En un peu plus d’un an, la vie de François Pervis a changé. Champion du monde pour la première fois de sa carrière à Minsk, en mars 2013, le Mayennais passait un cap symbolique, qui lui a permis de se libérer. Triple médaillé d’or à Cali il y a un mois, le pistard français est entré dans l’histoire de son sport en étant le premier homme à réussir pareille performance. En un an, son statut a donc considérablement évolué. D’autant qu’entre temps, au cœur de l’hiver, Pervis est allé faire un tour au Mexique, pour y battre deux records du monde : celui du 200 mètres lancés, mais surtout celui du kilomètre, pulvérisé. La référence actuelle du cyclisme sur piste s’est confiée à la Chronique du Vélo pour évoquer ces derniers mois riches en émotion. Entretien grand format.

François, il y a un an vous nous confiiez déjà votre satisfaction à la suite des Mondiaux de Minsk, surtout en ce qui concernait vos chronos. Alors que dire après cette édition 2014 ?

Je suis encore plus heureux, forcément. Mais mes meilleurs chronos, ça reste les records du monde au mois de décembre.

Justement, ces records déjà impressionnants, pensez-vous pouvoir les améliorer, notamment celui du kilomètre ?

Je pense que j’aurais pu être un tout petit peu plus rapide sur le kilomètre, oui. En améliorant certains points matériels notamment, parce que je n’étais pas au top à ce niveau là. Et dans ma gestion de course ensuite, j’aurais pu mettre un petit peu plus gros. J’ai tourné les jambes plus vite que d’habitude, malgré le fait que j’avais déjà mis plus gros compte tenu de l’altitude (Aguascalientes est à 1805 mètres d’altitude, ndlr). Mais je n’ai pas osé mettre un braquet encore plus important alors que les statistiques de mon kilomètre montrent que j’aurais pu.

Sur les Mondiaux quelques semaines plus tard, vous avez été sacré avec un temps de 59’’385 (votre record du monde étant établit à 56’’303). Ça va devenir la norme, pour vous, un kilomètre sous la minute ?

Oui, je pense. La veille de partir à Cali, j’ai fait un kilomètre à Saint-Quentin-en-Yvelines, au niveau de la mer donc, et de façon très fiable avec des bandes chronométriques par terre. J’ai fait 59’’5. Pourtant, il ne faisait pas très chaud sur la piste, je n’étais pas surmotivé par la compétition et je n’étais pas très frais, donc je pense qu’il va falloir s’habituer à voir des chronos en dessous de la minute. Ce n’est plus une barre aussi mythique.

En compétition, utilisez-vous toujours des braquets que vous avez testé à l’entraînement, ou est-il possible, au feeling, de rajouter une dent au dernier moment ?

Non, avant d’arriver sur le lieu de la compétition, je sais déjà quel braquet je vais utiliser. En revanche à Aguascalientes, comme c’est en altitude, j’avais quelques doutes. Il faut de l’expérience pour savoir quoi mettre. Mais j’y ai fait une compétition en janvier 2013 donc j’avais une petite idée sur quel braquet utiliser, et sur l’état de piste. Alors j’ai tout simplement fait en conséquence. Je me suis dit il faut que je fasse ce chrono là, donc en connaissant ma moyenne de coups de pédales sur un 200 mètres ou un kilomètre, après quelques calculs, j’ai su quel braquet je devais mettre. Au départ, ça me donnait des braquets que je pensais beaucoup trop gros, mais il a fallu que je passe au dessus psychologiquement. Je ne devais pas me prendre la tête, c’est ce que j’ai réussi à faire, et c’est passé.

Pour revenir un an en arrière, après les Mondiaux, il y avait eu la démission de Florian Rousseau et la réélection de David Lappartient à la FFC, qui promettait de mettre en avant la piste. A-t-il tenu ses promesses ?

Désormais il y a le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, c’est une énorme révolution. Maintenant, ça ne fait pas tout. On doit toujours travailler sur le management. Il y a des choses à mettre en place au niveau de l’aérodynamisme, du matériel… On espère être suivis prochainement par un nutritionniste, on a un nouvel entraineur, et même un préparateur physique qui m’a l’air très bien, son discours me plaît beaucoup. S’il y a encore des choses à améliorer, la Fédération, le DTN et l’entraineur sont très motivés et ça fait plaisir de voir des gens dynamiques, ce qui n’était pas forcément le cas avant.

