Vainqueur d’étape « surprise » à Bagnères-de-Luchon, Chris Froome a endossé le maillot jaune lors de l’étape pyrénéenne du samedi. Un grand classique désormais pour le Kenyan Blanc, adepte du même chemin lors de ses raids victorieux en 2013 et 2015. Sauf que ces deux années-ci, il avait alors écrasé la concurrence sur deux arrivées au sommet brutales. Rien de tout ça ce week-end, et les écarts le prouvent. Mais, pour le spectateur, ce qui apporte un sentiment de frustration réside bel et bien dans l’attitude de ses concurrents, presque absents des débats.

Movistar gaspille ses cartouches

Depuis le grand départ donné du Mont-Saint-Michel, tout ou presque laisse indiquer que l’on s’oriente vers une course déséquilibrée, opposant d’un côté l’armada du team Sky, et de l’autre, la colonie montagnarde de l’équipe Movistar. Il faut dire que derrière les leaders présumés, Froome et Quintana, figurent un vainqueur de Grand Tour, Valverde, le dernier lauréat de Liège-Bastogne-Liège, Poels, et une multitude de grimpeurs qui seraient facilement chouchoutés dans n’importe quelle équipe où ils seraient propulsés numéro un. Un duel, donc, alors qu’on pouvait même facilement s’attendre à une opposition prometteuse avec les collectifs Astana, comportant Aru et Nibali, où Tinkoff, avec le malheureux Contador et le fantasque Majka. Une telle quantité de grands coureurs, c’est du jamais vu depuis plus de cinq ans, et forcément, le public n’était pas loin d’espérer assister au Tour du siècle. On en est loin, même si la dernière affirmation peut paraître exagérée. Calé dans un mutisme à son image, Nairo Quintana court comme un vieux briscard de 35 ans, sûr de ses qualités et des défauts de ses adversaires, face à un Froome quelque peu déconcerté par l’ambiance étrange du premier round pyrénéen.

Les Espagnols, accélérant nettement l’allure dès l’étape du Lioran, au moment de traverser les cols du Massif Central, semblaient nourris de bonnes intentions. Un coup d’épée dans l’eau, en réalité, qui rappelle pour l’instant la triste course de l’équipe Liquigas sur le Giro 2012, prenant à son compte la majorité des étapes, en faisant rouler Sylvester Szmyd pour une hypothétique attaque d’Ivan Basso, décramponné passé les 2000 mètres d’altitude. Pourtant, le terrain est idéal au Colombien Quintana. Insolent sur la Route du Sud, et déjà gagnant en Romandie, il n’a absolument rien tenté dans le Col d’Aspin, et la descente menant au lac de Payolle, contribuant au statut quo régnant dans le peloton. Pire encore, le lendemain, alors que son équipe aurait largement pu enflammer les débats dès le Tourmalet, en plaçant une flèche comme Anacona, Herrada, Izagirre ou Moreno dans l’échappée, le Sud-Américain est resté calé dans la roue d’Alejandro Valverde, lui-même lié comme par un aimant au train de la formation Sky, seul au monde. Et quand au sommet, la possibilité de tester Froome se présente, Quintana va commettre l’impensable en allant se ravitailler. Une occasion rêvée pour le tenant du titre d’opérer une démonstration, et de frapper une première fois.

Un quitte ou double périlleux

Car le lendemain, en Andorre, le duo hispanique a escamoté le Col de Beixalis, et ses pourcentages atteignant localement les 15 %. Une belle occasion de loupée pour essayer de faire sauter les cinq Sky programmés comme des robots jusqu’au pied de la montée d’Arcalis, ascension modèle pour la régularité de sa pente, moyennement difficile. On pourra toujours dire que Quintana avait prévu d’attaquer dans la dernière montée, et que l’orage terrible qui s’est abattu, l’a refroidi, et qu’il a voulu jouer la sécurité. Mais, dans la cour des grands dont il fait partie, cette excuse ne peut tenir, comme celle de la résignation chez Valverde, qui avait tenté d’accrocher l’échappée dès le départ. Si les Movistar agitent le drapeau blanc dès la neuvième étape, que doit-on attendre de la deuxième semaine et surtout des Alpes, où les occasions de faire des différences vont se préciser ? Une course à l’amiable, pour emmener Valverde une seconde fois consécutive sur le podium des Champs-Elysées, derrière Quintana, nouveau Poulidor du Tour ?

Non, les protégés d’Eusebio Unzue sont capables de beaucoup mieux, à condition d’y croire. Où tout simplement, d’être en forme ? Provocante, la question mérite cependant d’être posée, car on pourrait sérieusement douter d’une méforme cachée de Quintana, répétant en boucle aux arrivées d’étape un refrain connu : « J’attaquerais dès que possible ». Le fameux plan des frères Schleck n’est pas si loin, même si le quatrième du général n’a pas la poisse légendaire des Luxembourgeois. Capable d’attaquer sans relâche en troisième semaine sur le Giro 2014 pour y finir sacré, et d’harceler Froome dans l’Alpe d’Huez, va t-on le voir une fois de plus sortir de sa boîte au soir de la quatorzième étape ? Avant cela, il y a l’ascension du Mont Ventoux jeudi 14 juillet. Le dernier vainqueur au sommet du mont Chauve ? Froome ! Un succès qui hante toujours les rescapés de l’édition 2013, assommés après un récital comme on en voit rarement. En jaune, le patron de la Grande Boucle est dans une confiance totale, et en a gardé sous la pédale ce week-end, en atteste ses capacités d’accélération entrevues dans le final dimanche, ou son amitié pour Richie Porte retarda l’échéance. Si Quintana désire toujours autant observer la roue arrière de Froome, il faudra sortir la troisième semaine parfaite pour tuer l’épreuve. Et s’il n’est pas en mesure de le faire ? Il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.

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