François Pervis peut fièrement brandir sa médaille d'or obtenue sur le kilomètre : il l'a méritée - Photo minsk2013.by
François Pervis peut fièrement brandir sa médaille d’or obtenue sur le kilomètre : il l’a méritée – Photo minsk2013.by

Champion du Monde à Minsk il y a quelques semaines, François Pervis est l’un des fers de lance du cyclisme sur piste français. Portant fièrement les couleurs de son pays, il se bat sans cesse pour que la piste, trop longtemps délaissée, redevienne importante. Le Mayennais le sait, les Anglais prennent une avance qu’il sera très difficile de rattraper. Son titre sur le kilomètre, la démission de Florian Rousseau, les promesses de David Lappartient et son avenir, le Français se confie à la Chronique du Vélo. Un entretien des plus enrichissants.

Bonjour François. Il y a un mois, vous étiez aux championnats du monde à Minsk. Avec le recul, comment vous analysez vos performances là-bas ?

Au niveau des chronos, je pense que ça reste quelque chose d’exceptionnel. La piste et son design faisait qu’elle n’était pas très rapide. Pourtant, j’ai battu mon record sur le kilomètre… (Il se reprend) Enfin non, je n’ai pas battu mon record, mais l’effort que j’ai fait le vaut largement. J’ai déjà fait deux dixièmes de moins mais c’était à Cali, à 900 mètres d’altitude. Donc on peut dire que si je fais l’effort que j’ai réalisé aux championnats du monde à Cali, sur la piste où j’ai mon record, je descends sous la minute. Potentiellement, c’est donc énorme. Et puis, j’ai aussi fait un super chrono sur le 200 mètres. Sans oublier une place de troisième en vitesse individuelle et par équipes, qui sont des médailles que je n’avais pas encore. Donc je suis très content.

Et aviez-vous d’autres informations que le temps concernant votre performance sur le kilomètre ?

Non parce que je n’avais pas de SRM sur mon vélo. Mais j’ai obtenu le troisième meilleur chrono jamais réalisé en compétition. Il y a un record du monde détenu par Arnaud Tournant, mais il est allé à 3600 mètres pour le faire, et il s’est concentré uniquement sur ça, c’était hors compétition. Pour moi, il y avait forcément plus de pression. Du coup, j’ai la première et la troisième meilleure performance mondiale de tous les temps en compétition, je suis super content. Et en plus c’est mon premier titre, avec un super chrono. Je suis aux anges !

C’est clairement le meilleur championnat du monde de votre carrière après des années de galère au niveau des sponsors. Vous prenez ça comme une revanche ?

Non pas vraiment… Je n’étais pas revanchard sur la ligne de départ. Ce qui s’est passé est fait et j’essaie de m’en servir positivement pour avancer. Je ne suis pas aigri de ce qui s’est passé donc non, pour moi ce n’est pas une revanche.

Vos performances en particulier ont fait de ces championnats une réussite pour l’équipe de France. Pourtant, au lendemain de la compétition, on a appris la démission de Florian Rousseau. Comment avez-vous vécu sa décision ?

On l’a tous très mal vécu, c’était un véritable déchirement et j’étais vraiment surpris. Et surtout, on s’est senti abandonné parce que si la fédération n’écoute pas Florian Rousseau quand il demande des choses pour faire évoluer la piste, on n’écoutera personne. Il a dit qu’il avait atteint ses limites par rapport au cyclisme, puisqu’il n’était pas écouté depuis des années, et on va difficilement pouvoir évoluer sans lui.

Quelques semaines après, David Lappartient a été réélu à la tête de la FFC, est-ce que vous pensez que cette démission de Florian Rousseau va changer les choses et que les paroles du nouveau président sont réelles ?

On espère que ce soit réel. Mais comme dans toute présidence, il y a une grosse part de politique. Mais on en a marre d’entendre des promesses. Il a avancé des choses, annoncé que lors de son mandat, ce serait priorité à la piste. Et bien, on attend, mais on va pas attendre longtemps parce qu’on prend déjà beaucoup de retard. C’est maintenant qu’il faut agir, mais il ne peut le faire que s’il a un bon Directeur Technique National, puisque c’est lui qui prend les mesures. Donc on espère que le DTN sera très compétent et mettra rapidement les choses en place.

Et au delà de ce qui a été dit dans la presse, est-ce que David Lappartient ou un autre membre de la fédération vous a parlé personnellement, à vous ou à d’autres pistards français ?

