A 24 ans, Quentin Lafargue a été l’une des surprises des Championnats du Monde de Saint-Quentin-en-Yvelines. On l’attendait sur le kilomètre, il a goûté à la déception d’une quatrième place. Mais il a su se remobiliser et aller chercher une médaille de bronze inattendue sur la vitesse individuelle. Le staff l’avait aligné sur cette discipline plutôt que sur le keirin, et lui-même n’avait pas trop compris. Finalement, il a fallu qu’il tombe sur le futur champion du monde Grégory Baugé pour se faire sortir. Après une semaine à briller dans le sillage d’une équipe de France euphorique, il se pose comme le leader de la nouvelle génération du sprint tricolore. Dur avec lui-même malgré le bonheur de cette première médaille mondiale, il raconte à la Chronique du Vélo comment il a vécu les douze derniers mois, entre déceptions et remobilisation. Entretien grand format.
Quand on décroche une médaille mondiale à 24 ans, en étant battu en demi-finales par le futur vainqueur, qu’est-ce qu’on se dit ?
Déjà on est super content, parce que j’ai loupé de peu la médaille sur le kilomètre, et mon objectif sur ces Championnats du Monde était vraiment d’en décrocher une. Celle-ci est donc la récompense de mon travail depuis deux ans, où j’ai beaucoup évolué sur ma manière de travailler. Et puis sur le tournoi de vitesse, c’est aussi une énorme joie. Je m’étais fixé d’arriver en quarts de finales, mais au-delà, je pensais avoir besoin de plus d’expérience. J’y suis donc allé sans complexe, en me disant que j’étais peut-être là pour faire quelque chose de grand.
Les complexes justement, vous vouliez déjà les gommer il y a quelques mois. En avez-vous eu lors de votre demi finale contre Grégory Baugé, ou plus tôt en huitièmes contre François Pervis ?
Non, je pense vraiment avoir abordé ce tournoi sans aucun complexe. Pour réussir mon tournoi, il fallait passer par un bon 200 mètres d’entrée, je savais que ça me mettrais en confiance. Je savais donc qu’il fallait faire 9,7 secondes, et je savais que j’en étais capable. Alors après avoir réussi ce temps, le tournoi était pour moi assez ouvert. J’étais en confiance et je prenais match après match, en prenant du plaisir sur mon vélo.
Certains disent que vous êtes le médaillé que l’on n’attendait pas, du moins pas sur la vitesse. Et vous, vous l’aviez dans votre tête cette médaille, ou c’était inespéré ?
Je n’y pensais vraiment pas, non. Mon objectif était vraiment d’aller chercher une médaille sur le kilomètre, j’ai déjà disputé cette discipline aux Mondiaux et je connaissais mes adversaires. Joachim Eilers par exemple, c’est quelqu’un que j’ai battu trois fois aux championnats d’Europe espoirs. Mais en vitesse, je ne m’attendais pas du tout à ça. J’ai fait un truc dont je ne me pensais pas capable, et psychologiquement, une barrière est tombée.
Vendredi soir, quand vous terminez quatrième du kilomètre, vous vous dites que vos Mondiaux sont ratés, ou que vous devez aller chercher la médaille sur la vitesse ?
Je ne me dis pas que mes Mondiaux sont ratés, mais je suis très déçu. J’y ai cru jusqu’au dernier moment. François était champion du monde en titre, mais je le savais dans une forme pas excellente. Je me suis dit ça va le faire, François ne sera peut-être pas champion du monde, et moi je serai sur le podium. Mais il est allé chercher ce titre au mental, et bravo à lui. Après, c’est vrai que l’heure qui suit, je suis très déçu, mais les entraîneurs et le staff en général ont su trouver les mots pour me réconforter assez rapidement.
C’est ma meilleure saison en élite, j’ai fait mon premier podium international aux Championnats d’Europe. On a aussi gagné la Coupe du Monde de Cali, et sur le kilomètre la semaine dernière je fais un chrono que j’espérais vraiment faire, mais que pas grand-chose ne présageait. Donc j’ai réussi à rebondir, à me dire que la forme était quand même là, et je suis parti sur le tournoi de vitesse sans pression. J’avais envie de me faire plaisir, j’avais profité du public pendant quatre tours sur le kilomètre, et je voulais que ça continue le plus possible, que ça ne dure pas qu’un seul jour.
