Le marché des transferts est plutôt calme, mais côté français, il s’est ouvert par l’annonce attendue de la nouvelle équipe du champion de France 2014-2015, Steven Tronet. Le Nordiste, sacré à Chantonnay au nez et à la barbe des favoris, réalise la meilleure saison de sa carrière, et quittera la méritante Auber 93 pour rejoindre Fortuneo-Vital Concept, nouveau nom d’une équipe Bretagne-Séché Environnement aux ambitions grandissantes. Accordant à la Chronique du Vélo sa première interview depuis l’officialisation de son transfert, Tronet détaille les différentes raisons de son changement d’équipe, mais aussi l’état d’esprit qui l’anime, ce que représente son titre à ses yeux, la suite de sa saison 2015, et donne également son avis sur le milieu des grosses écuries du World Tour. Une interview grand format.

Steven, vous étiez en fin de contrat avec Auber 93, et cela faisait quatre ans que vous portiez leur maillot. Vous vous voyiez de toute manière changer de formation à la fin de l’année ?

Disons que lorsqu’on est dans une équipe de troisième division, le but, c’est d’évoluer, de passer au-dessus. C’est pour ça que dans ce genre d’équipes, la tendance est généralement de faire signer des contrats d’un an pour éviter au coureur d’être bloqué.

Avec vos belles performances et surtout le maillot de champion de France sur les épaules, beaucoup d’équipes vous ont convoité. On a parlé d’AG2R, de Cofidis, et finalement vous signez chez Fortuneo – Vital Concept, la nouvelle appellation de la formation bretonne. Leur proposition était la plus satisfaisante ?

Je n’ai pas été en contact avec Cofidis, c’était surtout avec AG2R que j’étais proche. Mais les gars de chez Bretagne ont sans doute été les plus entreprenants, à faire une proposition assez tôt, et du coup pour moi c’était vraiment la meilleure solution. Je pense avoir signé dans l’équipe qui me fait le plus confiance, au fond. Je n’ai donc pas hésité à partir de là à donner mon accord à Emmanuel Hubert.

Du coup, vous passerez d’une équipe continentale à une continentale pro, le saut ne sera pas si violent pour vous. Le World Tour vous effrayait quelque peu ?

Non, le World Tour, c’est tout à fait quelque chose dont j’avais envie. Mais après, une équipe comme Bretagne–Séché, ils ont un bel agenda avec de belles courses World Tour à leur calendrier. Je pense que certains coureurs de leur équipe ont pu faire un plus beau programme que d’autres coureurs d’équipes World Tour justement. Beaucoup d’équipiers sont cantonnés à disputer les épreuves de Coupe de France, et les autres petites courses du pays. Donc pour eux, être en World Tour ou être en troisième division, leur programme de courses ne change pas beaucoup. Au final, pour moi le choix, ce n’était donc pas parce que le World Tour me faisait peur, mais bien parce que Bretagne m’a convaincu qu’ils souhaitaient vraiment m’avoir dans leur équipe, je sais qu’ils me font confiance.

Chez Fortuneo, vous bénéficierez sans doute de belles invitations, alors peut-on dire que c’était le meilleur compromis pour vos exigences sportives ?

Oui ! Après, la condition de départ, c’était de rejoindre une équipe qui sera sélectionnée sur le Tour de France. Bon, être soi-même retenu pour le Tour, c’est autre chose évidemment, mais en partant de cette base, on a un programme de courses solide auparavant, qui tient la route. Oui, il y a les belles courses d’une semaine comme Paris-Nice, les classiques comme Paris-Roubaix, mais je pense aussi à des épreuves comme le Tour de Catalogne, d’autres belles courses. Cela m’a forcément donné envie d’aller chez eux.

Emmanuel Hubert a vraiment envie de donner une nouvelle direction à son équipe et veut lui faire passer différents paliers. Mais avant cela, connaissiez vous quelques coureurs, des membres du staff ?

Je connais très très bien Florian Vachon, qui est un vrai ami en dehors du vélo, c’est clair. Après, je connais aussi Jean-Marc Bideau et Florian Guillou, donc cela fait déjà quelques amis pour ma future intégration.

Florian Vachon que vous connaissiez depuis votre passage chez Roubaix – Lille Métropole ?

Cela fait depuis la saison 2008, mais à vrai dire 2007 lorsqu’il était stagiaire, qu’on se côtoie. Cela va bientôt faire une dizaine d’années que l’on se connaît, et nos rapports ne sont pas restés uniquement ceux que peuvent entretenir deux coéquipiers sur le vélo. C’est un ami en dehors de la sphère de la compétition.

