Le cyclisme est un milieu où règnent croyances et superstitions. Une des plus anciennes et célèbres d’entre elles concerne ce fameux maillot arc-en-ciel qui maudirait à jamais son porteur. Mauvais sort ? Malédiction ? Simple coïncidence ?  Une chose est sûre, de nombreux vainqueurs des championnats du monde ont vu leur carrière et leur vie changer à tout jamais. Et pas forcément dans le sens que l’on attendait. Le tenant du titre, Philippe Gilbert, n’est jamais parvenu à retrouver son niveau au cours de ses douze mois en irisé, confirmant que ce mal était bien réel. Il est le dernier, mais pas forcément le plus malheureux, d’une longue lignée de destins brisés, qui nullement sublimés par ce maillot l’ont porté comme un lourd fardeau, parfois même jusqu’en enfer.

Une succession infinie de drames et d’élans coupés

L’histoire commence au tournant des années 70, en plein cœur de l’avènement du Cannibale Eddy Merckx. A l’époque déjà, une concurrence  interne commence à s’organiser pour contrecarrer la domination sans partage du Bruxellois. Bien épaulé par les frères De Vlaeminck, le jeune Jean-Pierre Monséré devient en 1969 le plus jeune vainqueur du Tour de Lombardie. Un an plus tard, il accède déjà à la consécration lors des Mondiaux de Leicester. Son ascension fulgurante sera néanmoins stoppée net en plein mois de mars 71, lorsqu’il meurt en un éclair, percuté par une voiture en pleine Kermesse à Retie. 

Tout aussi troublante, la disparition des radars de Freddy Maertens, le sulfureux sprinteur belge. De 1971 à 1978, Maertens est irrésistible : classiques, sprints, rien ne lui échappe. Il deviendra champion du monde à Ostuni en 76, trois ans après avoir coulé Merckx à Barcelone. Un crime de lèse-majesté qui ne restera pas impuni. Celui qui ira jusqu’à remporter 8 étapes en un même Tour de France n’obtient plus aucun résultat lors de l’année 79, alors même que les soupçons de dopage l’entourant devenaient de plus en plus pesants. Heureusement, talentueux comme peu, le garçon s’adjuge malgré tout une Vuelta, exploit qui sauve sa saison. Auteur d’un retour inespéré en 1981, Maertens décroche la timbale : 5 étapes du Tour, le maillot vert, puis le titre à Prague en Tchécoslovaquie. Poursuivi par le fisc, Maertens vient alors de signer ses derniers grands succès. Tombé dans l’alcool, il ne sera que l’ombre de lui-même jusqu’à sa retraite définitive de 1987. A noter qu’il échappera de justesse à un crash mortel au cours de son année noire en 1979, le sort lui attribuant une clémence dans son malheur…

Stephen Roche, fantastique vainqueur de la triple couronne au cours de son improbable année 1987 ne sera plus jamais le même suite à sa prise de pouvoir au Mondial autrichien. La firme Fagor offre un pont d’or à la nouvelle star irlandaise qui n’en finira plus de décevoir : surpoids, genoux douloureux, mésententes constantes avec ses dirigeants : Roche ne parvient pas à honorer le maillot arc-en-ciel. Délesté de celui-ci l’année suivante, il retrouvera un niveau honnête, mais sans coup d’éclats. L’irisé l’a définitivement tué, aussi vite qu’il l’avait glorifié. Maurizio Fondriest vainqueur lui à Renaix en 1988, sera pendant de longues années poursuivi par diverses maladies. Luc Leblanc, premier à Agrigente en 1994 sera manipulé et escroqué par le gourou Jean Godzich, créateur du Groupement. Et cette liste n’est pas exhaustive…

Jusqu’à l’époque contemporaine… 

L’illustre Johann Museeuw, dominant en 1996 sur le circuit  de Lugano connaîtra en 1997 sa pire campagne de classiques. Son successeur Laurent Brochard ne sera guère plus heureux, étant emporté par la vague du scandale Festina. Le Letton Vainsteins, vainqueur surprise à Plouay entamera un déclin rapide pour finir aux oubliettes seulement quelques années après son sacre, un peu à l’image d’Igor Astarloa. Tout frais champion du monde suite à son succès au Canada, devant un certain Alejandro Valverde, il file vers Cofidis, place forte du cyclisme français de l’époque. Ambitieux, il lorgne sur les JO d’Athènes, les classiques et le Mondial de Vérone. Seulement, le sort s’acharne une nouvelle fois sur le porteur du maillot arc-en-ciel : une première chute l’écarte de sa campagne printanière, déjà une grosse déception pour Astarloa. Puis pris dans le scandale Cofidis, il doit reporter ses ambitions vers la fin de saison en changeant de structure, direction Lampre. Emporté rapidement par une chute, il quitte les JO en y laissant plus que ses espoirs. Ses jambes l’ont aussi quitté, il parcourra les équipes continentales-pro sans réussite avant de prendre sa retraite.

Dernièrement, les Italiens, fortement dominateurs sur la fin des années 2000 n’ont pas échappé à leur destin : Paolo Bettini perdra son frère quelques jours après son sacre de 2006 à Salzburg, devant Erik Zabel. Puis Alessandro Ballan, le lauréat de 2008, ne trouvera plus jamais la tranquillité. Atteint d’un cytomégalovirus, il n’est pas en mesure de parader sur ses principaux objectifs, San Remo, les flandriennes et le Giro. Suspendu provisoirement à maintes reprises pour son implication présumée dans l’affaire Mantoue, Ballan rate deux nouvelles campagnes de classiques, avant de subir une ablation de la rate en 2013, suite à une lourde chute en plein stage de pré-saison.

Alors, pur hasard ou réelle malédiction ? Faut-il avoir peur pour le futur champion du monde de Florence ? Serait-ce l’attente trop lourde qui découle d’un titre mondial la véritable responsable de tous ces malheurs ? Il est vrai qu’en cyclisme, et c’est encore plus le cas depuis la réforme de 1995, la course revient souvent à un outsider, un coureur de l’ombre qui digère mal le fait de se retrouver sous le feu des projecteurs, et tombe rapidement dans le néant. La toison irisée serait de fait une divine balance révélatrice de talents, et destructrice d’êtres qui n’étaient sans doute pas totalement dignes de la porter.

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