Peut-on dire que l’écart avec les Anglais notamment s’est réduit sur l’année qui s’est écoulée ?

Non il ne s’est pas réduit parce que les Anglais auront toujours un train d’avance. On n’est pas encore arrivés à leur niveau, pourtant, il nous faut les dépasser. Aujourd’hui, on doit énormément progresser au niveau du matériel, et il y a d’autres choses à mettre en place. La Fédération s’y attache, mais l’écart est toujours bel et bien présent.

Vos récentes performances vont davantage mettre le cyclisme sur piste en avant, on vous a notamment vu dans de nombreux médias depuis votre retour de Cali. Vous considérez-vous, en toute modestie, comme l’ambassadeur de la piste française ?

Je n’aime pas dire ça parce que ça fait prétentieux, mais à l’heure actuelle, je n’ai pas le choix, je ne peux que dire oui. Avec mes records du monde et mon triplé historique, que personne n’a fait dans l’histoire de mon sport, je suis forcément l’ambassadeur de mon sport et c’est un réel plaisir.

A votre retour des Mondiaux, vous avez confié avoir été accueilli à l’aéroport comme l’aurait été Chris Hoy. Lui aussi a commencé à réellement dominer la piste à 28 ans, alors n’êtes-vous pas simplement son successeur ?

Si j’ai sa carrière, ce sera magnifique ! On ne peut pas faire mieux… Triple champion olympique à Pékin, double champion olympique à Londres… Moi, je ne me mets pas de barrière, et Chris Hoy est forcément un exemple ;  ses résultats montrent que le sérieux et le travail paient, et qu’il n’y a pas d’âge pour gagner. On est tous différents. Certains ont des qualités surhumaines naturellement donc ils gagnent tout à 22 ans. Ce n’est pas mon cas, à cet âge là je n’étais pas du tout mûr et il m’a fallu beaucoup de travail pour devenir un peu meilleur chaque année. Ensuite, c’est dans la tête. J’ai eu le déclic aux Jeux de 2012. J’ai pris conscience de mes capacités, qu’il fallait que j’arrête de me poser tant de questions et prendre du plaisir, parce que finalement, je ne fais que du sport. C’est un peu tout ça qui a fait qu’aujourd’hui j’arrive enfin à m’exprimer à 100%.

Cela faisait quelques années que malgré votre potentiel, vous ne décrochiez pas ce sacre mondial. Alors quatre titres en deux ans, c’est l’aboutissement ?

Non, l’aboutissement ce sera une médaille d’or olympique. Mais ce sont les premiers objectifs remplis. Je pense qu’il fallait que je passe par là avant de me dire que je peux potentiellement être champion olympique. Après, on le dit souvent, le premier titre est toujours le plus dur à gagner. Derrière, on est libéré et tout s’enchaîne, et c’est le cas pour moi. Je n’ai plus aucun stress au départ d’une course. Aux Mondiaux, j’étais vraiment très serein et je m’étonnais moi-même. C’est ce qui fait la différence désormais.

L’objectif annoncé est donc clairement Rio, mais ne sera-t-il pas difficile de rester sur la dynamique actuelle pendant plus de deux ans ?

Non parce que je sais exactement ce qui a fait que j’en suis arrivé là. Le Japon notamment m’a beaucoup aidé. Là-bas, les sprints sont deux fois plus longs qu’au niveau international, et tout est plus dur. J’ai un vélo en acier, des roues à rayon, les pistes sont en béton et font 400 ou 500 mètres, toujours en extérieur… Je cours quand il pleut, quand il vente et même sous la neige ! Donc c’est sûr que quand je reviens au niveau international, avec des sprints plus courts et un vélo en carbone, c’est génial. Je me sens beaucoup plus fort. J’ai tellement pris de la caisse au Japon que j’ai énormément progressé. Cette année j’y retourne donc, et je continuerai à y aller les prochaines années. Maintenant, je sais de quoi j’ai besoin pour continuer à être solide et fort.

Dans quelques semaines, vous repartez d’ailleurs au Japon. Que ferez-vous exactement là-bas ?

Je ne fais que du keirin. C’est une discipline qui est née au Japon, très populaire là-bas. J’ai une course tous les quinze jours, et chaque course se fait sur trois journées. Je ne fais qu’un sprint par jour. Le premier jour, j’ai la qualification, le lendemain la demi-finale, et le troisième jour la finale. Et quelque soit ma place en qualification et en demi-finale, je cours le lendemain puisqu’il y a des demi-finales et des finales A, B et C. Donc je suis assuré de courir les trois jours, sauf si je chute, ce qui est très courant là-bas puisqu’il y a le droit d’avoir des contacts avec les adversaires. Le règlement y est très différent, et on est éliminé que si l’on fait tomber son adversaire. Je vous laisse imaginer ce qu’ils sont capables de faire… C’est très dur physiquement.