Grâce à votre titre à Chantonnay et aux retombées médiatiques qui ont coïncidé avec, beaucoup de téléspectateurs ont pu découvrir l’identité d’Auber 93, ses moyens limités, l’esprit qui vous anime et sa philosophie. Avant de penser à votre propre futur, c’est un coup de pouce inespéré pour ceux qui gèrent le projet Auber ?

On va dire que pour Auber, c’était une aubaine pour eux que je sois champion de France cette année. Ils étaient en galère de partenaires de tous les côtés, je leur ai permis de relancer un peu la machine. Que je sois en troisième division ou non, après c’est tout aussi un avantage qu’un inconvénient. Je me dis toujours que si je n’avais pas été chez Auber, je ne serais peut-être pas devenu champion de France. Grâce à eux, j’ai toujours été assez libre dans ce que j’ai fait, car dans une grosse équipe française, j’aurais roulé en tant qu’équipier. Au début, je me disais que la troisième division avait ses inconvénients, mais je suis arrivé au stade ou je peux dire que ce fut un réel avantage pour obtenir ce sacre.

Dans Auber 93, il y a le numéro 93, et tout le travail effectuée par la structure dans la Seine-Saint Denis. Cela vous est-il déjà arrivé, ou aux autres coureurs, de participer à des actions sociales organisées ?

Non, pas du tout puisque pour nous coureurs c’est vraiment compliqué de se déplacer en pleine saison sur les projets autour d’Auber – Aubervilliers ndlr – . On a des courses aux quatre coins de la France, des programmes stricts à gérer…

Mais au fond, avec ce maillot bleu-blanc-rouge et votre parcours atypique, vous ne pensez pas que vous êtes un peu l’ambassadeur du coureur qui peut réussir bien que pas forcément issu des grands milieux du cyclisme, en ayant connu bon nombre de galères… ?

Je ne le pense pas tellement, car au fond, il y a énormément de coureurs comme moi qui évoluent dans les divisions inférieures, qui parcourent le milieu du cyclisme amateur. Même pour les jeunes qui n’arrivent pas forcément à trouver leur place et à exprimer leur talent, je pense que mon rôle est de leur montrer qu’avec de la motivation et du travail, on y arrive. Surtout avec un peu de patience !

Plus généralement, 2015 marque votre explosion sur le devant de la scène française, mais on voit aussi qu’Auber réalise l’une de ses meilleures saisons. Maldonado s’illustre sur les Coupes de France, Vimpère souvent en vue, Jakin qui gagne… La solidarité collective est plus que jamais une force ?

Ouais, je pense que cette année dans l’équipe, il y a vraiment une superbe ambiance, tout le monde s’entend très bien, et le fait de gagner des courses, ça aide beaucoup. Notre première victoire, c’était avec David Menut sur Paris-Troyes, et cela nous a mis sur une spirale positive, de victoires avec l’objectif de la gagne. On a envie d’aller de l’avant, aujourd’hui on a réussi à gagner sept ou huit courses. Les jeunes sont très à l’écoute, bosseurs à l’entraînement. Donc pour Auber, oui, ce n’est pas chaque année qu’ils pourront faire des débuts de saison pareils, rien qu’au niveau de la solidarité et de l’entente qu’il y règne.

Avant de parler de l’année prochaine, restons concentrés sur le présent. Vous avez disputé la Polynormande au début du mois sous votre nouvelle tunique. Qu’avez-vous ressenti ? Vous avez découvert une ferveur populaire plus importante que ce que vous avez connu jusque là ?

C’est certain que cela a bien bousculé l’organisation que je pouvais avoir avant de préparer mes courses. Il y a beaucoup plus de pression, pour réussir, principalement faire bonne impression. Chaque coureur à ses moments de faiblesse, mais avec le maillot de champion national, cela se remarque directement. Ce n’est pas parce qu’on est champion que l’on doit non plus se relâcher instantanément, il faut continuer à garder le même rythme à l’entraînement, et plus généralement je dirais qu’il s’agit de la bonne pression, celle qui booste et donne systématiquement envie de bien faire dès que l’on est aligné au départ.

L’étape suivante de votre saison passe par le Tour du Limousin, un course qui pourrait être à votre avantage. C’est un vrai rendez-vous, ou vous visez encore un peu plus loin ?

Mon objectif au Limousin, cela sera de gagner une étape, bien entendu. Mais avec mes quatre victoires depuis le début de l’année, le titre de champion de France en juin, tout ce qui se passe depuis ce moment, c’est du bonus, d’autant plus que mon avenir est déjà assuré. Mon envie, c’est de gagner encore plus de courses, mais je n’ai aucune obligation du résultat. Je vais surtout prendre du plaisir.

Quelles seront les dernières échéances d’ici la fin de saison ?

