Sans contestation possible le meilleur sprinteur français du peloton il y a quelques années, Romain Feillu n’a pas été épargné par les problèmes physiques depuis sa fin de saison 2011. Résultat, deux saisons sans victoire, et le besoin de se relancer. L’aventure avec Vacansoleil s’arrête, mais une autre démarre avec Bretagne-Séché. Une division en dessous, oui, mais avec des ambitions toujours intactes que le natif de Châteaudun livre à la Chronique du Vélo. Entretien grand format.

Bonjour Romain. Pour commencer, évoquons votre actualité. On a appris il y a quelques jours que vous serez l’an prochain chez Bretagne-Séché. Qu’est-ce qui a dicté ce choix ?

Et bien c’est une équipe où je connaissais déjà plusieurs personnes, notamment Emmanuel Hubert, Dominique Moyon et puis quelques coureurs. Sans oublier Joël Blévin, qui est un manager que j’ai toujours respecté, avec qui j’avais pensé à travailler un jour. C’est quelqu’un de toujours respectueux, qui est là depuis longtemps et qui je pense est fiable, ça m’a aussi donné envie de travailler avec lui.

Après quatre années chez Vacansoleil, ce transfert marque un sacré changement. Passer du World Tour au Continental Pro, qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

Ça veut dire plus de libertés, un rôle plus important à assumer. Et puis je pense que la chance qu’on a, c’est que Bretagne est une équipe Continental Pro française qui a de fortes chances de participer au Tour de France et à toutes les belles épreuves du pays. On a donc quand même un très beau programme de course en perspective avec de belles épreuves sur lesquelles il faudra briller.

Justement, avec ce choix on se disait que vous devriez peut-être faire une croix sur certaines grosses épreuves que vous aviez l’habitude de courir, ça ne vous fait pas peur en ce qui concerne les grandes courses françaises ?

Non, je pense que ce ne sera pas un problème au niveau des invitations. Déjà cette année, l’équipe a fait le Dauphiné, l’an dernier c’était Paris-Nice, donc je pense que ce ne sera pas un soucis. Il y a des chances pour que l’on fasse en 2014 l’une de deux courses, ce qui est déjà bien pour une Continental Pro. Et à côté de ça, Bretagne est invité un petit peu partout quand même, en Belgique notamment, mais en Espagne aussi, donc on aura un bon programme.

Cet hiver, cependant, Bretagne-Séché va se séparer d’éléments d’expérience comme Lequatre ou Dion. Votre connaissance du cyclisme va donc être importante, c’est l’opportunité d’avoir plus de responsabilités et un rôle nouveau pour vous…

Oui tout à fait, après je suis malgré tout déçu que certains coureurs soient poussés vers la sortie… Mais c’est comme ça, ce sont aussi les changements, des coureurs s’en vont, d’autres arrivent. Moi à priori, même si je n’ai que 29 ans, je serai parmi les coureurs qui ont le plus d’années passées chez les pros, donc je pourrai apporter mon expérience pour encadrer les jeunes.

Pourtant, à 29 ans en général, les coureurs font le chemin inverse au votre en passant du Continental Pro au World Tour. Mais vous, vous avez eu vos meilleures années un peu plus jeune et vous sortez malheureusement de deux saisons sans gagner. Redescendre d’un niveau c’est donc le moyen de reprendre confiance sur des courses pour certaines moins réputées ?

Oui évidemment. Pendant ces deux ans, la condition n’était pas là, j’avais l’appendicite qui me gênait… Là ça va revenir, avec un bon moral, une équipe que je connais bien, donc l’objectif c’est vraiment ça : remonter, reprendre des forces, regagner avec eux et peut-être même accéder au World Tour. Parce que Bretagne reste l’une des meilleures Continental Pro du circuit.

Vous parlez d’une éventuelle montée en World Tour avec Bretagne, mais si ça ne se fait pas, votre ambition est-elle de revenir dans l’élite du cyclisme mondial ou malgré tout de vous poser quelques années chez Bretagne ?

Le projet s’étale sur le long terme, une équipe qui reste déjà en Continental Pro c’est déjà très bien. On voit par exemple Thomas Voeckler qui est l’un des meilleurs mondiaux dans une équipe de deuxième division. Et je pense qu’il n’y a pas une équipe au monde où il aurait pu se sentir bien comme chez Europcar. Beaucoup de choses tournent autour de lui, le manager reste Jean-René Bernaudeau, mais il est un peu comme son adjoint. Donc en plus, ça peut vraiment être sympa d’être, comme ça, affilié à une équipe. Ça peut me donner envie.