Et combien de temps prévoyez-vous d’y rester ?

Jusqu’au mois d’août, ça fait une préparation de plus de quatre mois. Plus je reste là-bas, plus ça me fait du bien. C’est un entrainement tout en force : je cours avec un vélo en acier sur du béton, ça fait énormément travailler la puissance. Quand je reviens en Europe, je me sens voler. Avec une piste en bois, couverte, de 250 mètres, et un vélo tout carbone, j’ai des sensations de folie.

Tout cela fait qu’aujourd’hui vous semblez inarrêtable, comment vivez-vous cette supériorité ?

Des fois, j’ai du mal à me rendre compte de cette supériorité, justement. Et forcément, ça fait parler. J’ai lu des commentaires sur internet qui ne m’ont pas du tout fait plaisir. Mais malheureusement, aujourd’hui, quand on est champion du monde, ou pire, qu’on bat des records du monde vieux de douze ans, on est forcément dopé… Alors je me dis que ces gens-là, ce n’est pas possible, ils ne connaissent pas mon sport ; j’essaie de ne pas trop y faire attention. Mais c’est blessant et vexant car franchement, j’y mets tout mon cœur. J’ai une vie de moine pour mon sport. Même ma femme, elle en a ras-la-casquette de mon vélo. Elle adore ce que je fais, mais ce n’est plus vivable. C’est devenu la priorité dans ma vie. Je dois optimiser ma récupération, je n’ai que ça en tête et je suis dévoué au vélo. Alors se prendre des remarques comme ça alors que j’en chie tous les jours comme un malade à l’entrainement, deux fois par jour, six jours sur sept et quasiment tous les jours de l’année…

Entre les Mondiaux de Minsk l’an dernier et aujourd’hui, je n’ai eu que dix jours de vacances. Mon seul jour de repos en dehors de ça, c’est le dimanche. Sinon je m’entraîne en permanence. Pour une seule course dans l’année, les Championnats du Monde, voire un record du monde, mais ça ce n’est pas tous les jours. C’est un travail de besogneux. Je dois être au top de ma forme trois jours dans l’année. Et pour ça je m’entraîne comme un chien, en disant non tout le temps… Parce que ce n’est que des sacrifices finalement, ma vie de sportif de haut niveau. Aller au cinéma, non je suis cramé j’ai envie de dormir, il faut que je me couche tôt. Aller en boîte, ce n’est même pas la peine. Cet hiver, par exemple, j’ai roulé le jour de Noël. Le 24 décembre, je devais faire deux heures et demi sur route, et chez moi, il a beaucoup plu, alors j’y suis allé le lendemain, le 25. Le 31 décembre j’ai fait des sprints sur une machine, et le 1er janvier je suis retourné sur la route. Pour moi, il n’y a pas de jours fériés, je ne connais pas le jour de l’an… C’est ça ma vie. Donc quand on se prend ce genre de remarques alors qu’on donne tout pour son sport, c’est vraiment vexant.

Malgré tout, vous avez envie de continuer, vous vous fixez de nouveaux objectifs : c’est l’amour du vélo qui vous pousse ?

Tout à fait, je suis vraiment passionné. J’adore ce que je fais et forcément, depuis ma remise en question de 2012, en ayant commencé à gagner des titres, je suis encore plus épanoui dans mon sport, je prends beaucoup plus de plaisir. J’ai commencé à marcher comme ça à partir du moment où j’ai fait sauter les barrières que je m’étais mises, entre septembre et décembre 2012, lorsque j’étais au Japon. Alors désormais, je ne me mets plus aucune barrière, que ce soit en terme de temps ou d’objectif. C’est terminé.

Au départ des épreuves, quel est votre état d’esprit ? Vous vous concentrez sur vos adversaires, ou juste sur le chrono ?