A ce moment là, la France a déjà quatre champions du monde, le staff parvient-il à se détacher d’eux pour s’occuper de vous ?
Oui, et c’est justement le signe qu’on est redevenu une équipe. Je ne peux pas dire soudée, parce qu’on est tous des adversaires, mais une équipe dans son ensemble. Tout le monde en fait partie, et que tu sois champion du monde ou non, tu as ta place. On est tous des professionnels, qu’on ramène des médailles ou non, et on s’entraîne tous les jours au quotidien pour aller en chercher. Vendredi soir je n’avais pas de médaille, et ce n’est pas pour autant que j’étais considéré comme le plouc de service. J’ai donc digéré, j’ai mal dormi mais j’ai réussi à prendre du recul assez vite. Les entraîneurs m’ont aidé par leurs mots, ils ne m’ont pas mis de pression mais croyaient vraiment en mes chances sur la vitesse, même s’ils ne me l’avaient jamais vraiment dit. J’y suis donc allé confiant de mes qualités après mon temps sur la borne, mais sans pression.
Le choix des entraîneurs de vous aligner sur la vitesse plutôt que sur le keirin était d’ailleurs surprenant…
Pour moi aussi c’était une surprise, mais une sélection se mérite. En keirin, j’ai participé à une Coupe du Monde mais je suis tombé. Je ne méritais pas vraiment de faire le keirin des Mondiaux. Je ne pense pas que Michaël (D’Almeida, ndlr) le méritait plus que moi, mais c’était aussi le moment d’essayer un peu tout le monde dans les disciplines. On est tous des sprinteurs, capables de briller sur plusieurs disciplines, et ils ont testé Michaël sur ces Mondiaux. J’ai été déçu car j’en faisais un objectif, mais je me suis rapidement dit que s’ils m’avaient mis en vitesse, c’est qu’il y avait peut-être quelque chose à y faire.
Si on revient à un an en arrière, vous n’étiez pas sélectionné pour les Mondiaux de Cali. Qu’est-ce qui a fait de vous l’un des meilleurs pistards en si peu de temps ?
Je pense que physiquement, ça fait un moment que je suis capable de faire de belles choses, mais je me suis pris une grande claque l’année dernière avec ma non-sélection pour les Mondiaux. Déjà que psychologiquement, je me mettais des barrières, mais en plus, le staff en poste n’avait pas confiance en mes capacités. C’était une grosse déception pour moi, mais ça a peut-être été un mal pour un bien. C’est aussi ce qui m’a permis de rebondir assez vite, de reposer à plat tout ce qui n’allait pas. J’avais vraiment à cœur de prouver à tout le monde que cette non-sélection était une erreur et que ça ne se reproduirait plus. Je ne me sens toujours pas incontournable aujourd’hui, mais mon statut a évolué au sein de l’équipe de France.
En devenant champion de France de vitesse à l’automne, vous êtes vous dit que vous aviez votre place dans le trio de vitesse par équipes ?
La vitesse par équipes c’est particulier, c’est une discipline que j’apprécie beaucoup. J’ai été champions du monde juniors et c’est une discipline olympique à laquelle j’accorde beaucoup d’importance. Mais être champion de France de vitesse individuelle, ça n’ouvre pas forcément les portes de la vitesse par équipes, parce que ça demande des qualités totalement différentes. Je ne me suis donc pas dit que j’allais être titulaire de la vitesse par équipes, mais je pense beaucoup à cette épreuve et quand j’ai appris que j’étais aligné sur la manche de Coupe du Monde de Cali, j’en ai fait un objectif. Ca s’est bien passé pour l’équipe, un peu moins bien au niveau de mes chronos, mais sur le plan de l’expérience ça m’a fait beaucoup de bien. Je n’avais jamais gagné de Coupe du Monde. Pour autant, je suis encore loin d’être indiscutable puisque le trio qui était aux Mondiaux est champion du monde, et que chacun d’entre eux a fait le boulot. Mais cette équipe est dans un coin de ma tête.
Justement, y’a-t-il vraiment moyen, si vous vous montrez excellent, de prendre une place parmi les trois, ou le fait que Baugé, Sireau et D’Almeida courent ensemble depuis des années et enchaînent les titres les immunisent ?
