Dans une période où des instances telles que l’Union Cycliste Internationale tentent de prôner la transparence et d’avancer de plus en plus vers une lutte moderne contre le dopage, le public, lui, se contente de débattre sur les décisions prises et leur fondement, sans forcément connaître le fonctionnement précis et les règlements complexes des fédérations internationales, mais aussi du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). C’est dans ses locaux que se règlent bien souvent les nombreux litiges entre diverses parties. Maître François Klein y est arbitre, et a notamment défendu Zlatan Ibrahimovic l’an dernier devant l’UEFA, tout en gardant un oeil avisé sur les sports. Cet avocat du cabinet parisien KGA raconte à la Chronique du Vélo le fonctionnement de ce qui fait bien souvent office de derniers recours dans le droit du sport. Un entretien intéressant, et qui vous plonge au plus profond du traîtement réservé aux affaires.

Maître, pouvez-vous d’abord vous présenter à nos lecteurs, qui ne vous connaisent pas forcément ?

Je suis François Klein, avocat associé chez KGA, un cabinet d’avocats à Paris qui me tient à cœur, puisque crée par mon père en 1945, évoluant constamment vers un lieu spécialisé dans le droit d’affaires internationales. En ce qui me concerne personnellement, j’ai développé une pratique du droit du sport depuis une petite trentaine d’années, en commençant dans les conseils de clubs de football, puis en devenant arbitre au Tribunal du Sport, mais aussi à la Chambre Arbitrale du Sport. Le TAS a été crée en 1981 sous l’égide du CIO – par l’ancien président Samaranch ndlr. Cela fait office d’avant dernier recours au niveau international, lorsqu’il est saisi par des athlètes, des clubs ou des individus souhaitant faire valoir les règles du TAS après avoir été devant des fédérations… La Chambre Arbitrale du Sport elle, est née du CNOSF, il y a quelques années, et sert à régler des affaires se situant aux champs internes. Des litiges réglés par la voix de l’arbitral. De manière générale, je suis avocat en droit d’affaires.

Comment se déroule de manière concrète l’organisation d’une structure comme le TAS ?

Le TAS fonctionne avant tout comme une jurisprudence. Il y a un secrétaire général du TAS, Matthieu Reeb, et sous son autorité, des conseillers qui instruisent les dossiers qui lui sont soumis. Un secrétariat est présent naturellement derrière. Le TAS peut être saisi par voie d’appel lorsqu’une partie conteste la décision d’une fédération internationale, indiquant le litige en question tout en nommant l’un des arbitres siégeant au Tribunal Arbitral du Sport. Nous en indiquons ensuite bonne réception, le délai dans lequel nous rendrons jugement, tout en informant la partie adverse de la saisie effectuée en lui demandant de nommer son propre arbitre.

Le principe général repose sur une fonction tripartite, avec un arbitre représentant la partie demanderesse, émanant la plupart du temps d’un soutien d’une fédération nationale ou internationale, un arbitre se chargeant de la partie défenderesse, tandis qu’un dernier arbitre sera nommé par le TAS en tant que président de la commission. Ensuite, le demandeur dépose son mémoire ainsi que les pièces qui vont avec, fait part d’une éventuelle volonté de témoignages durant l’audience. La partie adverse a également un délais pour la même procédure, et l’audience n’est pas obligatoire. Elle peut être écrite, mais la majorité des gens préfèrent pouvoir plaider devant, et elle est ordonnée. Cela est toutefois limité à un seul échange d’écriture dans le premier cas, mais il peut y en avoir exceptionnellement un deuxième qui ouvre une audience. Le TAS lui-même s’est chargé d’avoir étudié et revu de manière complète le dossier et se réunit de manière informelle quelques minutes avant le début de cette audience purement d’instruction et de plaidoirie. La formation arbitrale délibère et livre sa sentence en général quelques semaines après. Le dernier recours existant siège également à Lausanne, il s’agit du tribunal fédéral suisse, représentant en quelque sorte une cours de cassation. Par exception, il peut y avoir quelques procédures reposant sur un arbitre unique. Cela présente l’avantage de limiter les frais. Mais en rendant compte de mon expérience datant d’il y a bientôt douze ans, j’ai du voir trois audiences écrites pour six à huit audiences ouvertes par an.

Comment se passe la refonte d’un dossier, si par exemple on y trouve des éléments montrant une procédure non conforme ?

