Il est six fois champion du monde, mais à Rio, il est pour la première fois en mesure de viser l’or olympique. François Pervis, 31 ans, est depuis 2013 un métronome qui enchaîne les titres. Il ne lui manque que le graal, la médaille d’or des Jeux, celle à laquelle il pensait déjà au moment de conquérir son premier titre mondial. Depuis une petite semaine, il navigue dans le village olympique en attendant son entrée en lice, jeudi en vitesse par équipes. L’occasion, par exemple, de s’offrir un selfie avec celui qu’il appelle son « Dieu », Fabian Cancellara. Un moment de décontraction à quelques jours du plus grand moment de sa carrière. Dix jours avant de partir pour le Brésil, il s’était confié à la Chronique du Vélo. Encore à l’entraînement, il se disait « très posé, très calme, pas encore à fond tourné sur ce [qu’il] doit faire là-bas ». Mais avec une sincérité toujours aussi désarmante, il a évoqué son rêve olympique.

Rio aujourd’hui, c’est douze ans après vos premiers Jeux, en 2004 à Athènes. Quels souvenirs en gardez-vous ?

C’était la folie, je n’avais que 19 ans ! En plus je bats mon record personnel là-bas, je fais sixième (sur le kilomètre, ndlr). Athènes, c’est là-bas qu’est né l’olympisme, on était vraiment au cœur de tout ça. Je ne pouvais pas rêver mieux. Je découvrais les Jeux Olympiques, le village olympique, les autres sports… Tout était gigantesque, j’ai participé à la cérémonie d’ouverture, c’était un truc de dingue. De la folie ! Après les Jeux, je suis resté sur mon nuage pendant des mois et des mois. J’étais tout gaga, tout content. C’était vraiment dingue.

Vous étiez très jeune là-bas, ça a joué ?

Oui, clairement. Je suis d’origine agricole et ça ne faisait que deux ans que je commençais à prendre l’avion pour faire un peu le tour du monde. Je n’avais pas encore vu grand chose. C’était ma première expérience aux JO, c’était donc forcément une grande découverte. L’âge m’a aidé à avoir des yeux de gamin. Si ça avait été aujourd’hui, ça aurait été très différent.

A l’époque, est-ce que vous vous disiez qu’il allait falloir attendre 12 ans pour revenir sur des JO ?

Non ! (rires) Même si j’étais remplaçant à Pékin et Londres, et que j’avais fait le déplacement à Londres (en revanche à Pékin, Pervis n’avait pas été du voyage, victime d’une fracture de la clavicule un mois avant, ndlr). Je ne m’y attendais pas parce que quand on fait sixième à 19 ans, en battant son record, on se dit « Dans quatre ans je serai champion olympique de ma discipline ». Malheureusement, le kilomètre a été supprimé des Jeux Olympiques, alors il fallait que je me retourne, que je trouve autre chose. Ça a pris du temps, il a fallu que je progresse, que je prenne confiance en moi. Mais vu ce qu’il s’est passé par la suite, je n’ai rien à regretter. J’ai fait des choses qu’aucun cycliste sur piste n’avait jamais réalisé dans l’histoire de mon sport (trois titres lors des mêmes Championnats du Monde, ndlr). J’en suis très fier. Maintenant, il manque la suite, c’est à dire une médaille d’or olympique.

Sans cet épisode du kilomètre retiré du programme olympique, seriez-vous devenu le coureur que vous êtes ?

Non je ne pense pas. Tout ça, c’est un concours de circonstances, mais ça devait se passer comme ça. S’il y avait encore eu le kilomètre aux JO, ça aurait été différent. Mais le déclic, ce qui m’a forgé et m’a fait me remettre en question, c’est ma non-sélection aux Jeux de Londres. J’avais parfaitement rempli les critères, beaucoup mieux que la personne qui a été sélectionnée (Mickaël Bourgain, ndlr). Je me suis pris une grosse claque. J’ai voulu qu’on me donne des explications, on m’en a donné et par rapport à ça, c’était à moi de rectifier le tir, pour ne plus jamais que ça arrive.

Et entre Londres et Rio, vous vous êtes rendu indispensable…

C’est en tout cas ce qu’on dit mes entraîneurs. J’ai souvent entendu dire qu’avec ce que j’avais fait en 2013, 2014 et 2015, puisque les autres Français n’ont pas fait mieux, forcément je me suis rendu indispensable. Et ça sort de la bouche de mes entraîneurs, ce n’est pas moi qui l’invente. Les faits sont là.

On a beaucoup parlé de vous aux derniers Mondiaux, vous n’étiez pas celui qu’on connait depuis trois ans. Ça va mieux ?