Cela peut en plus vous permettre de ne participer qu’aux courses qui vous intéresse vraiment, et de ne pas voyager dans toute l’Europe pour des courses, où vous n’avez pas forcément d’ambitions…

Tout à fait. Et puis il y a un autre coureur que je prends souvent en exemple, c’est David Moncoutié. Il a été fidèle à Cofidis en faisant toute sa carrière là-bas, et il a su se fixer des objectifs. Pas forcément des objectifs inatteignables comme d’autres peuvent le faire, mais c’est quelqu’un qui a duré et qui n’a jamais eu de problèmes avec le dopage. Donc je pense que c’est important de connaître à peu près sa valeur et de ne pas vouloir aller trop haut. C’est un peu à ce à quoi j’ambitionne, avoir un projet avec une équipe.

Quand on voit ces histoires de divisions, on pense forcément à la réforme UCI qui devrait entrer en vigueur en 2015, avec visiblement une première division de dix-huit équipes et une deuxième, intermédiaire, avec huit formations, qui pourrait convenir à Bretagne-Séché…

Oui exactement, même si ça me paraît un petit peu bizarre comme système et difficile à mettre en place… Mais sinon c’est clair que c’est dans ce créneau là que l’équipe peut trouver sa place.

Il y a encore quelques années, en 2011, vous étiez le fer de lance du sprint français. Huit victoires dans l’année, de très beaux sprints sur le Tour de France… Donc on le sait, vous avez eu de nombreux problèmes physiques. Mais à part ça, qu’est-ce qui a changé depuis ?

Et bien pas grand chose… Quand il y a des pépins physiques, il y a un peu moins de confiance et d’aisance à force puisqu’on dispute moins de courses… Donc c’est un cercle vicieux mais je pense que maintenant c’est derrière, il faut faire un bon hiver et repartir au mois de janvier. On n’est tous sur un même pied d’égalité, c’est ensuite une question d’entrainement.

On dit souvent qu’un sprinteur a besoin de gagner pour être en confiance, alors comment on fait quand on connaît ses qualités comme vous, mais qu’on ne parvient plus à conclure ?

Je dirais que dans ces moments là, le fait d’aller sur des plus petites courses, des classes 1, et de gagner ou du moins de flirter avec la victoire, c’est important. Moi, je pense qu’il me manquait deux choses, un peu de force et aussi de la confiance. Et je pense que ça peut revenir très vite, il suffit d’un déclic mental.

Pendant vos deux années difficiles, le cyclisme français a vu éclore pas mal de jeunes sprinteurs, avec notamment Démare, Bouhanni et Coquard. Est-ce pour vous une source de motivation supplémentaire ou une grosse concurrence que vous redoutez ?

C’est les deux à la fois. C’est surtout bien pour le cyclisme français, c’est sûr. Je dirais qu’avant, quand j’étais là, j’étais le meilleur sprinteur français peut-être, mais je n’étais pas le meilleur mondial. Aujourd’hui, on a deux sprinteurs – voire trois avec Coquard, même s’il est très jeune et encore un peu en dessous – dans les dix meilleurs mondiaux. C’est quelque chose qu’on n’avait pas connu depuis très longtemps dans l’histoire du cyclisme français.

L’an dernier, au niveau des invitations du Tour de France, on peut penser que l’imbroglio Katusha*, qui a porté à 19 le nombre d’équipes World Tour, a coûté sa place à Bretagne. Pour 2014, le grand objectif sera donc d’être invité, et pour vous de participer à la Grande Boucle ?

Tout à fait. Je pense qu’en plus avec les arrêts d’Euskaltel et Vacansoleil, tout peut s’ouvrir pour Bretagne cette année. Il suffit de faire un bon début de saison et la participation devrait être acquise.

Au sujet de Vacansoleil justement, est-ce que sans cet arrêt, vous y seriez resté ?

Très honnêtement, je ne sais pas. C’est très difficile, parce qu’on prend une décision en connaissance de cause… Alors je ne sais pas si l’ambiance aurait été différente chez nous si ça avait continué. Il y aurait peut-être eu un engouement et une envie de tous de continuer ensemble dans le même projet, donc vraiment, je ne sais pas…

On a parlé tout à l’heure de votre âge, vous n’avez pas encore la trentaine et donc largement le temps de revenir. Dans votre situation, il faut donc avant tout penser à l’avenir ?

Oui, je pense encore avoir de très belles années devant moi. Après on peut être un peu effrayé quand on voit Horner gagner la Vuelta et ne pas retrouver de contrat… Je pense que même à 42 ans, quand on vient de gagner le Tour d’Espagne c’est qu’on est encore très compétitif, il ne l’a même jamais autant été. L’âge pour moi n’est pas un problème, c’est juste les sponsors ou les recruteurs qui se méfient de quelqu’un plus ancien, ou qui préfèrent miser sur la jeunesse.

* Durant l’hiver, Katusha a été évincé du World Tour par l’UCI avant d’être réintégré par le TAS, ce qui a amené à une première division comportant 19 équipes au lieu de 18. Pour le Tour de France, auquel Bretagne-Séché souhaitait participer, il n’y avait donc que trois invitations au lieu de quatre habituellement.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.