Afin de revoir les procédures qui nous sont contestées, nous nous basons avant tout sur le code anti-dopage, lorsque celui-ci est remis en doute. Nous devons vérifier que la procédure du contrôle ainsi que celle amenant à sanctionner un athlète est bien respectée. Nous sommes amenés à regarder de manière scrupuleuse un dossier dans son entièreté, si j’ose dire. Nous pouvons réviser l’ensemble de la décision, et nous ne sommes pas limités aux moyens d’appel. On rend un verdict en ayant tous les pouvoirs nous autorisant à révoquer les précédents jugements de l’affaire. Un exemple marquant fut celui concernant un tennisman français – en l’occurrence Richard Gasquet, blanchi en 2009 après un contrôle positif à la cocaïne ndlr –, qui avait été convaincu de dopage et condamné par la fédération internationale de tennis, mais qui avait fait appel devant le TAS, qui avait alors tranché en faveur de l’annulation de cette sanction. Depuis quelques années, on peut d’ailleurs retrouver les procès verbaux des affaires sur le site internet du TAS. Mais concernant le fait que nous soyons utilisés en dernier recours, il ne faut pas mélanger tous les litiges, qui sont très nombreux et souvent différents. On a le cas évoqué où un sportif réfute les dispositions d’une instance internationale en amont, mais également des dossiers concernant les indemnités de transfert et des contentieux entre la FIFA et les clubs dans le football… Tout ça pour dire que les fédérations peuvent ne pas être impliquées dans notre jugement, c’est extrêmement rare mais nous pouvons imposer nos propres mesures et nos propres conditions quant à la formation des commissions.

Dans le cyclisme comme ailleurs, certaines fédérations ont tendance à couver à l’excès certains de leurs sportifs, tandis que d’autres ont des pratiques parfois contestables. Comment le TAS réagit dans une telle situation ?

Si nous nous apercevons que les sanctions qui s’imposaient n’ont pas été prises au niveau des agences anti-dopage ou des fédérations et qu’une autre nous porte le dossier, nous n’avons d’autre choix que de faire une refonte complète. Dans ces cas de figure-ci, je peux détailler l’aventure d’une athlète contrôlée hors compétition et dans le cas des ses entraînements – il s’agit de l’affaire Veronica Campbell-Brown, ndlr. Convaincue de dopage, elle avait été poursuivie devant sa fédération et sanctionnée, mais il a été avéré que la procédure avait été contradictoire, ne respectant pas les délais, et elle n’a même pas pu se voir représentée. Nous avons donc obtenu un renvoi devant la fédération nationale mais en obtenant les garanties essentielles fondamentales de la procédure qui manquaient dans le dossier. Que ce soit lorsque des fédérations couvrent leurs sportifs ou alors font preuve d’un dysfonctionnement manifeste, le TAS a les moyens nécessaires pour obtenir une régularisation.

Les passionnés de cyclisme se sont majoritairement étonnés à l’occasion d’une vague de contrôles positifs au clenbutérol, un produit dont l’excuse massive utilisée pour s’en défendre fut la contamination alimentaire. Les jugements rendus étaient différents malgré un fondement commun, c’est quelque chose de courant ?

Il n’y a jamais de dossiers identiques, malgré un fondement commun à l’image d’un motif de litige semblable. Par définition, le public ne connait pas le fondement détaillé du dossier et n’est pas à même de faire un jugement précis. Même si je n’ai pas eu de rôle dans ces affaires précises, il ne faut pas s’étonner que les jugements soient différents car il y a forcément des particularités spécifiques à tel ou tel sportif. Ce qu’il faut savoir également, c’est que le TAS cherche à harmoniser sa jurisprudence. Je ne pense pas que le TAS puisse être la cible des reproches, même si bien évidemment les exceptions surviennent toujours. D’autant que l’inverse se produit aussi, on nous dit que nous appliquons les mêmes sanctions à des dossiers qui paraissent opposés. Le droit du sport est proche de la justice civile, il y a des mystères cachés qui ne filtrent pas toujours et qui restent dans les locaux du TAS.

Le TAS peut donc révoquer les précédents jugements, et on présume que ce dernier arrive à obtenir une améliorations des pratiques et des règles de certaines instances dans un travail commun d’harmonisation, non ?

A travers les décisions que nous rendons, je suis convaincu que les fédérations sont invitées à revoir leur pratiques. Mais il n’appartient pas à nous de guider leurs propres pratiques hormis dans des verdicts clairement énoncés. Il y a quelques années, j’ai beaucoup travaillé dans des affaires en étant saisi suite à des décisions venant de certaines fédérations africaines, dont, il faut le dire, les règlements étaient peu élaborés. Mon but dans ces affaires était de faire comprendre à ces instances que leurs pratiques méritaient sûrement un approfondissement. On peut dire que le TAS se porte en garant de la justice et de l’équité du droit dans le vaste domaine qu’est le sport.

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