PLACE AU TOUR 20
De plus en plus, le Tour de France est face à son ombre et son plus grand défi entre conservatisme et modernité

Passer cent ans, est-ce prendre un nouveau départ ? La question posée aurait pu faire l’objet d’un sujet à l’agrégation de philosophie. Plus modestement, elle concernait quelque chose de bien particulier, qui se court depuis cent éditions (première curiosité car créé en 1903), à bicyclette et est suivi par un nombre d’admirateurs de plus en plus nombreux, enfin, jusqu’à il y a quelques années, et de plus en plus naïfs aujourd’hui. Qu’importe, car je ne parlerai dans les prochaines lignes que des conséquences de la vieillesse, de sa substantifique moelle, de son pourquoi.

J’ai toujours pensé que le propre d’une date anniversaire, c’était de vous faire vieillir. Boire pour l’oublier, fêter comme pour mieux se persuader que le passé est une chose mais le présent vaut mieux. Vous évitez ainsi de pleurer vos cheveux blancs et assouvissez votre besoin d’être aimé.
Le Tour de France est une Reine, petite pour l’adjectif, alors, forcément, elle a des anniversaires à fêter. Et cette Petite Reine a d’original qu’elle donne son âge, c’est qu’elle aime vieillir, sûrement. Ses cheveux blancs ? Ses vingt et une lignes d’arrivée installées chaque année, pas une de plus depuis quelques temps maintenant, loin des cinq arrivées de 1903, des promenades d’une quinzaine d’heures, celles qui faisaient les forçats et ont rendu légendaire la course qui les faisait tant souffrir.

Difficile de trouver des êtres humains comme notre Reine, qui passé leur centième anniversaire se sont lancés dans une nouvelle vie. Il n’y en a pas, à vrai dire. Au mieux un déménagement en maison de repos, plus adaptée. Alors, faute d’exemples, il faudra disserter à vue. Car Benjamin Button est la seule personne qui, à ma connaissance, est né vieux pour vieillir jeune. Nouveau départ autour de la cinquantaine, sans centenaire, l’argument n’ira pas plus loin, vous vous arrangerez avec le scénariste, une toute autre fin aurait pourtant servi mon exposé, en vain.

Alors, notre Reine est déjà unique. Elle est plus qu’un personnage, son inventeur de génie Henri Desgrange, elle est plus qu’un peuple, les français. Elle est un patrimoine, une vitrine. La Grande Boucle est née en 1903 afin de servir les desseins du journal l’Auto. En cela, elle n’a guère changé, si ce n’est qu’aujourd’hui la taille de ce panneau publicitaire est devenue gigantesque. Incontrôlable ? De ce côté là, les années ont bien fait les choses et les évolutions semblent cohérentes. Avec l’apparition des nouveaux médias un nouveau départ a été pris, pas pour le centième, mais presque.

Mais si passé le centième anniversaire, il convient de se renouveler, d’autres terrains laissent plus dubitatifs. Les champions qui font sa légende, avant tout. Leurs bicyclettes se sont renouvelées, améliorées, tout comme les textiles qui ne cessent d’abriter de discrètes prouesses techniques. Car le Tour de France est devenu au fil du temps un formidable laboratoire pour tous types d’expériences. Sans parler de dopage, il convient d’évoquer l’optimisation de la performance, jamais sanctionnée par le passé et que l’on essaye d’éliminer aujourd’hui pour des raisons de morale, d’éthique, à peine déguisées.

Parce que Placebo d’une société souvent dans le creux de la vague, elle s’y perd toute seule, c’est qu’elle vieillit, la Petite Reine. Et son génie de créateur n’a pas forcément toujours trouvé d’égal. Le cyclisme est à un tournant et la plus prestigieuse course par étapes de son calendrier se doit d’être le fer de lance du changement. Il conviendrait, pour une fois, d’établir un cahier des charges, une véritable ligne de conduite. Le Tour de France est devenu celui de la mondialisation et il s’y perd. Les personnes à sa tête doivent vendre un sport devenu spectacle plus que moment de bravoure.

Pourtant, dans d’autres domaines, les organisateurs ont su s’adapter. Parce qu’il s’apprête à fêter son centième départ, le Tour de France part de Corse, histoire de se refaire une beauté. C’est malin et ça fonctionne, question marketing. L’inconnue ne doit pas faire peur mais se greffer dans un contexte qui réclame pragmatisme. Aussi, gravir l’Alpe d’Huez par deux fois est une bonne chose, si l’environnement est vraiment respecté, question d’époque, là encore. Mais le spectacle pour le spectacle ne vaut rien, rendez-nous plutôt la légende. Rendez-nous les échappées si singulières d’Eddy Merckx. Rendez-nous l’arrogance qui a fait de Jacques Anquetil un Champion pour l’éternité. Rendez-nous le professionnalisme de Lance Armstrong qui a tant fait pour le cyclisme et son maillot jaune.

Pour une centième fois, il faut en réalité choisir entre s’inscrire définitivement dans la tradition et la nouveauté, et c’est là le problème du sport cycliste, incapable de faire un choix. Seul le Tour d’Italie semblait avoir choisi, peut être trop extrêmement, les coureurs ne l’ont d’ailleurs pas supporté. Mais dans trois semaines, alors que les champions remonteront les Champs-Elysées au crépuscule, il faudra se poser les bonnes questions. Comprendre pourquoi depuis deux ans le même coureur, seulement avec un nom différent, remporte la course. Il faudra comprendre pourquoi le cyclisme doit accepter la recherche permanente d’une plus grande performance, parce que ces hommes ne sont pas comme tout le monde, ils ne sont pas Jeanne Calment, et eux, leur heure de gloire n’est que temporaire.

Les français n’ont jamais aimé les vainqueurs. Il est temps d’arrêter d’être français et d’essayer de comprendre pourquoi Fausto Coppi était lui aussi un grand champion au même titre que Greg LeMond. Il sera tant d’accepter la domination de Bradley Wiggins plus encore que le pardon de Richard Virenque, symbole d’une tradition qu’il faut enrayer, celle de coureurs populaires, symboles d’une France parfois trop proche d’un passé qui veut que l’on soit modeste et avec le minimum de culture. Le Tour de France doit aujourd’hui servir les desseins de la France et faire de ses vainqueurs, quelque soit leur nationalité, des symboles d’abnégation et de travail, pour tout un peuple qui refuse de sortir de la crise. Car la faute n’est jamais la leur mais celle des autres, demandez donc à Laurent Jalabert ce qu’il en pense.

Dans deux jours le Tour de France verra ses héros s’élancer pour la centième fois et il sera tant d’accepter son âge et son époque. Car puisque la Petite Reine a cette chance de connaitre l’éternelle, il ne s’agirait pas de passer à côté. Seulement, la France et par dessus tout les français ne sont peut être pas prêt à accepter les retouches nécessaires tant pendant des années on leur a vendu un rêve alors que celui qu’ils auraient du voir de leurs propres yeux valait tellement mieux, fort de ses années. Parce que passer cent ans aurait avant tout du être un bagage à part pour permettre d’écarter les démons d’un passé malheureusement et sûrement trop lourd pour disparaitre et enfin mieux voyager et prendre un nouveau départ. Ce n’est pas le cas parce que la Petite Reine est française, pour le meilleur comme le pire.

Simon Bernard

>> Retrouvez tous nos articles de la saga “Place au Tour” en préambule de la centième édition en cliquant ici.

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