Il y a quelques temps, ceux qui déploraient que le cyclisme avait changé pouvaient être considérés comme des réactionnaires. Plus vraiment maintenant. Car regretter le vélo d’antan est presque devenu la norme chez les observateurs à force de subir des courses cadenassées où les leaders se découvrent le plus tard possible. Mais le retour sur le devant de la scène de l’engouement autour du record de l’heure et de quelques coureurs « vintage » laissent penser qu’un rapproché partiel vers le vélo qui a tant fait vibrer le monde de la Petite Reine n’est pas à exclure.

Le symbole de l’heure

Le record de l’heure, il y a quelques décennies, avait une réelle importante au sein du peloton. Fausto Coppi avait été le premier à le sublimer, en 1942. Jacques Anquetil puis Eddy Merckx le lui subtilisèrent par la suite, presque logiquement car ces champions étaient sensiblement de la même trempe, mais ne couraient pas avec le même matériel (même si les changements, entre Coppi et Merckx, restaient minimes). Puis le post-Merckx fut une histoire de règlement, avec une course à l’armement débutée par Francesco Moser et qui alla jusqu’à Chris Boardman. Sur des vélos à chaque fois plus exceptionnels d’efficacité, ces spécialistes ont pulvérisé les records de leurs aînés, le Britannique dépassant même les 56 kilomètres parcourus en une heure de piste. Mais l’UCI s’est rendue compte de l’erreur et de la supercherie naissante, et a décidé en 2000 de faire machine arrière : le seul record valable étaut alors celui de Merckx, et il faudrait utiliser le même matériel qu’à l’époque du Belge pour qu’un record soit homologué.

Un retour à l’essence même du vélo, qui voulait que l’on puisse comparer les performances entre les coureurs de différentes générations. Une initiative louable qui malheureusement fut à l’origine d’un désintéressement total des coureurs vis-à-vis de ce mythique record de l’heure. Boardman et Sosenka ont donc tenté, et réussi à s’emparer du record, respectivement en 2000 et 2005. Avant que Brian Cookson remette le sujet sur la table : lui voulait un recordman qui ait de la gueule et qui représente dignement le peloton. Sans porter offense au Tchèque, ce n’était pas vraiment le cas du mystérieux Ondrej Sosenka, quasiment inconnu au bataillon. Le nouveau règlement, qui autorise des vélos avec roues lenticulaires et prolongateurs notamment, a repositionné le record de l’heure parmi les défis qu’il convient de relever. Après Jens Voigt, qui a battu le record et passé les 51 kilomètres ce jeudi, Fabian Cancellara et Bradley Wiggins sont sur les rangs pour faire une tentative. Comme à l’époque où les grands rouleurs faisaient de cette épreuve un véritable objectif. C’est à croire qu’on a fait un bond dans le passé, même si ce n’est pas pour nous déplaire. Pour une fois, l’histoire n’est pas sabordée.

Quelques ambassadeurs du panache

Mais le seul engouement autour du record de l’heure ne suffit pas à avancer que le cyclisme actuel est nostalgique, et qu’il se rapproche petit à petit du cyclisme d’antan. En revanche, l’importance grandissante des quelques coureurs au panache démesuré est un vrai signe. Comme si certains avaient envie de vivre ce que leurs aînés ont pu connaître. Vincenzo Nibali et Alberto Contador ont remporté deux des trois grands tours en 2014, et à eux deux, comptent neuf succès sur les épreuves de trois semaines. Preuve qu’il est possible d’allier le succès avec le panache, parce que ces deux larrons font partie de ceux qui osent, qui ne se cachent pas derrière leurs coéquipiers et qui n’hésitent pas à risquer de tout perdre pour avoir ne serait-ce qu’une infime chance de gagner. C’est pour ça qu’ils sont passés à côté de quelques places d’honneur prestigieuses, mais c’est aussi grâce à leur tempérament à part qu’ils ont pu aller décrocher des bouquets qui ont fait et continuent de faire leur réputation.

Avec quelques autres coureurs, comme Fabian Cancellara ou Peter Sagan, ils sont les ambassadeurs du panache dans le vélo, qui nous rappelle que le cyclisme moderne n’est pas forcé d’être ennuyeux. Les coureurs ne sont pas obligés d’attendre les trois derniers kilomètres pour se livrer dans la montagne, ou la dernière difficulté des grandes classiques pour oser porter une attaque. Heureusement qu’ils sont là, parce qu’ils nous permettent d’espérer un peu, et de se rassurer. Cadel Evans et Alejandro Valverde courent intelligemment, mais il est possible de s’imposer en adoptant une autre tactique. Alors évidemment, le cyclisme d’il y a cinquante ans n’a toujours pas grand chose à voir avec celui d’aujourd’hui : les épopées de cent kilomètres n’existent plus, et les équipes ont désormais un rôle considérable dans les grandes épreuves. Mais ces quelques signes, s’ils ne retranscrivent pas véritablement le vélo qui manque à certains, ont au moins le mérite de nous y replonger un tant soit peu avec les héros d’aujourd’hui. Et c’est tant mieux.

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