Oui, c’est en train de très bien revenir, j’ai fait de très bon chronos pas plus tard qu’avant-hier (l’entretien a été réalisé le 23 juillet dernier). J’en suis très content, et tout le monde marche très bien. Vous pourrez compter sur nous. Mais pour revenir aux Mondiaux de cette année, quel Français n’est pas passé au travers ? On était tous dans le même bateau, il n’y a pas eu un bon résultat sur les épreuves olympiques, on était tous dans le même état d’esprit et de forme. Je me suis plus ou moins fait tirer dessus à boulets rouges parce que j’avais habitué les gens ces trois dernières années à ramener des titres. Mais quand on a comme objectif les JO, on ne doit pas se disperser. Et il ne faut pas nous en vouloir, on veut juste se donner toutes les chances d’être champion olympique.

C’est impossible d’avoir un pic de forme en mars pour les Mondiaux et en août pour les Jeux ?

Le passé nous a en tout cas montré que c’était compliqué. Le problème en France, c’était qu’on se battait toute l’année comme des chiens pour notre sélection olympique, jusqu’aux Championnats du Monde. Donc il fallait tenir la forme tout l’hiver. Et après, on se rendait compte qu’on n’en avait plus trop sous le pied, à la fois physiquement et mentalement, pour aller jusqu’au mois d’août. Parce que habituellement, notre saison se termine en mars, avec les Mondiaux. Là, une année olympique, c’est différent. En faisant comme on a fait cette année, je pense qu’on est beaucoup plus frais. Alors que pour certains pays, jusqu’à il y a quelques semaines, il y avait des tests de sélection pour savoir qui allait à Rio. Pour eux, il fallait déjà être en forme un mois avant les Jeux. Ils ne peuvent donc pas optimiser leur préparation et être à 200% le jour J.

C’était donc un choix de mettre un peu de côté les Mondiaux ?

Oui, complètement, mais pour tout le monde. C’était pareil pour les autres Français. La France, depuis 2000, elle n’est pas championne olympique sur la piste. Alors à un moment donné, il faut savoir prendre ses responsabilités, changer les choses. Donc cette année, on a la tête qu’aux Jeux.

La pression des Jeux n’est pas celle des Mondiaux, l’échéance revient tous les quatre ans seulement. Comment on le gère ?

Je pense à ce que je dois faire, tout simplement. C’est de la préparation mentale. Je ne me dis pas « C’est les Jeux Olympiques, il ne faut pas que je me loupe », parce que c’est comme ça qu’on se loupe. Je pense à ce que je sais faire, à ce que je dois faire. Les concurrents aux Jeux, ce sont les mêmes qu’aux Championnats du Monde. Alors je ne me mets pas de pression supplémentaire, ou alors c’est de la pression positive, qui m’aide à me transcender et à être plus fort que jamais.

Vous ne vous dites pas que c’est peut-être votre seule occasion d’être champion olympique ?

Si, j’y pense un petit peu malgré tout, mais le destin nous dira si je dois être champion olympique ou pas, c’est tout.

Un garçon comme Baugé n’a toujours pas gagné l’or olympique, mais lui connaît le fait d’aller aux Jeux pour gagner. Vous pas encore, vous appréhendez ?

Non, je ne l’appréhende pas du tout. J’ai déjà connu des évènements avec beaucoup de pression. Les Championnats du Monde en France, je n’étais pas bien un mois avant et j’avais trois titres à défendre. C’était à domicile, je savais que si je gagnais, j’allais toucher de nouveaux partenaires, donc c’était très important pour ma vie privée et mon bien être personnel. Mais je me posais beaucoup de questions et j’avais une pression énorme. Tout le monde m’attendait. Tous mes partenaires étaient présents dans le vélodrome à Saint-Quentin-en-Yvelines, ma famille aussi. Et puis il y avait tout ceux qui d’habitude me voient à la télé et qui là me voyaient en vrai. Donc franchement, la pression, je sais ce que c’est. Et je ne fais pas de différence entre les Mondiaux et les Jeux. Ce que je dois faire sur la piste, c’est la même chose. Je ne pense pas du tout à l’extérieur et aux médias. A Rio, de toute façon, on sera très cadrés, si on n’a pas envie d’avoir affaire aux médias, on pourra. Si je n’ai pas envie d’avoir cette pression, je coupe mon téléphone et je ne vais pas sur internet. C’est assez simple, finalement.

En réalité, la pression, vous l’avez en permanence, non ?

