le poids des années n’aidant pas. Une déception quand même concernant le tout nouveau champion suisse de contre-la-montre, même si l’on se doutait qu’il ne serait plus aussi performant…
Enfin, il est surprenant de voir figurer le nom de Nino Schurter parmi les commentaires sur la route ; et pourtant le vététiste alémanique n’a pas été ridicule, loin de là ! Complètement hors du coup sur le Tour de Romandie, il a su rectifier le tir et on a pu le voir attaquer et montrer le maillot. Il a démontré des facultés étonnantes d’adaptation, s’habituant aux très longs efforts de manière extrêmement rapide. A tel point qu’il a décroché deux beaux tops 10 sur des étapes, la 2ème et la 5ème, et un prix de la combativité ! A ne pas en douter une belle aventure pour lui.
IAM : 100% Suisse, 100% séduisante
Finissons ce tour des Suisses avec un panaché de coureurs: Silvan Dillier, Jonathan Fumeaux, Michael Albasini et Reto Hollenstein. Les deux coureurs de chez IAM Cycling ont été plutôt à leur avantage, mais tout particulièrement celui de la BMC, Dillier. L’Argovien a montré tout son panache en s’arrachant pour finir sur une excellente 6ème place lors de la seconde étape. Il récidive avec un nouveau top 10. Il confirme qu’il sera un nom à suivre ces prochaines années. Pour Michael Albasini, on pourrait assimiler ceci à de la routine : à savoir, il se fait discret jusqu’à la ligne et surgit en costaud. Malheureusement pour lui Sagan fait figure d’épouvantail ! Il avait fait tout juste en sortant en tête lors du dernier virage, simplement le Slovaque est une force de la nature, il est parvenu (et assez aisément !) à le remonter. Rageant. Mais cela doit certainement rassurer Albasini, en vue des classiques de fin de saison. Et enfin Reto Hollenstein : passé plutôt par des équipes modestes, il bénéficie cette saison d’un peu plus de lumière. Et son Tour de Suisse a été aussi satisfaisant, même s’il n’a pas pu revêtir la tunique à pois, où il termine 2ème dernière le coureur d’Europcar Thurau. Mais cela souligne surtout une chose : le formidable Tour de Suisse de IAM, qui était partout : dans les échappés, sur les Grands Prix de la montagne et à assumer la course pour son leader ! L’équipe suisse a vraiment montré qu’elle avait des ambitions et surtout qu’elle se donnait les moyens de les satisfaire !
Quentin Perissinotto