Au terme d’une montée d’Oropa complètement folle, Tom Dumoulin a écrasé la concurrence, avec la manière. Quintana l’a attaqué, il a finit décroché. Nibali voulait résister dans la roue du batave, il a craqué. Quant à Thibaut Pinot, lâché beaucoup plus tôt dans cette ascension sèche, il n’a pu que limiter la casse. Devant tout le monde, Tom Dumoulin nous a offert une montée exceptionnelle paré d’un maillot rose désormais bien accroché à son dos. Le dernier coureur qui avait réalisé cet exploit à Oropa, sur le mont sacré, était un certain Marco Pantani.

Roi du chrono et prince des cimes

Quelle démonstration ! Quelle facilité ! Un grimpeur est né sous nos yeux, un patron s’est un peu plus révélé sur les fortes pentes menant à Oropa. Ce soir, le boss, c’est Dumoulin. Pourtant, une fois n’est pas coutume, on ne pourra pas reprocher à Nairo Quintana de ne pas avoir essayé. En faisant rouler ses hommes très fort dès le pied. En sacrifiant un Amador en difficulté. En attaquant à quatre kilomètres du sommet. Le Colombien a testé le maillot rose, mais rien n’y a fait. Au train, avec calme, assis sur sa selle, en puissance, un peu comme l’ancienne gloire Jan Ulrich, Tom Dumoulin est revenu. Dans sa roue, Zakarin, Nibali et les malheureux Yates et Landa se sont accrochés, mais c’est bien le maillot rose qui a fait tout le travail pour reprendre un Colombien en plein doute face à l’écart qui n’augmentait pas.

Puis quand le leader de Sunweb a repris le coureur de la Movistar, il n’a pas hésité. Au culot, au panache, il l’a contré. Le rouleur patenté qui s’amuse du grimpeur rêvé, en position de contre-la-montre, l’image est marquante. Mais pas autant que celle qui se cristallise plus loin, à 400 mètres de la ligne, quand en appuyant encore davantage sur les pédales, Dumoulin finit par faire littéralement exploser le vainqueur de l’édition 2014. Quintana concède 13 secondes en quelques hectomètres. Incroyable. Nibali avait craqué bien avant laissant les tifosi médusés en haut du mont sacré, ce sanctuaire d’Oropa qui avait fait entrer la légende Pantani dans le mythe du Giro. Ces mêmes tifosi viennent d’assister à un nouveau grand moment de vélo, un nouveau chapitre de la longue histoire du Tour d’Italie : la prise de pouvoir du nouveau patron, Tom Dumoulin.

Désormais l’homme à abattre

Le roi du chrono est devenu un grimpeur de référence. Impressionnant, mais à bien y réfléchir, on pouvait s’en douter. Il y avait eu un précédent, quand le Néerlandais avait brillé au Cumbre del Sol sur la Vuelta 2015. Il avait alors battu Chris Froome et Joaquim Rodriguez dans une édition qu’il n’était d’ailleurs pas loin de remporter avant de craquer la veille de l’arrivée, la faute à des jambes en délicatesse face à la répétition des efforts et à une équipe indigne d’un potentiel vainqueur. Mais à l’époque, la côte n’était pas tout à fait la même, l’homme non plus. Il n’était pas encore le Dumoulin confiant qui, aujourd’hui, a pu décrocher, dans l’ordre, Thibaut Pinot, Adam Yates, Vincenzo Nibali, Nairo Quintana et Ilnur Zakarin à la pédale. Des hommes qui essayeront de l’abattre pendant la dernière semaine. Et pourquoi pas dès demain sur un parcours semblable au Tour de Lombardie qui pourrait s’avérer piégeux.

Nibali, décevant pour l’instant, devrait y jouer sa carte. Sur la dernière semaine, tout le monde attendra de voir si Dumoulin est capable de maîtriser l’enchaînement des cols, s’il peut tenir trois semaines de course, si la pression du maillot rose ne l’écrase pas. Mais aujourd’hui, il est le favori. Les Dolomites, en juge de paix, devraient nous permettre de définitivement savoir si le monde du vélo doit se prosterner devant le nouveau boss. Néanmoins, la faiblesse de l’équipe Sunweb risque de lui être préjudiciable. Privé de Kelderman, Dumoulin n’aura que l’ombre de Ten Dam pour l’accompagner, pour lui chercher des bidons, rouler derrière les audacieux, résister aux Movistar. C’est court. Si le Batave accomplissait l’exploit de résister, il entrerait alors définitivement dans la légende du Giro, en décrochant une centième édition chaque jour plus emballante.

Sa victoire au sanctuaire d’Oropa, après avoir dominé le chrono de mardi, lui y accorde déjà une place de protagoniste important. La manière avec laquelle il nous a surpris aujourd’hui alimente également son dossier. Cette manière que ce nouveau dompteur des cimes a de monter au train aurait pourtant pu nous décevoir. Ce n’est pas le cas. Dumoulin n’est pas une machine imperturbable, il n’est pas Indurain, il n’est pas Wiggins. Il glissait d’ailleurs à Cyclingnews, il y a quelques jours, qu’il ne regardait jamais son compteur : « Je ne regarde pas les chiffres, j’utilise un capteur de puissance mais je ne regarde jamais l’écran. Je regarde d’autres choses car je ne veux pas savoir, je me sens mieux quand je n’y pense pas. » Contrairement à la sensation de calcul à laquelle nous a habitué l’équipe Sky ces dernières années, Dumoulin préfère rouler au feeling. Et vu les frissons qu’il nous a offert aujourd’hui, nous aussi.

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