La route vers la victoire sur le vélodrome de Roubaix est longue et semée d’embûches - Photo ASO
La route vers la victoire sur le vélodrome de Roubaix est longue et semée d’embûches – Photo ASO

Paris-Roubaix, enfin. Un Monument qui se dresse face à moi, et que je vais tenter de dompter. Lors de la signature, la pression monte. Puis encore plus lors du départ fictif, où le stress est à son comble. Le peloton tout entier attend l’agitation du drapeau et l’autorisation, enfin, de se lâcher. De faire ce que l’on veut – à peu près tout et n’importe quoi – pour remporter la course. Nous sommes sur l’Enfer du Nord, et rien ne doit nous arrêter. Ni la température, ni les pavés, ni les adversaires. Rien. Il faut tout braver pour espérer s’imposer. Et si dans 254 kilomètres, j’entrais seul sur le vélodrome de Roubaix ? Seul pour lever les bras et profiter d’un moment de communion avec le public. Le rêve est interdit ? Non, alors laissez-moi m’évader quelques secondes encore avant que Christian Prudhomme n’abaisse le drapeau à damier.

Tellement dur…

C’est désormais fait. Nous sommes officiellement dans les premiers mètres de la course. Mon équipe est là, prête à me protéger aussi longtemps qu’il le faudra. Parce qu’à partir de maintenant, il n’y a qu’un objectif : dépenser le moins d’énergie possible avant la bataille finale. Les premiers courageux sortent du peloton, avant d’être repris. L’opération, comme un cycle inévitable, se répète une demi-douzaine de fois avant que le bon groupe réussisse enfin à partir. Il aura fallu une bonne trentaine de kilomètres, durant lesquels le peloton aura roulé à vive allure pour ne pas laisser s’extirper n’importe qui. Un début de course loin d’être aussi calme que je l’espérais. Surtout que mes rivaux sont là, eux aussi entourés d’une formation entière, et que je commence à douter : ils ont l’air bien mieux que moi. Bluffent-ils ? Impossible de le savoir. Mais peu importe, moi oui. Ils ne doivent pas voir que mes jambes chauffent déjà. Ni eux, ni mes équipiers et mon directeur sportif. Je suis le seul à savoir qu’aujourd’hui, ce sera plus difficile que prévu.

Le premier secteur pavé. Voilà qui me réveille, et me rappelle que mon positionnement est des plus mauvais. Une vingtaine d’hommes sont déjà distancés, et je ne veux surtout pas les rejoindre. Un équipier me replace idéalement dans les premières positions du peloton, et le directeur sportif rappelle tout le monde à l’ordre dans l’oreillette. Sauf que moi, ce sont surtout mes jambes qui me crient dessus. Ces premiers pavés les ont brusqué. J’ai l’impression d’être le moins fort de mon équipe. C’est humiliant, mais je ne peux pas le dire. Et puis, ça passera peut-être. Il reste 26 secteurs, je vais m’y habituer. D’ailleurs, le prochain arrive, et cela va s’enchaîner à vitesse grand V. Restons concentrés, c’est maintenant que la course se joue. Il reste 150 kilomètres, et je n’aurai pas des centaines de possibilités. Être placé à la perfection est désormais la seule chose qui occupe mon esprit. Mon corps suivra, comme il pourra…

La souffrance à son paroxysme

Orchies. L’un des secteurs pavés les plus difficiles, mais aussi celui que je connais le mieux. Il faut rester dans l’axe du pavé sur les 300 premiers mètres, puis piquer sur la droite jusqu’à 400 mètres de la sortie, où le côté gauche devient alors le plus roulant. A n’en pas douter, personne ne sait aussi précisément où se placer. Cette connaissance des lieux, je dois l’exploiter. Non pas pour être parfaitement positionné, mais pour attaquer. Je dois tenter ma chance, ici, à 60 kilomètres de l’arrivée. Je m’apprête à prévenir mon directeur sportif, avant de me raviser. Je le connais presque aussi bien que ce fichu secteur pavé ; il me dira de ne pas bouger. Je vais simplement dire à mes coéquipiers de faire bloc à l’avant du groupe, pour me permettre de prendre le maximum d’avance, et le plus rapidement possible. Mon attaque n’est pas fulgurante, je dois en garder sous la pédale. Mais je me détache largement, ou du moins assez pour que mes rivaux ne m’aient plus en ligne de mire. Désormais, il faut tout donner jusqu’à Roubaix.

La souffrance, la douleur, ce mal de jambes qui finalement, ne m’a jamais quitté, mais que ma tête a combattu : tout semble démultiplié. Jamais je n’ai autant souffert sur un vélo. Mais quoi de plus logique ? Je suis seul en tête de Paris-Roubaix. Si on ne souffre pas là, on ne souffre jamais. J’appuie donc le plus fort possible sur les pédales. Mes doigts de pied sont comme congelés, et mon directeur sportif dans la voiture est désabusé. Pour lui, je me suis grillé, et je serai revu très bientôt par les autres favoris. Pourtant, cela fait déjà 40 bornes que je leur tiens tête. Je passe sous l’arche des 20 kilomètres au moment où l’on m’annonce l’écart avec mes poursuivants : 1 minutes et 14 secondes. Sur le papier, je ne dois pas aller au bout. Mais sur le papier, je n’aurais jamais dû me retrouver dans cette situation. Je me fixe donc un objectif : conserver une minute d’avance jusqu’à la banderole des 10 kilomètres. Si j’y parviens, j’en suis persuadé, la fin de course sera plus facile.

Evidemment, il n’en est rien, et ce malgré mes 45 secondes d’avance à quelques encablures de la ligne. Les derniers kilomètres sont bien les plus difficiles, et j’ai cru ne jamais arriver. Mais ça y est, j’y suis. Après quelques derniers mètres sur les pavés, le revêtement change. Me voici dans un lieu mythique du cyclisme : le vélodrome de Roubaix. Je suis seul, comme j’en avais rêvé plus de six heures auparavant, au départ de la course. J’ai le temps de faire un tour de piste avant de voir mon premier poursuivant pénétrer dans l’enceinte. J’ai gagné, pour de bon, et je peux enfin savourer. Le public m’acclame comme personne. Pourquoi moi plus qu’un autre ? Je ne sais pas. Mais en tous cas, je l’ai fait. C’était l’Enfer oui, mais quel soulagement une fois la ligne franchie ! Mes jambes sont encore brûlantes, mais finalement, elles ont tenu. Parce que ma tête était plus forte. C’est du moins ce que certains diraient à ma place, et j’ai envie de les croire. Aujourd’hui, j’ai vaincu Paris-Roubaix. Et il faut bien y trouver une raison…

Robin Watt


 

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