Oui, je l’ai connu aux Mondiaux en France, mais aussi ailleurs. Quand t’es au départ d’une course et que tu sais que tu vas peut-être battre le record du monde, la pression est immense. Et deux jours de suite en plus… (Pervis avait battu, en décembre 2013, les records du monde du 200 mètres lancé et du kilomètre à Aguascalientes, ndlr). Un record du monde, ce n’est pas rien. Il y avait plein de facteurs qui étaient en ma faveur à ce moment-là, et je n’allais peut-être jamais les retrouver de toute ma vie, il ne fallait vraiment pas que je me loupe. Alors que les Jeux, j’ai au moins une chance tous les quatre ans. Je pense que par le passé, j’ai donc assez prouvé que je savais gérer la pression. Quand en 2014, j’annonce que je vais aux Mondiaux pour gagner trois médailles d’or, quelque chose qu’aucun pistard n’a jamais fait, beaucoup m’ont ri au nez, disant que j’avais pris la grosse tête parce que je venais de battre deux records du monde. Mais malgré tout, le triplé historique, j’ai réussi à le faire. Honnêtement, la pression ne m’atteint plus, j’ai 31 ans et je pense savoir la gérer.

Vos derniers Mondiaux vous enlèvent aussi un peu de pression, même si vous êtes habitué des grands rendez-vous…

Oui, autant Greg que moi, on peut partir aux Jeux sereins parce qu’avec les Mondiaux qu’on a fait, on ne sera pas forcément les favoris. Ca nous enlève donc un peu de pression et ça la met sur les autres concurrents, sachant que eux ne la gèrent peut-être pas aussi bien que nous. Mais nous de toute façon, on connaît le chemin de la victoire. On a déjà montré par le passé qu’en finale, on ne se faisait pas dessus. A côté, il y a des jeunes qui n’ont pas eu l’occasion de faire énormément de grandes compétitions. Alors ils sont très forts physiquement, mais il faudra l’être aussi dans la tête.

Dans un coin de votre tête, quel est donc l’objectif ? Vous vous dites que vous serez triple champion olympique, ou vous ne pensez qu’au keirin, où vous serez le grand favori ?

C’est sûr que quand on regarde l’expérience que j’ai en keirin, par rapport aux concurrents, il n’y a pas photo. Personne n’est allé pendant six ans au Japon pour s’entraîner, personne n’est double champion du monde… En terme d’expérience, sans me vanter, j’en ai plus que les autres. Mais une erreur en keirin est très vite arrivée. Il suffit d’une prise de décision un peu tardive et on se loupe. Ce n’est jamais le plus fort physiquement qui gagne au keirin, c’est tellement tactique.

Alors si on vous dit qu’après les Jeux, vous êtes médaillé d’or sur le keirin, de bronze en vitesse par équipes, et pas médaillé en vitesse individuelle. Seriez-vous heureux ?

Ah, très bonne question ! (sourire) Je serais champion olympique, donc ce serait énorme. Après… j’en espère un peu plus quand même. Avec ce que j’ai fait par le passé, si je dis que ce bilan serait satisfaisant, je manquerais d’ambition. Mais si je dis que je veux être triple champion olympique, on va dire que je suis trop prétentieux ! (rires) Donc pour l’instant (dix jours avant de partir pour Rio, ndlr), je ne veux pas afficher mes objectifs. Si j’annonce quelque chose et que d’ici la compétition il m’arrive un petit pépin qui me diminue énormément, on dira « Voilà, Pervis il a les yeux plus gros que le ventre, il se la raconte. »

Mais quand on est un champion qui a tant gagné et qu’on a trois épreuves à disputer, on est obligé de se dire qu’on veut gagner les trois, non ?

Oui, j’ai été champion du monde en keirin et en vitesse individuelle, déjà. Et à Rio, ce sera les mêmes concurrents. Donc il faudra être aussi fort qu’il y a deux ans. Pour la vitesse par équipes, je pense aussi sincèrement qu’on a les moyens de gagner avec Grégory (Baugé) et Michaël (D’Almeida). Alors oui, c’est dur d’imaginer que je ne ferai pas trois médailles. Mais le sport est imprévisible, les années se suivent et ne se ressemblent pas forcément.

Il y a trois ans, après vos premiers titres Mondiaux, vous aviez déjà Rio dans la tête. L’attente a été longue, mais maintenant vous y êtes, vous avez l’impression d’être au moment le plus important de votre carrière ?

Quand on est sportif de haut niveau, en tout cas dans notre sport, on est très heureux d’être champion du monde, mais notre graal, c’est d’être champion olympique ! Ce n’était pas facile de rester au top tout ce temps, on peut se blesser, se démotiver parce qu’on a trop gagné d’un coup, il y a plein de facteurs. Mais j’ai réussi à le faire, et aujourd’hui, bien sûr, je suis au moment le plus important de ma carrière. Je suis dans la pleine force de l’âge. Les deux dernières olympiades, malheureusement j’étais remplaçant, et en 2004 j’étais trop jeune pour prétendre à un podium. Puis dans quatre ans à Tokyo, il y a de grandes chances pour que je sois un peu trop vieux. Ma plus grande chance, c’est maintenant.

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