Personnellement non, mais je sais que Mickaël D’Almeida a vu certaines personnes du CIO. Mais ils disent tous la même chose : tant qu’il n’y a pas de bon DTN à la FFC, ils ne peuvent rien faire. C’est d’abord à nous de gérer ça en interne. Mais c’est difficile… Le président, on a mis un mois avant de le voir. On n’avait aucune nouvelle, on nous a rien dit, même pas un petit message de soutien. Donc en a eu marre et avec Grégory (Baugé), on a appelé sa secrétaire pour prendre un rendez-vous en urgence. Ca s’est fait et heureusement, il a pu nous prendre très rapidement. On s’est alors mis autour d’une table : il y avait le président, Baugé, D’Almeida et moi. On a échangé, et il nous a bien fait comprendre que tant qu’il n’y aurait pas de DTN, rien ne pourrait évoluer.

Vous au quotidien, comment vivez-vous les lacunes et le manque d’investissement autour de la piste ?

On est désabusés… On voit à chaque olympiade le retard qu’on prend sur les Anglais. A Pékin déjà on a pris une tempête, et à Londres elle a été encore plus forte. On stagne tellement, et on recule même en ce moment, qu’on n’a plus peur de ne pas rattraper les Anglais, mais de se faire doubler par ceux qui sont derrière : les Allemands, les Australiens, les Néo-Zélandais… Si on continue comme ça, la France va sortir des podiums.

Vous enviez clairement les instances britanniques pour qui la piste a une place prépondérante ?

Oui forcément parce qu’ils ont beaucoup de moyens financiers et humains, ils savent se poser les bonnes questions, ils sont très bien organisés et ils ont une mentalité très différente des Français. Chez nous par exemple, on dit que l’important est de participer. Et ça vaut pour toute la France en général. Alors qu’en Angleterre, ils écrivent le contraire sur leurs murs.

Ce n’est pas un slogan possible au plus haut niveau…

Bien sûr. Nous on participe, on fait une petite médaille, peu importe la couleur on est contents. On ne voit pas le haut du classement. Dans le modèle anglo-saxon, ils n’ont que la médaille d’or dans la tête.

Pourtant intrinsèquement, avec vous, Grégory Baugé, Kévin Sireau ou Mickaël D’Almeida, la France a clairement des atouts au moins aussi importants que les Britanniques.

Exactement. Au niveau du physique, on n’a rien à leur envier, on est très forts. Mais eux font la différence sur tout ce qui est à côté : le matériel, la prise en charge de la nutrition, la remise en question de l’entrainement. Physiquement, pendant quatre ans on était « kif kif » avec eux. Mais ils ont du matériel totalement différent. Nous quand on sort quelque chose, c’est pour faire du marketing et non pour la performance, donc forcément ça ne marche pas…

A Londres, vous avez découvert leur supériorité ou vous saviez que vous étiez en dessous ?

Leur supériorité, on l’a déjà vu à Pékin. Ils avait tout gagné, que ce soit en sprint ou en endurance. Et à Londres, on savait qu’on allait se prendre une tempête. On ne se l’avouait pas, mais on savait que ça allait être extrêmement dur de les battre, que ce ne serait pas le même niveau qu’aux championnats du monde.

Pour terminer, comment voyez-vous l’avenir, pour vous personnellement et pour la piste française ?

Pour moi c’est compliqué parce que malgré mes championnats du monde, j’ai toujours du mal à trouver des partenaires. Mon plus gros sponsor de l’an passé, Monbana, ne peut pas me reconduire cette année et c’est une très grosse déception parce qu’en tant que champion du monde, je pensais que ça allait faire la différence. Mais je ne désespère pas, et je me vois faire du vélo au delà de Rio, qui ne sera pas une date butoir ; je ne me donne pas de limite. Après au niveau de la fédération, de tout ce qui peut être mis en place, on espère que ce qui se passe en ce moment va vraiment, une bonne fois pour toute, faire bouger les choses. Avec la démission de Florian Rousseau, on perd un entraîneur de très grande qualité. Mais ça peut être un mal pour un bien s’il devient DTN ou gère le très haut niveau des équipes de France, où il pourra mettre en place ce qu’il reproche actuellement à la fédération : la restructurer, savoir se poser les bonnes questions pour évoluer sur le développement du matériel, des personnes, s’entourer d’un bon staff, etc…

Sans oublier le projet de Saint-Quentin-en-Yvelines. Nous les élites, on espère qu’on pourra aller là-bas au quotidien parce que c’est un super vélodrome. A l’INSEP on est bridés, on ne peut même pas mettre nos braquets de course parce que la piste est trop petite, c’est impensable. On va sur une compétition internationale sans avoir pu, les semaines précédentes, s’entraîner avec les mêmes braquets. Dès que je mets celui de course, je ne peux pas atteindre ma cadence de pédalage optimale. On est obligés d’aller à Bordeaux ou à Roubaix… Donc on espère qu’on pourra être à Saint-Quentin-en-Yvelines tous les jours, comme on l’est aujourd’hui à l’INSEP. Pour une bonne fois pour toute évoluer !

Propos recueillis par Robin Watt


 

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