Immunisés je sais pas, mais en grande confiance c’est certain. C’est vrai qu’ils courent ensemble depuis des années, ils ont des automatismes. Mais la vitesse par équipes n’est pas une discipline collective. Chacun doit faire une grande performance personnelle pour aider l’équipe. Donc c’est possible d’intégrer le trio, tous les maillons peuvent être changés. Là ils sont donc champions du monde, c’est un très bon résultat et le trio risque d’être reconduit l’année prochaine, mais ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas changer pour les Jeux.
Quand on décroche une médaille de bronze aux Mondiaux, est-ce qu’on se dit qu’en allant à Rio, le podium serait largement envisageable ?
Moi j’ai toujours dit que si tu fais partie de l’équipe de France aux Jeux Olympiques, c’est que tu es en lice pour aller chercher une médaille. On l’a encore prouvé la semaine dernière, on fait partie des grosses nations de la piste, surtout dans le sprint. C’est sûr que si j’obtiens ma sélection pour les JO, ce sera avec un objectif de médaille. Mais même si ça se rapproche, c’est encore loin, il peut se passer beaucoup de choses en un an et demi. Et là tout de suite, j’ai envie de profiter de ce qu’il s’est passé sur ce Mondial et de repartir au travail. Je suis motivé pour continuer à travailler et à progresser, et on verra où ça nous mène.
Pendant la semaine, on nous a parlé des médailles françaises, mais aussi et surtout des Jeux de Rio. Seuls quatre athlètes français seront cependant engagés, on peut donc penser que ce sera le trio de vitesse par équipes, et un autre coureur qui devrait être Pervis. Pour vous, aller aux Jeux passe donc par intégrer la vitesse par équipes, non ?
Oui c’est sûr, notre qualification olympique passe par la vitesse par équipe. On qualifie la vitesse par équipe, et elle définit ensuite les quotas. Dans l’esprit, il n’y a donc même que trois places pour les Jeux. S’il y avait quatre pistards à Londres, c’est parce que Bourgain a pris un quota à la route. Je ne sais pas si ça se passera de la même façon à Rio, parce que finalement les quotas ont été ouverts dans les disciplines, mais les quotas masculins n’ont pas été augmenté. On est donc cinq à pouvoir aller chercher une sélection pour les JO, mais ce sera hyper restreint, et il n’y aura pas de la place pour tout le monde. Mais personnellement je n’ai vraiment pas envie de me prendre la tête avec ça, je ne me suis pas pris la tête pour les Mondiaux et ça a plutôt bien marché, donc je vais essayer de continuer à avancer de cette façon. Dans tous les cas je suis le plus jeune de la bande, et si ce n’est pas aux Jeux de Rio que je vais, ce sera à ceux d’après. Malgré tout, je n’y ai jamais autant pensé que maintenant et je me battrais pour pouvoir faire partie de cette délégation.
On dit que vous incarné la nouvelle génération du sprint français, ça vous plaît d’être un moteur, ou vous préférez progresser dans l’ombre de vos aînés ?
Progresser dans l’ombre ce n’est pas facile. J’ai réussi à faire des jolies performances aux championnats de France depuis quelques saisons déjà, et c’est le genre de récompenses qui jusqu’à maintenant validaient mon travail. Mais il fallait une médaille aux Mondiaux pour passer un cran au dessus, et c’est chose faite maintenant. Alors après c’est sur que quand on a la génération Baugé, Pervis, Sireau et D’Almeida qui truste les hauts de tableaux, c’est compliqué pour les jeunes derrière. Mais c’est ce qui fait la renommer du sprint français, et si t’es jeune et que t’arrives à percer avec ces gars là, c’est que ça va bien !
Après les Mondiaux de l’année dernière, on pointant du doigt l’ambiance en équipe de France, avec les difficultés de Justin Grace, les conflits entre Baugé et Pervis. Les Mondiaux de Saint-Quentin ont-ils regroupé et remobilisé tout le monde ?
