On attendait des 42 kilomètres de contre-la-montre qu’une nouvelle hiérarchie se dessine et que les écarts grossissent de façon significative avant la journée de repos, qui précède la deuxième arrivée au sommet de ce Giro. Si les conditions météorologiques ont bien tourné au vinaigre en milieu d’après-midi, tous les favoris se sont élancés en parfaite équité, et tous ou presque se tiennent en trente secondes. Une situation inhabituelle par rapport aux dernières éditions, où après une semaine de course, le vainqueur final s’était déjà envolé.

Contre toute-attente, Landa s’est surpassé

Sur le portillon de départ, Mikel Landa espérait-il terminer dans les vingt premiers de l’étape chronométrée ? On en doute fortement, même si les petits bijoux technologiques de l’équipe Sky préparés pour l’occasion devaient aider l’Espagnol à limiter la casse. Pour lui et les cinquante premiers du général de ce matin, regarder le temps perdu sur l’incroyable vainqueur, Primož Roglic n’est pas très pertinent. Parti et arrivé sous le soleil toscan, le Slovène a livré une course diamétralement opposée à celle des prétendants au classement général. L’épouvantail Tom Dumoulin, lui, était annoncé comme la référence à suivre, et à énormément déçu. Une deuxième fois en deux jours, ce qui pourrait laisser des traces, même si le résultat comptable à l’arrivée n’est pas dramatique. Landa, lui, n’a seulement perdu que vingt-deux secondes sur le Néerlandais, et sept sur Vincenzo Nibali, assurant le minimum syndical sur une chaussée détrempée. Mais c’est bien le Squale qui a fait la meilleure opération – si tant est que c’en est vraiment une -, faisant mieux qu’Alejandro Valverde, engrangeant trente-six secondes sur Rafal Majka, et distançant les deux grands perdants : Ilnur Zakarin et Rigoberto Uran.

Les scénarios pronostiqués ne se sont donc pas réalisés, et le vainqueur des trois grands tours n’est pas plus avancé depuis l’escapade en Gueldre. Une atmosphère de course originale, au final, puisque l’an dernier, après le week-end appennin, la donne était franchement plus claire. Seuls Contador, Aru et Porte figuraient comme possibles vainqueurs à Milan, personne ne misant un sou sur Landa. Le plateau était peut-être plus déséquilibré, mais les outsiders étaient déjà repoussés à deux ou trois minutes du maillot rose, tandis qu’en 2014, le chrono des vins avait étalé le classement à tel point que Nairo Quintana fut dans l’obligation d’attaquer la première étape de montagne venue pour reprendre les 3’29 qu’il avait de retard sur Rigoberto Uran. Enfin, en 2013, Nibali enfilait le rose pour ne plus le quitter jusqu’à Brescia. L’édition la plus voisine de ce que nous connaissons serait alors 2012, avec un départ à l’étranger et quelques reliefs peu significatifs. 43 coureurs se tenaient en moins de cinq minutes après la prise de pouvoir de Joaquim Rodriguez dans la citadelle d’Assise. De quoi ouvrir toutes les perspectives pour la suite des événements.

Quelles tactiques adopter ?

Car, quoi qu’on en dise, ce Tour d’Italie est pour l’instant très tactique, et sourit principalement à Etixx-Quick Step et Lotto-Soudal, qui ont remporté six des neuf étapes. Victorieux sur une étape piégeuse, Gianluca Brambilla reste en rose au prix d’un bel effort, preuve que la pression ne le fera pas quitter si vite des premières loges, et Bob Jungels, épatant depuis Tirreno-Adriatico, est placé une seconde derrière son partenaire. Les deux peuvent-ils nous offrir un nouvel acte de résistance à Sestola ? Enchaînée avec le Pian del Falco, plus pentu, cette montée n’offre aucun fort pourcentage, et si l’attentisme de la première semaine est prolongé, les baroudeurs vont très certainement se frotter les mains mardi. À moins que, reposés, certains sortent convaincus de la nécessité d’attaquer mardi, avant d’entamer la haute montagne le week-end prochain. Pourquoi pas Ilnur Zakarin ? Le Russe, spécialiste de l’exercice solitaire, a vécu un vrai calvaire aujourd’hui, avec deux chutes et un changement de vélo, pour un temps qui n’aurait certainement pas été médiocre sans toutes ces péripéties. Coureur sans retenue, le leader de la Katusha avait déjà accompagné Dumoulin dans l’étape de Roccaraso, en compagnie de Pozzovivo.

Sans prendre de valise, le grimpeur d’AG2R la Mondiale a lui, au passage, perdu du temps, et devrait repartir pied au plancher en deuxième semaine. Le Russe et l’Italien sont en effet pointés à plus d’une minute de Nibali au général, tout comme Esteban Chaves, et plus surprenant, Rigoberto Uran. En compagnie de seconds-couteaux toujours prompts à l’attaque pour glaner des succès de prestige, comme Siutsou, Pirazzi, et l’infatigable Hesjedal, bientôt transcendé en troisième semaine, on tient peut-être ceux qui secoueront le Giro avant les grandes altitudes. De l’autre côté, Nibali, Valverde et Landa ne cessent de s’observer. Un vilain défaut. Parce que d’une part, le passé a toujours montré que cela se retournait contre soi au dernier moment, preuve en est avec le succès d’Hesjedal sur Rodriguez en 2012, et que l’on n’est pas à l’abri d’une héroïque performance de la paire Etixx, où d’un Tom Dumoulin revigoré. Secondo, l’une des particularités de l’épreuve est de ne pas avoir entassé les arrivées au sommet. Il faudra bien se décider à un moment où un autre pour éviter un statu-quo frustrant. Après-tout, Nibali et Valverde ont bien la possibilité de remporter l’épreuve en fin tacticiens. Pourront-ils continuer ainsi jusqu’à l’Alpe di Siusi, théâtre d’un contre-la-montre en côte ? Jusqu’où s’arrêtera Kruijswijk, installé sur le podium du général et septième l’an dernier ? Voici tant de questions qui restent sans réponses. Pour l’instant.

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