Ça dépend des épreuves. Sur le kilomètre, je ne m’occupe de personne. Je ne regarde pas les temps des autres et même si je sais qu’un autre a fait un super temps, je ne m’en inquiète pas. C’est un combat contre soi-même et le chrono, je ne me prends pas la tête avec les autres et je me concentre seulement sur ce que je dois faire. Toutefois, en vitesse individuelle, où là je suis contre un adversaire direct, je me dis que je vais le fumer, que je ne lui laisserai aucune chance. Toutefois, à côté de ça, je suis très serein au départ, je ne m’excite pas du tout. J’élabore juste une tactique de course par rapport aux qualités de mon adversaire, et quand je lâche les chevaux, j’y vais !

Et comment se passe ensuite la gestion de course, notamment sur un kilomètre ?

Je pense à mon départ, à ne pas rester dans la machine, à ne pas partir trop tôt ni trop tard. Puis je pense à bien respirer, à rester fluide. Après, il y a des endroits où je me contente de maintenir ma vitesse, et d’autres où je force. Chacun a sa propre stratégie. En ce qui me concerne, j’ai des qualités explosives que mon dauphin de l’année dernière, Simon van Velthooven, n’a pas du tout. Lui, il essaie de partir à bloc, et il est ensuite obligé d’accélérer en permanence. Il est quasiment tout le temps à bloc. Moi je pars très vite, et après j’essaie juste de maintenir ma vitesse de croisière. Je ne force pas comme lui.

Durant la minute d’effort, parvenez-vous à avoir des indications sur vos temps ?

Ca m’arrive de pouvoir regarder le panneau du chrono, mais il faut vraiment qu’il soit en face de moi pour que je puisse le regarder en ligne droite. Et même comme ça, j’y prête moins attention qu’avant. Je suis beaucoup plus concentré sur mes coups de pédales, je les compte presque. Et je ne pédale pas de la même manière partout sur la piste. Je ne peux pas trop en dire parce que je n’ai pas envie que mes adversaires essaient, mais il y a des endroits et des moments où je ne force absolument pas. J’ai mis dix ans à trouver cette gestion de course là.

A la fin d’un kilomètre, combien de temps vous faut-il pour redevenir « normal » ?

Les kilomètres que je fais maintenant, j’ai beaucoup moins mal que par le passé. Avant, j’avais un braquet qui me faisait toxiner au bout de 500 mètres. Il était plus petit, j’étais en cadence ; je tournais très vite les jambes et je saturais rapidement. Maintenant tout le monde met très gros, on est plus en force et on fait beaucoup moins de lactique. Du coup j’ai moins mal à la tronche après mon kilomètre. Avant je ne pouvais plus marcher, on était obligé de me soulever. Je n’arrivais même plus à déchausser. Désormais, ça va. Et puis quand je lève les yeux et que je vois que je fais 56’’303, toutes les douleurs partent, je n’ai plus mal du tout sur le moment. En revanche, juste après lorsque je déroule et que je m’arrête, ça monte quand même à la tête, j’ai un mal de crâne pas possible et j’ai les jambes qui s’engorgent. Je ne tiens plus debout et je peux mettre une bonne demi-heure avant de pouvoir remarcher correctement.

On a appris récemment que les Mondiaux 2015 pourraient avoir lieu à Aguascalientes, cela aurait une signification particulière pour vous ?

Ce n’est pas officiel, et ils risquent même d’être beaucoup plus proches que ça. Mais je ne peux pas en dire plus… Cependant, s’il y a des Mondiaux là-bas, ça me laissera une chance d’améliorer mes records du monde, mais malheureusement, ça en laissera une aussi à mes adversaires. Du coup, je n’ai pas forcément envie que ce soit le cas. Malgré tout, si on y va pour un Championnat du Monde où tout le monde est en forme, et que personne ne bat mes records du monde, ça montrera l’ampleur de mes performances. Mais personnellement, si ça peut être ailleurs, plus proche du niveau de la mer et de la maison, je préférerais.

Enfin, c’est la question inévitable : vos records du monde et vos titres olympiques ont-il déjà changé votre vie, au niveau des sponsors ou même d’un futur contrat avec une équipe professionnelle ?

Forcément oui, dans la tête des gens déjà, ça a beaucoup évolué. J’ai eu la chance de trouver deux nouveaux partenaires juste après mes records du monde. A l’heure actuelle, je viens de terminer le plus gros de ma tournée médiatique et je n’ai pas du tout eu le temps de prospecter par rapport aux sponsors. Donc là je prends les contacts, et je vais commencer à me vendre. Généralement, les contrats se signent l’hiver donc je pense qu’il va y avoir des pourparlers tout l’été pour avoir peut-être quelque chose de concret en vue de la nouvelle saison.

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