Cela devrait aller en théorie jusqu’à Paris-Tours. Donc le Tour du Limousin cette semaine, puis après j’irais au Tour du Poitou-Charentes, avant d’enchaîner en septembre avec le Grand Prix de Fourmies, celui d’Isbergues. Je verrais ensuite bien ce qu’il se passera. Serais-je pris pour disputer les championnats du Monde ? Qui sait ? Si je ne me rend pas aux Mondiaux je viendrais courir le Tour du Gévaudan, le Tour de Vendée puis Paris-Bourges avant la dernière classique de l’année, Paris-Tours.

Les championnats du Monde de Richmond aux Etats-Unis, n’importe quel coureur rêve d’y participer, et le parcours vous tenterait ?

Avant de me mettre cette idée en tête, comme n’importe qui je suis allé regarder le profil et les détails du tracé sur internet pour me faire une petite idée dessus. C’est clair que si ça avait été un circuit pour grimpeurs je n’aurais pas ma place pour aller là-bas, mais je trouve que cela convient bien aux puncheurs-sprinteurs, même plus les hommes rapides. À Bernard Bourreau de décider, de faire son travail. Je vais faire le maximum sur les courses par étapes à venir, prouver que j’ai ma place dans cette équipe de France, mais je ne peux rien garantir.

Vous avez 28 ans, après une participation aux Mondiaux, une venue sur les Jeux Olympiques de Rio l’été prochain viendrait éventuellement compléter votre CV !

C’est sûr que c’est intéressant, après je connais pas vraiment les à côtés de la course olympique, je ne me suis pas renseigné. Mais déjà, un championnat du Monde et un Tour de France, c’est déjà plus que pas mal (rires). Et dans le cyclisme, les Jeux Olympiques ont à mon goût moins d’importance que les championnats du Monde, c’est une course à moindre valeur. La médaille olympique compte énormément dans des sports comme l’athlétisme, la natation, mais pas vraiment dans le cyclisme.

Jérôme Pineau il y a quelques jours déclarait que devenir consultant à la télévision pouvait être une possible reconversion. Votre retraite, ce n’est pas pour demain, mais avez-vous par hasard une quelconque idée de reconversion ? On sait que certains sportifs y attachent une importance particulière.

Non, pas du tout. Je n’y réfléchis absolument pas. Je me concentre sur le vélo, et après une carrière, même si on a le bagage suffisant lorsqu’on était à l’école, on ne connait plus forcément grand chose sur un métier en particulier. Donc je pense que quand il sera temps pour moi de raccrocher, je reprendrais certainement le chemin d’une formation afin de me diriger vers une voie professionnelle. Tout le monde doit y passer, et vu comment c’est parti, je crois bien que l’on va devoir travailler jusqu’à 70 ans (rires).

Enfin, au cœur d’un cyclisme qui se modernise, quel œil portez vous en tant que coureur de troisième division sur les récentes polémiques autour de l’autorisation ou non pour les équipes d’introduire leurs motorhomes le long des courses ?

Pour moi, le cyclisme moderne comme celui qu’on peut voir aujourd’hui met un peu frein à l’image du vélo populaire, proche du public. Les gens qui viennent voir le Tour de France le font avant tout pour être au contact des coureurs, profiter de l’ambiance. Et malheureusement aujourd’hui, les spectateurs ne peuvent quasiment plus approcher les bus des équipes, on se retrouve avec des coureurs enfermés dans leurs hôtels. C’est un peu dommage, la proximité qu’il y avait entre les deux parties est en train de progressivement diminuer. Il ne faudrait pas tomber dans le piège que représente la mentalité de certains sports, comme le football ou d’autres sports comme celui-ci. Après, je pense aussi qu’il faut que l’UCI mette des certaines limites concernant les moyens déployés au service des coureurs. Un jour, certains n’auront même pas besoin d’aller à l’hôtel, ils installeront leur bivouac sur une plage, une place ou dans un champ, avec leurs restaurants intégrés, leurs motor-homes. J’exagère à peine, mais quand vous regardez l’objectif de Sky, cela s’y rapproche, leur but est de ne plus se rendre dans les hôtels…

Vous seriez donc partisan de nouvelles mesures concernant l’aspect financier du cyclisme, comme chercher un équivalent au fair-play financier ?

Malgré tout, on est encore loin de la nécessité d’une telle règle de fair-play financier comme vous dites. Quand je me suis rendu sur le Tour de France, à Pau, je me faisais la réflexion suivante : « Dans l’hôtel en question, il y avait les formations BMC et Sky. Bon, le tout réuni, cela fait à peine 10 % du budget du PSG. » Cela n’a rien à voir, on peut pas vraiment comparer. Je pense pas qu’il y ait encore de l’abus sur le plan des transferts, cela reste très calme. Mais pourquoi pas créer un cahier des charges, respectant des normes précises sur l’hébergement ? Car bientôt, les hôtels risquent d’être désertés.

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