Passer professionnel à 23 ans est devenu peu banal dans le cyclisme d’aujourd’hui. Le faire aux Etats-Unis alors qu’on est Français est encore plus original. Julien Bernard n’a pourtant jamais douté. Depuis un peu plus d’un an maintenant, il vit son rêve américain aux côtés des plus grands noms du peloton et découvre un nouveau monde, où il se sent « aussi à l’aise que chez les amateurs ».

« Je savais que la marche était haute », Alain Gallopin

A l’été 2015, Julien Bernard était censé signer un contrat de stagiaire chez Cofidis. Mais au dernier moment, ça ne s’est pas fait. Puis Trek est arrivé. « Pendant le Tour de France, on cherchait des stagiaires pour les emmener sur la tournée américaine, se rappelle Alain Gallopin, directeur sportif de Trek. Puis j’ai vu Jean-François (Bernard, père de Julien, ndlr), et il m’a dit que son fils n’avait finalement rien. Je connaissais Julien, je savais ce qu’il valait. Ca s’est fait dans la journée. » Le garçon a alors 23 ans, et saisi l’opportunité à bras le corps. Il démarrera tranquillement au Tour de l’Utah, avant d’impressionner au Colorado en terminant dixième du général. De quoi décrocher un contrat professionnel pour la saison suivante. Sans appréhension. « Une fois que j’avais découvert l’équipe aux Etats-Unis, je n’avais pas peur, assure Bernard. Mon père avait en plus vécu une super expérience à l’étranger, chez Banesto, et il m’en avait beaucoup parlé. » Alors Trek est devenu sa « deuxième famille », même si très peu de Français naviguaient autour de lui.

Le nouveau monde qui s’est ouvert à lui était inattendu. A son programme cette saison, il y avait beaucoup de courses World Tour. « Parce qu’on n’a pas vraiment le choix, on ne court quasiment que ces épreuves », note Gallopin. Mais Bernard encaisse. « J’ai appris énormément en passant des épreuves amateurs au Tour de Catalogne ou au Dauphiné. Mais j’ai été un peu déçu de ma première partie de saison », confie le principal intéressé. « Je n’étais pas surpris, je savais que la marche était haute, rassure son directeur sportif. Sauf que lui, il était déçu parce qu’il voyait un groupe de quarante coureurs arriver devant et qu’il n’était pas dedans. » Mais au fil des mois, Bernard prend la mesure du monde professionnel. Et dispute même, dès sa première saison, une course de trois semaines avec la Vuelta. « Il n’est pas si jeune, je n’étais pas soucieux pour lui, assure Alain Gallopin. C’est quelqu’un de très solide. Il a fallu qu’il soit malade pour abandonner en Romandie. Et encore, je l’ai forcé à rester dans le bus pour qu’il ne prenne pas le départ ! »

« Avec Fabian, on était allés rouler tous les deux », Julien Bernard

Sa capacité de récupération lui a même permis de se mettre en évidence sur la deuxième semaine du Tour d’Espagne. Lors de l’étape reine de l’Aubisque, il était dans la grosse échappée et aurait pu espérer mieux. « Ce que j’ai fait ce jour-là, ça me permet de croire en moi, lâche-t-il. Comme au Colorado il y a un an, où je m’étais rendu compte que je pouvais me surpasser grâce à la pression. » Mais malgré les années qui passent et ses 24 bougies qu’il a soufflé en mars dernier, il ne se met pas de pression démesurée. Il ne juge pas être en retard. « Essayer de progresser trop vite dans le vélo n’est pas forcément une bonne chose, analyse-t-il. Et se mettre trop de pression, c’est le meilleur moyen de passer au travers de sa saison. » Alors il prend les courses comme elles viennent et profite de chaque opportunité qui lui est offerte. Comme par exemple courir les Strade Bianche en compagnie de Fabian Cancellara, au printemps.

« Sur le Tour de Lombardie avec Contador, quand il n’y aura plus que quarante coureurs, j’espère qu’il en fera partie et qu’il pourra rouler », Alain Gallopin

« A cette période de l’année, il y a beaucoup de courses, et en plus il y avait beaucoup de malades, se remémore Gallopin. C’était une épreuve importante pour nous, on ne voulait pas y aller à sept coureurs au lieu de huit. Alors j’ai dit à Julien qu’il pourrait y aller. Il était surpris, mais je lui ai dit que ce serait peut-être sa seule occasion de courir avec Fabian, et ce fut le cas. » Pendant près de cent kilomètres, Julien Bernard se retrouve à rouler en tête de peloton pour mettre dans les meilleures conditions son leader suisse, finalement vainqueur à Sienne. Un souvenir inoubliable, qui s’inscrit au milieu d’un week-end riche en enseignements. « Je me souviendrai longtemps de la veille de la course, confie Julien Bernard. Avec Fabian, on était allés rouler tous les deux. Il m’avait donné des conseils pour bien aborder les ribins et prendre les virages. C’était une énorme chance de découvrir ça dans sa roue. »

Loin de la France, le garçon poursuit donc sa progression. « La pression française, je ne la ressens pas trop pour l’instant », lâche-t-il avec sérénité. Son directeur sportif va plus loin : « Personne dans l’équipe ne lui met la pression, et il ne se la met pas non plus. C’est un garçon très intelligent, énormément à l’écoute. » Qui mesure donc la chance qu’il a d’avoir déjà côtoyé des garçons comme Cancellara, Schleck, Mollema ou Hesjedal. En attendant Contador et Degenkolb l’an prochain, pour qui il a déjà hâte de travailler. Après avoir découvert le monde professionnel, il lui reste à y faire sa place. Bernard fait dans la sobriété lorsqu’il assure vouloir « continuer à prendre du plaisir chez Trek » et peut-être décrocher « un premier succès chez les pros ». Mais son directeur sportif Alain Gallopin, qui l’a amené là et continue de poser sur lui un regard bienveillant, a une idée précise d’où le garçon pourrait être dans un an : « Sur le Tour de Lombardie avec Contador, quand il n’y aura plus que quarante coureurs, j’espère qu’il en fera partie et qu’il pourra rouler. »

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