On est certes regroupés et remobilisés, mais pour moi, ce n’est pas forcément grâce aux Mondiaux. Il y a beaucoup de choses qui ont évolué depuis que Justin est parti. Franck Durivaux a repris les reines, et dans un premier temps ça se passait beaucoup mieux, on a retrouvé de la stabilité à l’entraînement. Cependant il s’est vite retrouvé débordé : on est treize à s’entraîner à Saint-Quentin, et pour faire du haut niveau, il faut faire dans l’individualité. C’est pour ça que l’arrivée de Laurent Gané, au moment des Championnats de France en octobre, a fait beaucoup de bien. C’est un grand champion qui connaît le très haut niveau. Il a une façon de nous guider et d’aborder la compétition qui nous a fait du bien. Il a su tous nous fédérer autour de son discours. En plus de ça, on n’a pas eu beaucoup de résultats au cours de la saison, mais il nous a fait confiance, il est resté persuadé que le potentiel était là. On est tous repartis au travail et là c’est une équipe de France solide qui s’apprête à aborder une saison olympique.
Est-il indispensable d’avoir dans l’encadrement un ancien champion comme Laurent Gané, au même titre que Florian Rousseau ou Arnaud Tournant que vous avez pu côtoyer par le passé ?
Je pense que oui, ne serait-ce que par l’aura qu’un champion peut avoir dans un groupe. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de respect pour Franck Durivaux, parce que je le connais depuis les juniors et j’adhère énormément à tout ce qu’il nous fait faire. Mais Laurent fédère beaucoup plus autour de lui, notamment parce que toute la génération qui est un peu plus âgée que moi voit en lui un des derniers champions olympiques français, et un entraîneur qui peut nous mener à l’or olympique.
Dans le programme de sa dernière campagne, le président de la Fédération, David Lappartient, avançait vouloir mettre en avant la piste. Pour vous, est-ce sur la bonne voie ?
La piste était en effet la priorité de son mandat. Mais au moment de sa réélection (en février 2013, ndlr), il manquait encore les intervenants, et le fait d’avoir retrouvé cette stabilité avec un DTN (Vincent Jacquet, ndlr) qui pose les choses et qui est énormément à l’écoute des coureurs a fait beaucoup de bien. Il a su former une équipe compétente autour de lui, il a amené Laurent Gané, Franck Durivaux, et a recréé cette stabilité au sein du groupe. Il y a beaucoup de choses qui s’organisent à Saint-Quentin et qui n’existaient pas quand on y est arrivé, il y a un an. Tout se met en place petit à petit pour que tout soit parfait d’ici un an et demi. Je pense que le gros du travail a été fait par le DTN, et ça porte ses fruits.
Depuis 2010 et l’arrêt de Cofidis en cyclisme sur piste, vous êtes sans équipe. A quel point cela vous handicape-t-il au quotidien ?
Ce n’est pas facile, je ne gagne pas énormément d’argent. Maintenant, j’estime que si je ne gagne pas beaucoup, c’est que je ne le mérite pas encore, qu’il n’y a pas eu les résultats qui me le permettraient. Je pense que ça va un petit peu changer, et dans tous les cas, même si ce n’est pas facile, je fais tous les jours quelque chose qui me passionne et pour lequel j’ai envie de me donner à fond. J’adore ce que je fais et je n’échangerais ma vie contre celle de personne. Même si ce n’est pas facile, la vie ne l’est pour personne et je pense qu’en tant que sportif de haut niveau, on reste privilégiés.
A titre personnel, le fait que Pervis et Sireau retrouvent une équipe (ils viennent de signer avec l’Armée de Terre) vous permet-il d’être plus optimiste quant à votre avenir financier ?
Je pars du principe que le résultat amène la facilité dans la vie de tous les jours. Si t’as des résultats on parle de toi, et si on parle de toi t’as plus de chances d’avoir des partenaires. Greg n’a jamais eu de problèmes financièrement, François s’est beaucoup plaint à un moment mais ce n’est plus le cas maintenant.
Mais n’est-ce pas démesuré qu’il faille être de multiples fois champion du monde pour gagner correctement sa vie lorsqu’on est un pistard français ?
Je sais pas si je peux juger ça comme ça. On ne fait pas du foot, on parle un peu moins de nous, mais au moins quand on parle de nous, c’est qu’on fait de belles choses. Je pense aussi que ces Mondiaux à Saint-Quentin, au-delà de l’aspect sportif, ont été une réussite sur le plan de l’accueil du public. C’était comble tous les jours, on a reçu des tas de messages de soutien, parce que l’équipe de France et le cyclisme sur piste, le public aime ça. Et c’est ce qui fait chaud au cœur. On n’est pas des footballeurs pros, mais on fait des choses pas trop males et ça plaît aux gens.