Ce cliché de Bernard Hinault dans l'étape de Superbagnères en 1986 fait partie des plus réussis - Photo L'Equipe
Ce cliché de Bernard Hinault dans l’étape de Superbagnères en 1986 fait partie des plus réussis – Photo L’Equipe

Au détour de l’exposition du Tour de France sur les grilles du Jardin du Luxembourg, nous avons pu observer 80 clichés, de toutes les époques et de toutes les régions. Mais aussi croiser des personnages indissociables de la Grande Boucle : Bernard Hinault, Bernard Thévenet, Gilbert Duclos-Lassalle ou encore Jean-Marie Leblanc. Les yeux pleins d’Histoire et la tête pleine de souvenirs à la vue de certaines photos, ils ont tous accepté de répondre à nos questions, à fortes connotations historiques.

Plus dur ou non, c’était différent !

Regardant toujours les photos les plus anciennes avec beaucoup d’admiration, ceux qui ont fait une bonne partie de l’Histoire de l’épreuve ont un avis différent sur les premières éditions du Tour. Gilbert Duclos-Lassale s’étonnait devant la longueur des étapes : « Brest-Cherbourg, ça ne se fait plus. C’était sur de belles nationales, avec de beaux pavés. » Et quand on lui demande de comparer ce genre d’étapes à une classique comme Milan-Sanremo, sa réponse est clair : « Ça n’a rien à voir. Sur Milan-Sanremo, les 300 kilomètres, on ne les voit pas passer. Sur Roubaix par exemple, où il y en a 260, on les sent beaucoup plus. » Pour le double vainqueur de l’Enfer du Nord, c’est donc certain, les bosses ne valent pas les pavés…

Traverser la France en large et en une seule étape a contribué à la légende du Tour.  Mais les deux vainqueurs de la Grande Boucle que sont Hinault et Thévenet auraient-ils aimé courir dans les années 20, 30 ou 40 ? « On aurait couru avec notre époque, sans se poser de question. Que ce soit au début du siècle, au milieu ou maintenant, on s’adapte à chaque fois » assure Hinault, avant d’affirmer que « quelque soit l’époque, si t’es le meilleur, tu t’en sors. » Pour le tombeur de Merckx, les premiers mots sont sincères : « C’était vraiment galère… Mais je ne sais pas ! » La raison ? Sûrement la dureté des premiers Tours : « Les étapes étaient plus longues, il y avait plus de course et moins de repos. C’était beaucoup plus usant… » affirme le Bourguignon. Toutefois, pour lui, « chaque époque a ses avantages et ses inconvénients. Les routes sont devenues plus faciles, les étapes sont plus courtes et le matériel a évolué. Mais maintenant, ça roule beaucoup plus vite. Je pense qu’il y a aussi beaucoup plus de bagarre que dans le temps pour les victoires d’étapes. »

Le Blaireau, en revanche, refuse de se prononcer sur l’évolution de la difficulté. « Je n’en sais rien, je ne suis plus dans le vélo. Peut-être que les conditions de vie sont un peu meilleures parce que les hôtels et les routes le sont. Et encore, ce n’est pas dit parce qu’avec les ronds-points et les trottoirs, c’est peut-être plus dangereux aujourd’hui qu’il y a quelques années… » Le Tour reste le Tour et au final, son compatriote Bernard Thévenet est d’accord : « Ça a évolué dans le fait que le jeu d’équipe est beaucoup mieux organisé. » juge le champion de France 1973. Mais pour lui, « ça a beaucoup changé dans la forme, mais pas tellement dans le fond. Il y a toujours des difficultés et elles permettent aux coureurs de se départager. A toutes les époques, ça a été ce problème ou cette ambition là : se départager dans les endroits difficiles ou piéger l’adversaire dans les endroits un peu moins compliqués. »

Et en tant qu’organisateur ?

Henri Desgranges a été le premier directeur du Tour et c’est d’abord grâce à lui que l’épreuve existe. Pour Jean-Marie Leblanc, s’imaginer à la direction au début de l’Histoire est donc compliqué : « Je ne me suis jamais posé la question. J’imagine que c’était difficile, plus que dans les années modernes. Les problèmes n’étaient pas les mêmes, mais c’était un truc de fou en terme de logistique. Je ne sais pas si j’aurais préféré être à cette époque là. » Comme il nous le signale, celui qui a dirigé la Grande Boucle de 1989 à 2006 y est arrivé parce qu’il pratiquait le cyclisme, et ensuite parce qu’il l’avait commenté. Il est donc venu « pour le sport » et a appris « à en être un organisateur ». Avant d’affirmer, sourire aux lèvres, que ce rôle lui a « bien plu ». « Alors si ça avait pu se faire en 1910 pourquoi pas, mais impossible de me l’imaginer » termine l’homme de 68 ans.

Impossible peut-être parce que les évolutions sont grandes et que le métier de Desgranges était en partie différent de celui de Leblanc. C’est en tous cas ce que note le Poitevin « dans le domaine de l’exigence. » « C’est l’époque qui veut ça, on veut toujours plus, toujours mieux. Et nous étions condamnés à être exigeants parce que le Tour est considéré comme l’épreuve numéro une ! Il fallait mériter cette place, toujours s’améliorer. » Pour justifier cette tendance, l’ancien journaliste à L’Equipe invoque les pressions qui gravitent autour de la Grande Boucle, au niveau de la sécurité notamment. C’est d’ailleurs ce qui amène ce « challenge permanent. » Toutefois, cet environnement à changé « à cause du dopage, qui a créé une pression supplémentaire qui personnellement émoussé, a fait en sorte qu’à 62 ans en 2006, j’ai considéré qu’il était temps de m’arrêter » confie l’homme désormais libéré de toute responsabilité.

Il l’affirme d’ailleurs, il se porte mieux : « Je ne suis plus impliqué comme avant dans le cyclisme. Je suis délesté de ces pressions là, et je le vis mieux. » Le cyclisme ne le passionne plus comme avant, et seules les grandes courses attirent encore son attention. Depuis son retrait de la direction du Tour de France, Jean-Marie Leblanc a décroché, en particulier par rapport aux noms des coureurs et aux sponsors d’équipes. Comme il le dit lui-même, sa « connaissance du milieu s’effrite. » Mais cela ne lui manque pas, même si chaque année, il revient voir au moins une étape de la course qu’il a dirigé. En pur spectateur, il apprend à apprécier de nouvelles choses, qu’il nous décrit : « Je trouve que c’est esthétiquement beau. » « C’est le bonheur de s’asseoir sur le bord du chemin, de n’avoir rien à payer, de regarder et de boire un coup… C’est les vacances. Quand on n’a plus de responsabilités, ça change la vie. » Comme le signe que la légende du Tour n’est pas erronée. La Grande Boucle, ça use…

Robin Watt


 

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