La magnifique histoire est terminée. Thomas Voeckler a définitivement dit au revoir au Tour de France. Pendant plus de dix ans, il en fut la coqueluche incontestée. Sa résistance en brioche jaune face à l’implacable Lance Armstrong, son escapade sur le Port de Balès en 2010, son improbable Tour l’année suivante entre comédie et dramaturgie, son maillot à pois en 2012… Les exploits sont innombrables.

À l’étranger, admiration et indifférence

Qui a regardé le Tour de France entre 2004 et 2017 connaît Thomas Voeckler. Le Vendéen d’adoption est un personnage incontournable du peloton. Leader des causes perdues, meilleur grimacier sur roues, attaquant insatiable et multiple champion de France, son nom évoque toujours quelque chose. En Colombie, notre « Toto » national est même une référence. Ricardo Orrego, journaliste à Caracol TV l’explique ainsi : « On le voit comme un grand homme de classiques et un acteur important dans la montagne. Il a justement été maillot blanc à pois rouges sur le Tour. Ce type de coureur offensif plaît aux Colombiens, il attire l’attention. Nous sommes un pays qui a une culture de grimpeurs, d’hommes qui peuvent jouer un rôle en montagne. Son caractère offensif devant la difficulté, c’est ça que les Colombiens adorent chez ce coureur. » Le plus fidèle des bijoux de Jean-René Bernaudeau n’a pas les capacités d’un Nairo Quintana, mais son attitude plaît. « Il n’a jamais été un grand champion du Tour, mais il a été un grand animateur des courses chaque année. C’est un coureur qui a marqué une époque dans le cyclisme français. »

« Oh, Mark Cavendish a trente-quatre victoires sur le Tour… Papa, lui, il en a quatre. Mais c’est normal, c’est un baroudeur ! » Peut-être même le plus grand. Dans l’hôtel Ibis qui servait de QG à l’équipe Direct Energie, le fils de Thomas Voeckler évoquait avec fierté les exploits de son père. Le profil de baroudeur du paternel ne lui a pas permis de rencontrer le succès si souvent que des purs grimpeurs ou que des sprinteurs. C’est ce qui fait qu’il n’est pas rentré dans les mémoires dans certains pays de vélo, comme en Espagne. Luis Miguel Pascual, de l’agence EFE, souligne le relatif anonymat de Voeckler dans son pays : « On n’a pas ce type de coureurs en Espagne, c’est le type de cyclisme qui n’est pas très suivi chez nous. On a eu des coureurs qui luttent pour le général pendant trois semaines. Donc les « puncheurs », on n’en a pas énormément en Espagne. C’est un style différent, qu’on apprécie pas forcément chez nous. » Quand on s’adresse à la télévision slovaque, le constat est plus cinglant encore : « On ne s’intéresse pas trop à ce type de coureur en Slovaquie. Pour être franc, le pays ne s’intéresse qu’à Peter Sagan. »

Pourtant, son épopée en 2011, année où il a conservé le jaune pendant dix jours, au nez et à la barbe des favoris Andy Schleck et Cadel Evans, est restée dans les mémoires des supporters australiens comme Matthew, conquis par Voeckler : « Certes, il n’est pas le meilleur, mais il se bat toujours jusqu’au bout. En 2011, je me souviens d’avoir vu un coureur qui donnait tout ce qu’il avait dans le ventre pour garder le maillot jaune. Je crois même que c’est ce grain de folie qui lui a été fatal dans le Galibier. » Pour la victoire, le Français aurait de toute façon été trop juste, mais pour le podium difficile de ne pas regretter cet élan de panache supplémentaire dans l’étape menant à l’Alpe d’Huez, qui l’a finalement mené à sa perte, très relative puisqu’il a tout de même terminé quatrième, meilleure performance pour un Français depuis Christophe Moreau douze ans plus tôt.

Icône française

Si son image est donc discutée à l’étranger, Voeckler est l’icône incontestée du public français depuis le retrait de Richard Virenque. Il est le coureur le plus célèbre de l’Hexagone. Ses vingts jours en jaune, ses quatre victoires d’étapes, son maillot à pois lui ont forgé un palmarès solide. Mais ce n’est pas les bouquets où la couleur de ses tuniques qui comptent. Sa théâtralité, son envie, sa bonne humeur sont plus marquants encore. Un modèle pour beaucoup. « Quand je suis arrivé en 2009 chez Bouygues, Thomas Voeckler c’était quelque chose pour moi, se souvient Cyril Gautier, équipier de l’Alsacien jusqu’en 2015. Je connaissais son tempérament, son talent. Quand il allait chercher une étape c’était avec son cœur et ses tripes autant qu’avec ses jambes. J’étais et je suis encore très respectueux de sa façon de courir. » En plus du cœur et des jambes, le coureur d’AG2R loue aussi la tête de son ancien leader : « Il a un mental d’acier et un excellent sens tactique. Il est très intelligent sur le vélo, il connait parfaitement toutes les ficelles. » Romain Sicard, actuel équipier de Thomas Voeckler, admire aussi son partenaire : « Avec Thomas c’est l’instinct qui prime, il aime prendre des risques, ne pas avoir de regrets et c’est ce qui a permis à l’équipe d’avoir des résultats. »

Surtout, le Basque loue le chef de guerre qu’est Thomas Voeckler : « Il s’implique beaucoup dans la vie de l’équipe, dans les stratégies, il réfléchit énormément aux tactiques, détaille-t-il. On apprend énormément d’un coureur comme ça. Il a eu des résultats énormes mais c’est surtout un capitaine de route. Il a ce côté collectif et il insuffle à tout le monde cet esprit d’équipe. » Adrien Petit approuve : « C’est quelqu’un avec beaucoup de charisme, qui sait parler à ses troupes. » Jean-René Bernaudeau livre même une anecdote sur la dernière matinée de course du plus fidèle de ses disciples : « C’est lui qui a fait le dernier briefing, qui a dit à Thomas Boudat où se placer pour le sprint. »

Légendaire, Thomas Voeckler se retire d’un peloton dans lequel il a passé les quinze dernières années de sa vie. Il n’était peut-être pas le plus talentueux, mais ce gars de la campagne, si bluffeur, était sans doute l’un des plus courageux et des plus malins que le cyclisme n’ait jamais connu. À écouter les gens qui l’ont côtoyé en tout cas, il n’y a pas de doute, il restera dans les mémoires. « Thomas, c’est un exemple pour moi », nous dit Cyril Gautier. « Avoir pu être dans son équipe, c’est gratifiant. Avoir couru à ses côtés pour son dernier Tour, c’est une fierté », ajoute Adrien Petit. Enfin, sur les Champs-Elysées, c’est un Jean-René Bernaudeau presque en pleurs qui rendait un dernier hommage : « Le Tour en a fait une star, lui a fait du bien au Tour de France. » Ses maillots jaunes, tels un phare dans le brouillard des années sombres du dopage ont guidé les fans de la Grande Boucle pour ne jamais perdre la foi. Si lui l’a fait, c’est que l’authentique n’a jamais totalement disparu du peloton.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.