C’est comme une sorte de malédiction. Sur Paris-Nice, Tom Boonen avait été victime d’une mauvaise chute, qui l’empêchera de disputer le Tour des Flandres et Paris-Roubaix. Et ce vendredi, sur le GP E3, alors que le Ronde se profilait dans un peu plus d’une semaine seulement, Fabian Cancellara a connu pareil mésaventure. Alors cette campagne printanière, sans les deux maîtres de la discipline, vaut-elle le coup ? On a pesé le pour et le contre.
Pourquoi elle ne vaut pas le coup
Des flandriennes sans les deux monstres de la discipline, c’était devenu tellement inimaginable. Oui en 2012, Cancellara avait abandonné sur le Ronde et fait une croix sur Roubaix, exactement comme Boonen l’année suivante. Mais à chaque fois que l’un des deux manquait à l’appel, l’autre prenait le relais. A eux deux, ils comptent six Tours des Flandres et sept Paris-Roubaix, ils sont les plus grands spécialistes des pavés que le vélo ait connu depuis Roger de Vlaeminck. Ils sont les seuls capables de dynamiter la course en partant à cinquante kilomètres du but sur l’Enfer du Nord, ce que le Suisse a fait en 2010 et le Belge en 2012. Déjà que ces dernières années, les favoris nous ont souvent gratifié de courses d’attente, alors sans Canci et Tommeke, on risque clairement de s’ennuyer. D’autant que quand on pense flandriennes, on pense forcément à eux. Depuis une décennie maintenant, ils marquent de leur empreinte des courses qui ont forgé la légende du cyclisme. Parce qu’ils sont tout simplement au dessus du lot lorsqu’il s’agit de bergs et de pavés.
Alors à 34 ans tous les deux, on attendait de les revoir se livrer un grand duel. Cancellara allait-il égaler son rival en décrochant un septième monument pavé ? Boonen allait-il dépasser De Vlaeminck en étant le seul homme à compter quatre succès sur le Ronde et sur Paris-Roubaix ? Les deux grognards, trop âgés, allaient-ils succomber face à la nouvelle génération ? Tant de questions qui resteront sans réponses à l’issue du printemps, parce que les deux champions ont eu le malheur de chuter à de très mauvais moments. Justement, c’est peut-être là le signe évident que les années passent. Même si les flandriennes sont connues pour leur nervosité et les chutes qui peuvent survenir à n’importe quel moment dans le peloton, on avait pris l’habitude de voir les deux patrons éviter les pièges. C’est – beaucoup – moins vrai depuis trois saisons. La dure réalité de l’âge. Mais du coup, le 6 avril prochain, au départ du Tour des Flandres, il manquera un sacré morceau de l’histoire des classiques au moment de la signature. Un trop gros morceau…
Pourquoi elle vaut le coup
Dire que sans les deux monstres de la discipline, la campagne de classiques vaut encore plus le coup serait quelque peu malvenu. Mais clairement, même sans eux, il y a des chances pour qu’on vive de très grandes courses, dès dimanche sur Gand-Wevelgem, mais surtout dans les deux prochaines semaines sur le Ronde et Paris-Roubaix. Désinhibés, les adversaires pourront enfin jouer leur carte, sans avoir pour objectif premier de faire perdre Cancellara ou Boonen. Parce que depuis quelques années, cela semblait clairement être le seul but de l’ensemble des outsiders. Johan Vansummeren, Nick Nuyens et Niki Terpstra ont réussi à en profiter, mais ils sont bien les seuls. Et surtout, ils avaient opté pour des stratégies audacieuses. C’est ce qu’il a souvent manqué aux autres pour ne serait-ce que titiller les deux patrons dans leur quête. Pour cette année, on peut donc enfin espérer que tout le monde se découvre, ose et nous offre ainsi une course décousue.
Vanmarcke, van Avermaet, Sagan, les Sky et bien sûr l’armada d’Etixx – délaissée d’un leader aussi emblématique qu’imposant – vont pouvoir partir à l’abordage dans les monts flamands comme dans les secteurs pavés français. Désigner un favori sera très compliqué au vu des dernières semaines, ce qui laisse des espoirs à presque tout le monde. Il y a donc peu de chance d’assister à une démonstration de force avec une attaque décisive à 50 kilomètres du but, car ça on vous l’accorde, seuls Cancellara et Boonen savent le faire. Mais des oppositions tactiques entre les stratégies d’équipes de Sky ou Etixx et les coureurs plus isolés – mais sans doute aussi meilleurs intrinsèquement – paraissent aussi probables qu’alléchantes. Si l’indécision a toujours été de mise sur les flandriennes, elle le sera encore plus cette saison. D’autant que si sans les cadors, le spectacle pourrait être décuplé, il est aussi venu le moment de trouver un successeur au duo qui a si longtemps dominé son sujet. Et une campagne flandrienne aux enjeux nouveaux, on n’avait pas connu ça depuis un sacré moment…