Douze millions de spectateurs au bord des routes, près de 2000 journalistes présents sur l’événement, une retransmission dans 195 pays… Le Tour de France est d’une ampleur inimaginable. Cette année, un quart du peloton y court pour la première fois, un sentiment particulier entre découverte ingénue et objectifs concrets.

Insouciance

Conférence de la BMC au centre presse de Düsseldorf, toute l’équipe américaine est regroupée derrière neufs micros. Le portable entre les mains, Stefan Küng se filme, la bouche entrouverte, un léger sourire sur le visage il essaie de prendre Michael Schär au jeu. L’attitude candide du « rookie » de l’équipe tranche avec le sérieux du moment, alors même que la salle, bondée, attend avec impatience les premiers mots de Richie Porte depuis qu’il a atterri en Allemagne. Professionnel depuis deux ans, c’est le premier Tour de France du grand espoir hélvete, il en profite. Cette année, le Suisse de 23 ans est loin d’être le seul néophyte du Tour. Des coureurs prestigieux comme Esteban Chaves ou Diego Ulissi émergent de cette liste de quarante-neuf noms. Beaucoup sont plus anonymes. Certains sont jeunes comme Elie Gesbert, qui vient juste de souffler ses 22 bougies et s’élancera en premier tout à l’heure, d’autres plus vieux, le doyen Javier Moreni a ainsi bientôt 33 ans. Tous découvrent la plus grande course du monde.

Parmi eux, Pierre Latour va s’élancer pour la première fois dans un contre-la-montre avec sa tenue de champion de France de la spécialité. « Je ne l’ai pas encore essayée mais… elle est belle », rie le très talentueux grimpeur d’AG2R la Mondiale. D’un naturel très relâché, le jeune français écarquillait encore les yeux la veille du départ : « Je profite, j’observe tout ce qu’il se passe autour de moi, c’est assez unique. » Vingtième de la Vuelta et vainqueur d’une étape pour son premier grand tour, il avait « beaucoup appris au côté de J-C (Jean-Christophe Péraud, NDLR) ». Un début, mais Latour sait que le Tour d’Espagne n’était qu’un avant-goût : « Quand je vois le monde qui est là, je me dis que le Tour c’est autre chose. Il y a bien plus de médias que sur les autres courses, plus de personnes dans le staff aussi. C’est là que tu te rends compte que c’est la course qu’il ne faut pas rater de la saison. » Avec un poil de pression puisqu’il partira juste avant Chris Froome en début de soirée.

Surprise, ils débutent

Yoann Offredo fait aussi partie de ces nouveaux, lui qui n’avait jamais fait du Tour une priorité. À 30 ans, il était tout de même temps de se lancer. À la présentation des équipes, il nous confiait son excitation : « La course n’a pas commencé mais j’ai déjà eu le temps de me rendre compte que c’est une caisse de résonance énorme, l’événement de l’année. » Le coureur, qui a relancé sa carrière cette année sous les couleurs de l’équipe Wanty-Groupe Gobert, a la particularité d’être aussi le vétéran de sa troupe. « Habituellement, je suis le coureur d’expérience sur les courses, je peux véhiculer ce que j’ai appris, commence l’ancien grand espoir de la FDJ. Mais là, fort de mon manque d’expérience, je ne peux pas faire autre chose que de découvrir. J’essaie d’apporter mon calme car je ressens beaucoup de stress à l’intérieur de l’équipe. »

Du stress, le très détendu Yoann Offredo fait mine de ne pas en ressentir lui-même : « Je n’ai pas peur des trois semaines de course. Je sais qu’il y aura des moments difficiles, d’autres, je l’espère, joyeux voire euphoriques. Finalement, je pense qu’un grand tour, c’est un peu comme enchaîner les classiques. Ce sont les mêmes problématiques de récupération, d’alimentation, de sommeil. » Le Français a jusque-là pris le départ d’un seul grand tour, la Vuelta 2010, qu’il a abandonné à la dixième étape. Mais parmi les rookies, il n’y a pas de règle. Certains coureurs bien plus expérimentés sur trois semaines connaissent également leur premier Tour. Dario Cataldo a, par exemple, déjà usé ses roues sur neuf Vuelta et sept Giro.

L’allégresse ?

Alors, possible de voir un de ces débutants réaliser un beau Tour ? Yoann Offredo est là en « acteur, pour gagner une étape, j’en ai déjà cochées plusieurs. » Mais la plupart découvriront avant tout. Évidemment, tous les yeux seront rivés sur Esteban Chaves pour le général et sur Pierre Latour pour le maillot blanc, mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir tirer leur épingle du jeu. Beaucoup d’espoirs déchus essaieront de retrouver la lumière à la faveur de ce mois de juillet. En premier lieu, Taylor Phinney et sa moustache travaillée. L’Américain est un spécialiste des contre-la-montre courts, il pourrait ainsi se battre pour la gagne aujourd’hui. En 2012 il avait remporté le prologue du Giro à 22 ans à peine. Carlos Betancur, dont les kilos en trop ont gâché une carrière prometteuse, sera là pour aider Quintana dans sa quête du maillot jaune. Si son compatriote se révélait trop diminué par son Giro, alors Betancur pourrait jouer sa carte pour une étape.

Diego Ulissi ou Lilian Calmejane, qui a effectué des débuts fracassants sur la Vuelta l’an passé, ont aussi des coups à jouer pour les étapes. Enfin, on gardera un œil sur Rick Zabel, le fiston du sextuple maillot vert, et sur Juraj Sagan, qui pourraient écrire de belles histoire à raconter en famille. Il n’est pas saint de s’enflammer pour autant. De fait, rares sont les coureurs à avoir brillé pour leur premier Tour de France. Il y a les exceptions Anquetil, Merckx, Hinault ou Fignon qui ont remporté la course dès leur première participation. Nairo Quintana, deuxième en 2013, et Peter Sagan, maillot vert en 2012, sont d’autres exemples récents de cette réussite possible. Mais ce sont des cas qui sortent de l’ordinaire. Les grands grimpeurs actuels, de Contador (31e en 2005) à Aru (13e l’an passé) comme les superbes sprinteurs, de Kittel à Cavendish, ont souvent connu un premier Tour teinté de discrétion ou de déception. La Grande Boucle ne s’appréhende pas comme ça.

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