Les consécrations peuvent survenir tardivement. Pour José Joaquin Rojas toutefois, année après année, mois après mois, et étape après étape, c’est toujours le même sentiment de frustration qui domine, si la résignation ne l’a déjà pas emporté depuis quelques temps. Piégé sur les routes tortueuses menant à Sagonte et à Cuenca, trop tendre aujourd’hui en direction d’El Pozo, l’Espagnol est toujours à la recherche du plus grand succès de sa carrière.

Passe-partout, mais gagne-jamais ?

Aujourd’hui, bien rares sont ceux pouvant rivaliser avec José Joaquin Rojas sur tous les terrains. Très proche de la catégorie des Sagan, Matthews, Kwiatkowski et Boasson Hagen, J.J « Rojillas » peut se targuer d’avoir joué la gagne dans les sprints massifs du Tour de France, sur l’Amstel Gold Race, à Gand-Wevelgem, ainsi qu’au général d’un Paris-Nice ! Le hic réside bel et bien dans son ratio victoire/top 10, l’un des plus faibles du circuit. Notre homme a signé ni plus ni moins que 254 top 10 depuis ses débuts professionnels, en 2007, pour seulement onze victoires. Murcian comme son ami Alejandro Valverde, le natif de Cieza enquille les bons résultats et possède une régularité épatante. On pourrait même pousser la comparaison avec « El Imbatido » sur leurs modalités d’entraînement et leur capacité de résistance sur une saison entière, puisque le héros malheureux de cette première semaine du Tour d’Espagne a pour habitude de ne jamais baisser de régime en cours d’année. Cependant, si les caractéristiques sont flatteuses, le nombre anormalement faible de victoires nous fait basculer dans les travers d’un coureur qui aurait pu radicalement changer de dimension.

Tout comme Valverde, là encore, Rojas semble destiné à passer l’intégralité de sa carrière dans la même structure, Movistar ayant succédé à la Caisse d’Epargne en 2011. Mais les trajectoires des deux compères se sont éloignées depuis longtemps. Avec les nombreuses évolutions apportées à l’effectif et l’ascension au plus haut niveau de Nairo Quintana, Rojas sert la plupart du temps de parfait domestique pour les jeunes talents hispanophones de la Movistar. Sur le Tour d’Italie, mais aussi sur les derniers Tour de France, on l’a ainsi vu faire le tempo en montagne. Pas loin de l’humiliation, pourrait-on penser, pour le plus coriace des concurrents de Mark Cavendish lors de la bataille pour le maillot vert sur la Grande Boucle 2011. Sans doute la meilleure période de sa carrière, avec des jambes que l’on n’a plus jamais revu sur les dernières lignes droites des grandes compétitions. Depuis, ses objectifs ont changé, et sa polyvalence s’est encore accrue. Mais comment ne pas regretter de ne pas avoir remporté des succès plus prestigieux que de modestes étapes du Tour de Catalogne et du Pays Basque dans des sprints en petit comité ?

Baroudeur reconverti, avec le sourire

Après son deuxième titre de champion national en 2015, Rojas a clairement affirmé avoir tourné la page des années précédentes, pour mieux se focaliser sur son rôle de capitaine de route. Sans doute une carrière de sprinteur pur ne l’intéressait pas vraiment. Limité face aux Cavendish, Petacchi et Farrar de l’époque, il ne pouvait espérer l’emporter que sur des courses mineures, sans exprimer son potentiel de coureur complet. Et les situations se sont alors inversées. Un temps le meilleur sprinteur du peloton lorsqu’il dût passer des côtes, l’Ibère est devenu l’un des puncheurs possédant la plus redoutable pointe de vitesse en cas d’arrivée groupée. Mais l’efficacité n’a pas suivi. Et l’accumulation de top 10 nous fait penser que sans doute d’autres opportunités de carrière auraient pu s’offrir à lui. Ce Paris-Nice 2014, sans contre-la-montre, où il bute sur deux vrais spécialistes en matière de courses par étapes – Carlos Betancur et Rui Costa – vient nous rappeler qu’à force de vouloir jouer les premiers rôles partout, l’instinct de killer diminue, et la menace de devenir moins bon dans ses points forts plane.

L’instinct de tueur, propre aux grands attaquants et aux baroudeurs professionnels, José Joaquin Rojas semble bien ne l’avoir jamais eu. Sinon, nul doute qu’il aurait déjà scoré sur un Grand Tour. Ses échecs dans la région valencienne représentent des cas d’école. Excellent sur les petits cols, rapide au sprint et endurant, il endosse facilement la pancarte, une camisole dont il n’a jamais réussi à se libérer à chaque fois qu’il l’a reçue. Mais une fois la ligne d’arrivée franchie, c’est toujours le même sourire qu’arbore l’Espagnol. Il n’y a qu’à voir le final du jour pour s’en rendre compte, où il a amené sur un plateau la victoire à un Matteo Trentin qui n’en demandait pas tant. Ce qui n’a pas empêché une accolade sincère entre les deux hommes quelques secondes plus tard. Sans doute en raison du plaisir qu’il éprouve sur son vélo, dont on retient une victoire en équipe sur un contre-la-montre de la Vuelta, à Pampelune en 2012. Tous ses coéquipiers, anciens ou actuels, n’en disent que du bien. Plutôt honorer des responsabilités familiales chez Movistar que se sentir étranger ailleurs, telle est sa devise.

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